35 ans après sa mort, Sékou Touré n’avait-il pas raison de défendre la souveraineté monétaire de l’Afrique ? (Par Bangaly ‘’Malbanga’’ Condé)

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Le 26 mars 1984, au petit matin, les Guinéens des villes et des campagnes furent réveillés par les chansons mortuaires de la RTG. Un des fils les plus prestigieux de la Guinée et de l’Afrique, venait de se coucher définitivement. C’était à Cleveland, aux USA.

La Guinée, l’Afrique et le monde entier observent le deuil. Tous les grands de ce monde ou presque, seront présents à ses obsèques. Tous les commentateurs seront unanimes. C’était les plus grandes funérailles du monde contemporain, après celles du Général Charles De Gaule.

De mémoire d’homme, jamais la dépouille mortelle d’un chef d’Etat africain n’a eu de telles estimes. Toutes les grandes mosquées d’Egypte, du Maroc, de la Libye, de l’Indonésie et de l’Arabie Saoudite, à la tête desquelles la Kaaba, ont observé la prière de l’absent. Les drapeaux en berne, les journées de deuil décrétées dans la plupart des pays musulmans. L’événement était suffisant pour démontrer la dimension nationale et internationale de l’homme.

Père de l’indépendance guinéenne, syndicaliste panafricain et patriote invétéré, le Responsable Suprême de la Révolution, Commandant en Chef des Forces Armées Populaires et Révolutionnaires, n’a-t-il pas dit, au lendemain de notre indépendance, que « tant qu’une parcelle du continent africain est sous domination coloniale, la Guinée ne sera pas libre » ?

D’ailleurs, c’est pourquoi, la vaillante armée guinéenne, créée dès 1960,  combattra aux cotés de tous les pays qui ont obtenu leur indépendance dans le sang, tels que la Guinée Bissau, le Cap-Vert, l’Angola, le Congo, le Zimbabwe (ex Rhodésie), etc.

En plus de l’indépendance politique, le président Ahmed Sékou Touré donnera á la Guinée sa souveraineté monétaire.

Cette décision du jeune Etat de créer sa propre monnaie a été considérée à l’époque par le pays colonisateur et ses alliés  comme un acte suicidaire. Mais c’était sans compter sur la détermination du fondateur de la première République.

Car n’eut été son esprit visionnaire et sa clairvoyance, aucune prémonition ne pouvait prévoir les difficultés  auxquelles sont confrontés aujourd’hui les pays qui ont décidé de rester dans la zone franc.

