Analyse de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle relatif à la loi électorale en Guinée (Par Mohamed Camara, juriste)

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La Cour Constitutionnelle a rendu son arrêt n° AC 023 à l’issue de son audience non publique du jeudi 15 juin 2017 en présence de huit (8) Conseillers sur neuf (9).

Cet arrêt nécessite une analyse sur deux points techniques de droit tel qu’il est exceptionnellement admis à l’article 739, alinéa 2 de la loi L/2016/059/AN du mercredi 26 octobre 2016, portant Code pénal de la République de Guinée, pour l’avancée du droit.

Il s’agit de la possibilité ou non de promulguer une loi dont plusieurs articles sont déclarés contraires à la Constitution (I) et de  la qualité de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains à saisir la Cour Constitutionnelle pour le contrôle de conformité d’une Loi organique à la Constitution (II).

I- De la possibilité ou non de promulguer une  loi dont plusieurs articles sont déclarés contraires à la Constitution :

Aux termes de l’article 2 de la Loi 004/APN/83, adoptée le mercredi 16 février 1983 et promulguée par Décret n°149/PRG/83 du mardi 29 mars 1983, portant Code civil de la République de Guinée, « la promulgation est l’acte par lequel le Chef de l’Etat atteste la régularité de la procédure législative et ordonne l’exécution de la Loi ».

En application de l’article 2 alinéa 7 de la Constitution du vendredi 7 mai 2010, le principe de base est que « toute loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet ».

En plus, « une disposition d’une Loi déclarée non conforme à la Constitution ne peut être promulguée ni appliquée » au sens de l’article 80, alinéa 5 de la Constitution.

En clair, les articles déclarés contraires à la Constitution sont nuls, de nul effet et ne peuvent être promulgués ou appliqués en vertu de l’article 96, alinéa 3 de la Constitution.

En droit guinéen, quand une Loi a un grand nombre d’articles déclarés contraires à la Constitution, elle ne peut être promulguée. S’il n’y avait qu’un seul et unique article qui était déclaré contraire à la Constitution et que le champ d’application dudit article ne touche pas à la substance du texte au point de nécessiter une adoption en nouvelle lecture, dans ce cas, ladite Loi pourrait être promulguée à l’exception du seul et unique article. Même l’article 50 de la Loi L/2011/06/CNT adoptée le mardi 4 octobre 2011 et promulguée le jeudi 10 mars 2011, portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle n’admet pas l’idée de détachement de plusieurs articles. L’exception porte sur un seul article, pas plus. Cet article 50 cité ci-dessus, dispose clairement que « Dans le cas où la Cour Constitutionnelle déclare que la Loi dont elle est saisie contient une disposition contraire à la Constitution,  de l’ensemble de cette Loi, celle-ci peut être promulguée à l’exception de cette disposition, à moins qu’une nouvelle lecture ne soit demandée ».

En clair, le texte parle « d’une disposition » et non « des dispositions ».

Ainsi, vouloir ‘’ détacher’’ les articles censurés sans une adoption à l’issue d’une nouvelle lecture dans le but de promulguer très vite la Loi, c’est rendre le texte inopérant dans sa mise en œuvre, créer un précédent dangereux dans la procédure législative, altérer le cadre juridique électoral en le vidant de sa substance à bien des égards. Car, les articles censurés en l’état, portent sur des aspects essentiels de l’élection (du recensement à la publication des résultats, en passant par la composition de la Commission chargée de l’établissement et de la révision des listes électorales, les candidatures y compris celles indépendantes, l’organisation et la supervision des élections, l’assistance technique à la CENI,  entre autres).

On ne dit pas que le Président de la République promulgue quelques articles d’une loi, mais plutôt, il promulgue la Loi dont la teneur suit. C’est l’expression juridique consacrée.

Bref, la promulgation d’une Loi se fait en bloc et non en partie.

L’approche de solution est de ramener ledit texte pour une nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale en utilisant la procédure d’urgence pour être prioritaire sur l’ordre du jour établi à l’Assemblée Nationale en vertu de l’article 71 alinéas 6 et 7 de la Loi 015 du lundi 23 décembre 1991, relative à son Règlement Intérieur. Il n’y a pas de crainte de blocage dans la mesure où  la Cour Constitutionnelle n’a pas invalidé le mode de désignation des Conseils de districts et de quartiers voulu par les deux partis dominants du moment, au grand dam de la décentralisation. Sans compter que les deux partis politiques dominants, disposent de la majorité qualifiée des 2/3 de députés à l’Assemblée Nationale. Il ne faut surtout pas se limiter aux amendements de l’exécutif, étant donné que ce n’est pas une procédure de codification à droit constant. La nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale évitera toute polémique au sujet de la bonne version et sur la régularité de la procédure. Il faut préalablement s’assurer du respect de la procédure législative avant de promulguer ladite Loi. Or, en l’état, la procédure législative n’est pas rendue entièrement régulière grâce à la navette parlementaire avec la nouvelle lecture qui doit en résulter. C’est au terme de la procédure normale, qu’intervient la promulgation pour  rendre la Loi exécutoire. Mais, elle ne sera exécutée qu’après sa publication au journal d’annonce légale ‘’Le JORG’’, le Journal Officiel de la République de Guinée, sur le fondement de l’article 1er du Code civil.

