Accord de 20 milliards US entre la Guinée et la Chine : les craintes de Mohamed Touré…

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La signature, mercredi dernier, en marge du sommet des BRICS à Xiamen, d’un accord de 20 milliards de dollars entre la Guinée et la Chine est diversement appréciée par les politiques. Le secrétaire général du Parti démocratique de Guinée- Rassemblement démocratique africain (PDG-RDA) Mohamed, fils de l’ancien président guinéen Ahmed Sékou Touré, a salué -dans une interview accordée jeudi à Mediaguinee à son domicile de Coléah corniche- l’idée d‘engranger des fonds pour la Guinée, mais est resté craintif quant à la gestion de cette grosse fortune par l’Etat guinéen. Parce que, dit-il, « la gouvernance financière aujourd’hui dans notre pays crée beaucoup de doutes, de points d’ombre et prête à équivoque ». Extraits…

« Je vous remercie de vouloir me donner la parole immédiatement après un acte aussi majeur par rapport à la vie socio- économique de notre pays et les implications que cet acte peut avoir aussi sur le plan des relations internationales en général et sur le plan de la coopération économique en particulier.

En principe, je dirais qu’un accord de cette envergure de par sa nature n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire. Puisque de toutes les façons, les réserves minérales que nous avons doivent permettre entre autres de générer des revenus qui nous assureraient de financer les autres aspects de la vie socio-économique de la nation. Ça toujours été le créneau. Je crois que cet accord de ce point de vue ne fait pas la différence. Cependant, nous estimons qu’il faille faire attention puisque 20 milliards de dollars sur 20 ans, c’est un engagement majeur. Nous constatons que cet engagement a été pris simplement parce que le Président de la République notamment et son gouvernement ont la possibilité d’engager la Nation de cette manière et à cette envergure. Donc, cet accord a été pris ou cet accord a été signé sans nécessairement la connaissance préalables des dessous des négociations par la majorité du Peuple de Guinée, même pas par l’intermédiaire des représentants de ce Peuple qui sont les députés. Nous ne voulons pas mettre en cause les attributs du Président de la République parce que c’est dans ses attributions que ce genre de décision est possible et cela lui est accordé par les textes en vigueur chez nous.  Mais nous disons aussi que lui et particulièrement son gouvernement ont le devoir de rendre compte.

A la lecture du contrat-cadre qui nous est proposé, nous restons sur notre faim parce qu’il y a des détails, pas tous les menus détails qu’il va falloir mettre en place au fur et à mesure que cet accord-cadre se mettra en place ou sera exécuté, mais dans l’accord déjà qui a été signé sans l’aval des populations ou de leurs représentants, je crois qu’il y a un certain nombre de détails qu’il est indispensable de connaître.

Ce n’est pas tant sur le plan des dépenses qui seront faites, c’est-à-dire le choix des projets et des décaissements par rapport à eux, mais c’est par rapport à l’échange même qui fonde l’accord.

Les 20 milliards viennent en contrepartie de quoi ? Et comment est-ce que cela est jalonné ? Comment est-ce que tout cela a été réfléchi ? Est-ce que c’est par rapport aux taxes que générerait l’activité minière de ces compagnies chinoises ? Est-ce que c’est par rapport à la quantité brute de minerais qui sera exportée et qui est quantifiable et valorisable en terme monétaire ? L’accord-cadre ne nous le dit pas. Or, il est important  de le savoir, de le comprendre.

Dans le cas spécifique de la gestion de la première République par exemple, parce que cela nous pouvons le dire, premièrement, les mines, les minerais étaient la propriété de la Guinée et comme tel nous avions droit à une part patrimoniale sur ce qui appartenait de droit naturel à la Nation et au Peuple de Guinée. Conséquemment, les négociations se faisaient en fonction de ce précepte. Ce qui fait que par exemple dans les négociations de CBG, vous constaterez que la partie guinéenne avait 49% des parts, les autres partenaires (les partenaires B) comme on les appelait avaient 51%. Ce qui fait que la majorité des parts revenaient à la Guinée. Ainsi, des mécanismes de payement des rentes, d’impôts et taxes minières permettaient à la Guinée en 1984 déjà, des revenus sur la CBG seulement plus de 200 millions de dollars par an, bon an mal an. Cela était pour des hausses conséquentes au fil des années avec la qualification et a l’accroissement de la production minière du pays, si les règles de jeu, comme elles avaient été établies avaient été maintenues. Le troc se faisait aussi, c’est-à-dire qu’on a pris nos minerais et qu’on a échangé contre des biens et des services directement en faisant fi de la monnaie, c’est-à-dire que directement la valeur des biens et services qu’on recevait des pays tiers était rendus par les quantités de bauxite exportées. Et cela s’est matérialisé très nettement par la création d’un office (Office des Bauxites de Kindia) qui avait justement pour raison entre autres la production certainement de bauxite mais aussi le remboursement d’une certaine dette qui avait été octroyée à la Guinée par les pays de l’Est notamment à l’époque.