Pour comprendre la portée de la décision du président Ahmed  Sékou Touré de permettre
à la Guinée de créer sa propre monnaie il faut rappeler le contexte monétaire et financier d’avant l’accession de la Guinée à l’indépendance et le contexte actuel qui est caractérisé par la prolifération des mouvements de contestation  contre le franc CFA.
Pendant la seconde guerre mondiale, l’Afrique représentant l’essentiel du territoire de la France Libre, l’émission des billets en Afrique sera assurée par l’Afrique Française Libre (AFL), puis par la Caisse Centrale de la France Libre (CCFL).
En 1946, l’ancien Empire colonial français va se regrouper en Union Monétaire sous des appellation différentes : Départements d’Outre-Mer, Territoires d’Outre-Mer, Territoire sous mandat… qui seront autant de territoires d’émission d’entités différentes créées pour évoluer dans une  » zone Franc  » qui va comporter une monnaie directrice, le franc métropolitain, et des monnaies satellisée, c’est ainsi qu’est né le Franc CFA (Colonies Françaises d’Afrique) à la parité de 1 FCFA = 1,70 FF.
Le Franc CFA a été créé officiellement le 26 décembre 1945. Six ans avant, la France avait mis sur pied une « zone franc » en instaurant une législation des changes commune au sein de son empire colonial. L’objectif était de « se protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre » et continuer à s’alimenter en matières premières à bas prix auprès de ses colonies, autant dire du pillage systématique. CFA signifiait « colonies françaises d’Afrique » puis, à partir de 1958, « communauté française d’Afrique ». Lorsque la France a « accordé » l’indépendance à ses colonies africaines, au début des années 1960, elle leur a imposé la reconduction du système de la zone franc. Le FCFA est alors devenu franc de la « communauté financière africaine » en Afrique de l’Ouest, et franc de la « coopération financière en Afrique centrale » pour l’Afrique centrale. Cela devient alors un outil monétaire destinée à avantager les capitalistes français en Afrique, tout en freinant tout développement économique des pays concernés.
Lors de la mise en place de la communauté africaine et du référendum, un pays pouvait voter contre mais cela voulait dire faire sécession et avoir une totale indépendance sans l’aide de la France notamment d’un point de vue économique. Ce qui était clairement une menace lorsque l’on sait que la totalité de l’économie des états africains dépendait du colonisateur français. C’est dans ce contexte qu’en Aout 1958 De Gaulle entame sa tournée africaine qui se passe bien excepté en Guinée Conakry de Sékou Touré.
De Gaulle arrive à l’aéroport se dirige en direction de la capitale dans une voiture avec Sékou Touré. Une foule gigantesque, colorée, danse et chante tout le long du trajet. Premier problème, ce n’est pas en l’hommage de dirigeant français que les chants sont destinés mais au chef de l’Etat guinéen. Cette démonstration de force montre à De Gaulle que le peuple de Guinée est derrière son leader. S’en suit un discours des deux hommes. Sékou Touré qui évoque le fait de vouloir continuer une relation avec la France reste menaçant notamment à travers sa célèbre phrase « préférer la liberté dans la pauvreté que la richesse dans la servitude ». C’est un affront pour De Gaulle qui comprend que son homologue guinéen appellera à voter non au référendum sur la communauté africaine. Et quelques semaines plus tard la Guinée Conakry votera effectivement non et choisit l’indépendance sans la France. Pour De Gaulle cela signifie contre la France et tout va être mis en œuvre pour se débarrasser de Sékou Touré
Cela commence par des mesures monétaires punitives. Avant même le référendum, l’État français organise une véritable opération commando, les milliards de Franc CFA qui se trouvaient dans une succursale de la banque centrale à Conakry sont volés avec l’intervention des parachutistes et de la marine. Après le référendum Sékou Touré affirme haut et fort qu’il veut rester dans la zone franc mais en même temps, il cherche à créer sa propre monnaie qu’il fera imprimer très discrètement en Angleterre.
Ainsi le1er mars 1960 la  Guinée crée sa propre monnaie et devient ainsi le premier pays indépendant de l’Afrique de l’Ouest à quitter la zone franc.

Le président Ahmed Sékou Touré dira ceci : « Le FCFA n’est qu’un instrument de perpétuation de la colonisation. La Guinée ne saurait rester dans la zone franc de la Communauté Financière Africaine ».
Sylvanius Olympio du Togo imitera la Guinée en remettant en cause la domination de la France, décidera  de sortir de la zone Franc afin de créer sa propre monnaie. Le 13 janvier 1963, il est assassiné.
Modibo Keita dénoncera ce nouveau système monétaire français qui était pour lui un frein au développement du pays. Il décide donc de retirer son pays de la zone Franc et créa le franc malien, qui devient la monnaie officielle du Mali, en 1962. Mais il a subi quelques années plus tard un coup d’État.
Thomas Sankara, le président panafricaniste déclare que le système monétaire français est une arme qui permet au Français de dominer le pays. Lui aussi est tué par son ami Compaoré lors d’un coup d’Etat planifié par la France.
Seul le grand timonier de la Révolution a pu résister aux différentes tentatives d’assassinat que fomentait l’ancien colonisateur en utilisant certains fils indignes et apatrides du pays.
La Guinée forte de son secteur agricole le plus performant de toute l’Afrique de l’Ouest, de ses ressources minières non négligeables, de son gros potentiel hydroélectrique, qui serait susceptible de permettre l’industrialisation du pays ne pouvait que penser à la création de sa propre monnaie, le franc guinéen, ainsi qu’á la création de la Banque Centrale de la République de Guinée.
La création de cette zone monétaire indépendante par la Guinée a permis de  prolonger et renforcer l’indépendance  sur le plan politique et monétaire, le reste du parcours ne visait qu’à protéger et à renforcer cet acquis.
En France, la riposte est impitoyable. Des faux billets en francs guinéens sont imprimés et  versés sur le marché pour saboter la nouvelle monnaie guinéenne mise en circulation. C ‘est ce  qui a provoqué la  dépréciation du nouveau franc guinéen et  qui ruinera l’économie qui n’était pas encore très solide. C’est Jacques Faucard, le monsieur Françafrique de l’Elysée qui organisera toutes les opérations contre Sékou Touré.
Le  Gouvernement français  qui avait beaucoup d’intérêts économiques en Guinée notamment sa nouvelle usine de transformation de la bauxite en aluminium avait peur qu’avec le flirt de Sékou Touré avec le camp de l’Est pousse le dirigeant africain à nationaliser l’usine, organise plusieurs coups de force qui seront tous des échecs.
Soixante quatorze ans après sa création, les voix continuent de s’élever contre cette monnaie coloniale qui appauvrit chaque jours davantage les pays concernés.
Pour s’en convaincre il suffit de rappeler les quatre raisons pour lesquelles la France a maintenu le FCFA :