II- De la qualité ou non de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains à saisir la Cour Constitutionnelle pour faire contrôler la conformité d’une Loi organique à la Constitution avant sa promulgation :

Quand une loi est votée à l’Assemblée Nationale, elle est transmise sans délai au Président de la République qui dispose de 10 jours pour sa promulgation, sur le fondement de l’article 78 de la Constitution.

Mais, les 10 jours commencent à courir seulement, 8 jours francs après le dépôt de ladite Loi au Président de la République. Ces 8 jours francs, c’est-à-dire qui durent de 0h à 24h, sont mis à profit pour introduire des recours visant à contrôler la conformité de la Loi à la Constitution. Ce type de contrôle est appelé, contrôle de constitutionnalité a priori c’est-à-dire, avant sa promulgation et par voie d’action c’est-à-dire, par des Institutions et personnes précisément citées à l’avance.

Ainsi, l’article 80, alinéa 1er de la Constitution admet que « Dans les huit jours francs qui suivent l’adoption d’une Loi, le Président de la République, un dixième au moins des Députés ou l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains, peuvent saisir la Cour Constitutionnelle d’un recours visant à faire contrôler la conformité de la Loi à la Constitution ». Ce contrôle est obligatoire s’il concerne une Loi organique d’où le verbe « devoir ». Il est facultatif pour les Lois ordinaires d’où le verbe « pouvoir ».

Ce n’est pas une compétence exclusive réservée au Président de la République, mais, une compétence partagée avec les personnes et Institutions citées aux articles 80 alinéa 1er et 95 alinéa 2 de la Constitution.

Dire que le Président de la République doit obligatoirement saisir la Cour Constitutionnelle avant de promulguer une loi organique, signifie doublement qu’il doit le faire en ayant juré de respecter et de faire respecter la Constitution et en raison du fait qu’une Loi organique constitue le prolongement de la Constitution. L’article 83 de la Constitution n’indique pas que le Président de la République doit exclusivement saisir la Cour Constitutionnelle. Il s’y ajoute que l’adverbe « obligatoirement »  est différent de celui « exclusivement ». A préciser aussi que « obligatoirement » ne signifie pas non plus, le seul habilité à saisir la Cour Constitutionnelle pour le contrôle de conformité d’une Loi organique. C’est juste pour enlever tout caractère facultatif au recours du Président de la République visant à faire contrôler la conformité des Lois organiques à la Constitution. Dès lors, on ne peut aucunement se fonder sur l’article 83 de la Constitution  pour priver l’INIDH de sa qualité de saisine d’un recours visant à faire contrôler la conformité de la Loi fût-elle organique.

 

L’argument tendant à vouloir donner à l’INIDH, la qualité restrictive de saisir la Cour Constitutionnelle seulement au sujet des Lois ordinaires, n’a pas de fondement juridique et ne peut pas  prospérer, dans la mesure où l’article 95 alinéa 2 de la Constitution dispose que « les Lois ordinaires, avant leur promulgation, peuvent être déférées à la Cour Constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par le Président de l’Assemblée Nationale ou par un dixième des députés ». L’INIDH n’est pas expressément citée au titre des Lois ordinaires. C’est très clair. Cela  ne signifie pas pour autant son exclusion, étant donné que son droit de saisine est garanti à l’article 80 de la Constitution de façon générale, avant la promulgation d’une Loi.

Enfin, vouloir prendre pour prétexte, la matière électorale pour justifier la privation de l’INIDH de sa qualité de saisine, ne tient pas non plus, étant rappelé que le droit électoral relève de la première génération de libertés et droits fondamentaux dénommés ‘’droits civils et politiques’’. L’INIDH a constitutionnellement été ajoutée à bon droit, avec la qualité requise pour demander le contrôle de conformité d’une Loi à la Constitution a priori et voie d’action afin de parer à l’inaction éventuelle des autres Institutions et personnes habilitées jadis, à introduire ce type de recours.

En conclusion, les velléités trop prononcées à faire semblant de calmer  les crises en les reportant sans cesse au lieu de les résoudre véritablement, l’usage répété de l’argutie juridique pour défendre à tout prix l’anormal, l’impunité grandissante et la préférence marquée pour le consensus au détriment de l’application de la Loi, pénalisent le bon fonctionnement du pays et contribuent à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat qu’il convient de restaurer par le respect des textes de Loi.

Conakry, le 30 juin 2017.  

Mohamed CAMARA, Juriste, Chargé de Cours de Droit

 

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