Genève au cœur d’une affaire à mille milliards (Tribune de Genève)

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Matières premières. Pour obtenir l’accès à un gisement minier en Afrique, le groupe BSGR, administré à Genève, aurait usé de corruption. Il s’en défend avec énergie. Procès.

Simandou. Les montagnes du sud de la Guinée se sont fait un nom. Elles regorgent de minerais de fer, on le sait depuis les temps coloniaux. Leur surface ocre cache les plus grands gisements inexploités au monde, d’une valeur de plus de mille milliards de dollars, croit-on savoir aujourd’hui. Elles incarnent la « malédiction des matières premières », une expression connue en Afrique qui signifie qu’un sous-sol riche est synonyme de pauvreté pour la population.

La chaîne de Simandou revient cette semaine sur le devant de la scène à Paris. Lors d’un procès privé qui oppose, devant une Cour d’arbitrage, la République de Guinée à la société BSGR, le groupe du milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz. Au centre de la procédure : la façon dont ce dernier a obtenu ses droits miniers sur Simandou entre 2006 et 2009. Conakry l’accuse d’avoir corrompu les plus hautes instances du régime d’alors ; le baron des mines rétorque être victime d’une conspiration.

Les audiences, qui durent jusqu’à vendredi, ont mis à jour tous les détails sur cette affaire qui tient le monde minier en haleine depuis cinq ans.

Un président influençable

Ces éléments sont dignes d’un roman policier. En 2005, une filiale de BSGR administrée à Genève, Onyx, recourt au cabinet Mossack Fonseca, de triste réputation depuis les révélations des Panama Papers, pour créer une société écran, Pentler. Onyx la cède aussitôt à trois hommes d’affaires réputés pour leur réseau en Afrique. Leur mission, selon les avocats de la Guinée : obtenir les droits miniers pour plusieurs zones de la chaîne montagneuse, dont certaines de Rio Tinto (un géant qui campe sur la montagne depuis plus de dix ans), contre 15% du projet minier à venir et des honoraires de 19,5 millions de dollars.

Ils commencent par distribuer des cadeaux à des fonctionnaires guinéens, puis cherchent à contacter le ministre des Mines de l’époque, Tidiane Souaré, qui ne répond pas. Deux hommes d’affaires locaux, Aboubacar Bah et Ibrahima Sory Touré, leur permettent d’accéder au ministre des Sports, qui présente un des hommes de Pentler, Frédéric Cilins, à Mamadie Touré, la quatrième épouse du chef de l’Etat, Lansana Conté.

But de l’opération : la soudoyer, elle et les autres maillons de la chaîne, en échange de « services, conseils et assistance », selon les termes d’un contrat présenté lors des audiences. Il faut comprendre par-là : pression auprès de son mari pour qu’il octroie à BSGR un accès à Simandou. Lansana Conté serait d’autant plus influençable qu’il souffre depuis plusieurs années d’une leucémie et d’une forme aiguë de diabète. Ses quatre femmes en auraient largement profité, selon un câble diplomatique de l’ambassade des Etats-Unis en Guinée. Ce qui n’aurait pas échappé aux administrateurs de Pentler.

Quatre accords de rémunérations illicites sont conclus le 20 février 2006, selon une pièce de la procédure. Le premier prévoit de verser 15,6 millions de dollars à Aboubacar Bah et Ibrahima Sory Touré. Le deuxième octroie une participation de 5% dans le projet de BSGR sur Simandou à Mamadie Touré (une femme de 24 ans sans aucune expertise du secteur minier).

Cadeaux et versements

Les deux derniers octroient une participation dans le projet et un versement de 3,8 millions de dollars à un autre entremetteur. Le premier et le dernier accord portent sur une somme totale de 19,5 millions de dollars, exactement l’honoraire promis par BSGR à ses « consultants » de Pentler, comme elle les appelle.

La méthode fonctionne : BSGR obtient aussitôt un droit de préemption sur les gisements de Simandou s’ils devenaient libres. Cette ouverture de l’accès à Simandou tombe le 28 juillet 2008, quand Lansana Conté signe un décret de retrait de la concession de Rio Tinto. En décembre, juste avant le décès du président, BSGR obtient les droits miniers de Rio Tinto.

Ce schéma corruptif se serait répété pour l’obtention d’autres concessions en Guinée, ailleurs à Simandou mais aussi sur un gisement de bauxite et des mines d’uranium. Pour fluidifier les négociations, les administrateurs de Pentler ont offert une montre – elle vaut moins de 5000 dollars, diront-ils par la suite – et une voiture miniature plaquée or et sertie de diamants.

En avril 2010, coup de tonnerre. BSGR cède 51% dans son projet à Simandou, pour 2,5 milliards de dollars, au géant minier Vale, dont l’une des antennes internationales est à Saint-Prex (VD). Dès la signature de l’accord, le groupe de Beny Steinmetz perçoit un premier acompte de 500 millions. Mamadie Touré, qui aurait estimé ne pas avoir reçu suffisamment en comparaison, recevra 5,5 millions de BSGR par la suite, non sans avoir été remerciée avec deux Toyota Land Cruiser entre-temps, en échange de son silence, selon un autre document. Il sera de courte durée.

Ça, c’est la version des avocats de la Guinée. Qui se félicitent au passage d’avoir pu récolter « un nombre de preuves rarement observé dans un cas de corruption ». Le ministre guinéen des Mines en 2006, Tidiane Souaré, atteste dans une déposition avoir octroyé une concession sous pression de Mamadie Touré.