Le fait d’établir un troc n’est pas en fait quelque chose de mauvais en soi, le fait d’établir un échange quelconque, que cela soit par les biais des impôts ou des finances, des redevances que ces sociétés minières doivent à la Guinée éventuellement, ce n’est pas ça le problème. Le problème c’est de le savoir, de l’établir, que les règles du jeu soient éclaircies de ce point de vue.

Le 2eme handicap que nous avons et dont l’éclaircissement viendra certainement avec le temps, c’est de savoir où vont les décaissements après financement ? Vont-ils dans les caisses de l’État guinéen ? Est-ce qu’il y a un système qui fait que ces décaissements-là aillent directement aux sociétés chinoises qui ont été choisies pour les contrats commerciaux sur la base peut-être d’entente entre l’État guinéen et l’État chinois ou sur la base d’appel d’offres qui serait fait mais seulement vis-à-vis de sociétés chinoises ? Ou est-ce que c’est l’État qui possède ce capital décaissé de la Chine et qui en fait ce qu’il veut à guise ? Ça, nous ne savons pas encore répondre à cette question. Parce que les détails ne nous sont pas donnés.

Si l’argent est directement versé dans les caisses de l’État guinéen, cela pose quelques problèmes. Puisque nous savons que la gouvernance financière aujourd’hui dans notre pays crée beaucoup de doutes, de points d’ombre, elle prête à équivoque. Et tant que c’est le cas, des montants aussi colossaux, qui rentreraient dans le système seraient dans la plupart dilapidés comme c’est le cas jusqu’à présent. Donc, il faut que cet accord-cadre signé, et je sais que la partie chinoise mettra tout en œuvre pour qu’en tout cas sa part de responsabilité dans l’accord soit accomplie, il faut donc que la partie guinéenne clarifie des choses et accepte que la gestion soit faite et que le contrôle de la gestion soit fait par des institutions indépendantes et spécialisées a cet effet. Que ces dernières contrôlent effectivement l’utilisation des fonds par rapport aux objectifs préalablement déterminés.

Dans ces conditions, il y a de fortes chances que nous en tirions profit. Autrement, c’est une charge. Si nous le prenons autrement et que nous les gaspillions, ça devient une charge. Une charge moins pour ceux qui seront en train de les gaspiller certainement mais pour les générations qui viendront après et qui auront en face une dette qu’ils vont payer et qui ne leur a rien apporté que peut-être des millionnaires et des milliardaires guinéens qui naitront de la fraude qu’ils auront provoquée. Ceci est la réalité du système de gestion dans notre pays aujourd’hui: la corruption est, le détournement du denier public est, l’impunité aussi est au vu et au su de tous.

Donc, quand la Nation et le Peuple de Guinée sont engagés par le Président de la République et par son gouvernement à ce niveau, je crois qu’il y a lieu de faire extrêmement attention et de revoir la copie de la gouvernance financière et d’ailleurs, de toute la gouvernance de la Nation. Que les méthodes qui sont aujourd’hui pratiques courantes soient revues et transformées dans le sens de plus de rigueur et dans le sens de rendre compte effectivement des activités que génèrent les montants que finalement la Nation paie. Parce que c’est sur les revenus de la Nation guinéenne que ces financements en avance sont accordés. C’est notre point de vue sur la question.

Ainsi, nous ne dirons pas d’emblée que l’opération est positive en soi. Mais, nous dirons qu’il faut faire très attention et que si les pratiques de gouvernance et de gestion continuent comme elles le sont aujourd’hui, ce montant-là risque d’être une chaîne lourde à traîner par notre Nation. Que Dieu nous en préserve. »

Propos recueillis par Mamadou Savané et Kélètigui Rabah Camara

 

 

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