1-      Le Trésor français garantit la convertibilité illimitée du FCFA en euro (autrefois le franc français) ;
2-      La parité du FCFA avec l’euro est fixe ;
3-      Pour assurer cette parité, les réserves de change des pays de la zone franc sont centralisées dans leurs banques centrales, qui doivent en déposer la moitié sur un compte courant dit « compte d’opérations », logé à la Banque de France et géré par le Trésor français ;
4-      Les transferts de capitaux entre la zone Franc et la France sont libres. De cette manière, les Etats africains de la zone Franc se voient ôter toute souveraineté monétaire, tout levier monétaire, et constituent les pays du monde où l’accès au crédit est le plus faible.

Grâce à la parité FCFA/euro, l’Hexagone peut continuer à acquérir des matières premières africaines (cacao, café, bananes, bois, or, pétrole, uranium, etc.) sans débourser de devises, et ses entreprises peuvent investir dans la zone franc sans risque de dépréciation monétaire.

C’est pour toutes ces raisons que certains économistes ont dit  que ce n’est pas un hasard si 11 des 14 pays africains de la zone franc sont aujourd’hui classés parmi les pays les moins avancés. Sans oublier la dernière sortie du vice-premier ministre italien  M. Di Maio qui a également critiqué la France pour avoir manipulé les économies de 14 pays africains utilisant le franc CFA. « Le franc CFA est une monnaie de l’ère coloniale soutenue par le Trésor français », a-t-il martelé.

Trente cinq ans après sa mort, le premier président guinéen n’avait-il pas raison de rejeter ce goulot d’étranglement de l’économie des anciennes colonies de la France?

Celui qui a évité à son peuple les conséquences fâcheuses  que connaissent aujourd’hui les pays de la zone franc de la Communauté Financière Africaine n’était-il pas un visionnaire ?

La monnaie contrôlée par la France, censée aider les pays africains qui l’utilisent depuis 74 ans n’est-elle pas aujourd’hui l’un des pires fléaux de ces pays ?

Quoi qu’on dise, on ne pourra jamais travestir l’histoire, encore moins la réécrire, car elle est un ensemble de faits têtus, dont la falsification relève du manque de probité morale et intellectuelle, de l’imposture ou de la simple ignorance.

Loin de moi la prétention de me substituer aux historiens, la seule intention qui m’anime, c’est de rafraichir la mémoire des amnésiques, et d’informer la nouvelle génération sur le parcours exceptionnel d’un homme qui consacra sa vie au service de sa patrie, celui qui n’a jamais accepté de dilapider les ressources de notre sous-sol, celui qui n’a jamais eu de compte bancaire en Guinée, encore moins à l’étranger.

Même si au lendemain de sa disparition certains journaleux de la presse alimentaire et des intellectuels pervers ont mené une campagne de désinformation et de dénigrement contre la personne du feu président, en prétendant qu’il aurait des châteaux par-ci, des appartements par-là, et des milliards de dollars dans les banques étrangères, aujourd’hui ces colporteurs de mensonge sont à leurs propres frais. Puisqu’il a été démontré que le seul héritage que le Président Ahmed Sékou Touré a laissé à ses enfants ce sont les relations de ses indéfectibles amis.

Le combat de l’homme de 28 septembre n’a pas consisté à s’enrichir mais à libérer notre pays du joug colonial, de sauvegarder l’intérêt supérieur de la nation et de faire rayonner sur le plan national et international ses nobles idéaux et aspirations.

Nous prions pour le repos de l’âme du Père de l’indépendance guinéenne, et demandons au Tout Puissant Allah, de faire de la Guinée, un havre de paix et un pays prospère et démocratique.

Bangaly Condé « Malbanga »

 

 

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