Les transferts d’argent, de BSGR à Pentler, puis de Pentler aux personnalités corrompues, ne laisseraient planer aucun doute, selon les avocats de la Guinée, tant les montants sont similaires et corrélés dans le temps. Mamadie Touré, exilée en Floride, a en outre tout avoué auprès du FBI.

Du côté de BSGR, on souligne au contraire le manque flagrant de preuves. Le témoignage de Mamadie Touré ? Il ne serait pas fiable : le fait que les Etats-Unis lui aient promis la citoyenneté américaine si elle fournissait des preuves contre Pentler et BSGR l’aurait incitée à le faire. Aucun autre témoin, sinon Tidiane Souaré – qui dit ne pas bien se souvenir et qui se contredit dans plusieurs autres témoignages – ne confirmerait ses propos. L’ex-femme du chef de l’Etat ne se rend en outre pas à la barre à Paris – le groupe minier s’empresse de souligner l’absence de ce témoin clé aux audiences parisiennes, ce qui décrédibiliserait ses allégations.

Conspiration internationale

Les avocats de BSGR peignent un tout autre tableau : le décret présidentiel du 28 juillet 2008 puis le retrait de la concession de Rio Tinto seraient le résultat d’une décision mûrement réfléchie par de nombreux hauts fonctionnaires guinéens. Et peu surprenante, tant la firme anglo-australienne a été peu efficace depuis 1997. Elle conserve néanmoins la partie de Simandou dans laquelle elle avait prospecté, non sans avoir corrompu par le biais d’un intermédiaire des fonctionnaires haut placés pour s’en assurer.

Que BSGR ait postulé pour les concessions de Rio Tinto à Simandou avant qu’on ne les lui retire n’est pas surprenant, à en croire ses défenseurs. Le groupe de Beny Steinmetz n’aurait fait qu’anticiper la perte des droits de son concurrent face à ses piètres résultats. Pour ce faire, nul recours à Mamadie Touré ou à un autre intermédiaire : BSGR dit être allé voir le Centre de promotion et de développement miniers. L’instance étatique en charge des Mines lui aurait donné son feu vert pour donner les permis rétrocédés à Rio Tinto non sans s’être minutieusement assurée que BSGR était à la hauteur de la tâche. De nombreux documents l’attestent, ajoute le bras minier du conglomérat de la famille Steinmetz.

Les ennuis de BSGR ? Ils seraient le fait d’une concurrence malsaine – Rio Tinto aurait organisé une campagne de presse à son encontre après sa défaite – mais aussi du vainqueur de l’élection présidentielle en décembre 2010, Alpha Condé.

L’ancien éternel opposant aurait notamment été soutenu par un dénommé Sammy Mebiame, qui travaille pour le hedge fund américain Och-Ziff. Sans lui, il n’aurait jamais pu devenir président, selon BSGR. En contrepartie, Alpha Condé entendrait lui remettre les droits sur Simandou. Il aurait donc tout fait pour les retirer à BSGR. Alpha Condé serait soutenu par George Soros, un financier américain qui vouerait une haine féroce à Beny Steinmetz, a encore souligné ce dernier durant le procès à Paris. Selon le milliardaire franco-israélien, le financier américain orchestrerait toute la conspiration.

Sammy Mebiame, l’homme du hedge fund, a été arrêté en août 2016 à New York. Il a reconnu avoir corrompu Alpha Condé et d’autres hauts fonctionnaires guinéens. Pour fluidifier les négociations, il admet avoir versé du cash et offert une Mercedes Benz Classe S

Retour à Paris. Le tribunal devrait rendre son jugement cet été avant un autre procès à Genève, qui devrait se tenir cet automne.

Timeline :

1997 : Rio Tinto arrive en Guinée et obtient le droit de forer la montagne de Simandou. Le groupe minier découvre ce qui est considéré comme l’un des plus importants gisements de minerais de fer.

2008 : Peu avant sa mort, le dictateur Lansana Conté retire au géant minier Rio Tinto la moitié de sa concession, arguant de retards pris dans les travaux. Ces droits sont offerts à BSGR, bras minier du conglomérat de la famille Steinmetz.

2010 : BSGR abandonne le contrôle de 51% de sa concession en Guinée au géant brésilien Vale pour 2,5 milliards de dollars, dont un premier versement de 500 millions cash. De son côté, Rio fait venir le géant chinois Chinalco sur sa partie du gisement, en échange de 1,35 milliard de dollars.

En fin d’année, Alpha Condé est élu à la tête du pays et promet de remettre à plat l’ensemble des concessions minières.

2013 : L’arrestation, en Floride, d’un ancien intermédiaire français de BSGR, déclenche toute l’affaire. Le FBI révèle qu’il allait offrir 6 millions de dollars à l’une des veuves en exil du dictateur Lansana Conté, afin de détruire des documents compromettants.

Beny Steinmetz est entendu quelques mois plus tard par la justice genevoise et des perquisitions sont menées chez lui, quai du Mont-Blanc.

2014 : Un comité mis en place par le nouveau gouvernement guinéen conclut que les concessions de BSGR ont été obtenues grâce à des dessous-de-table et que ces dernières doivent lui être retirées.

2016 : Rio Tinto se sépare de ce qui lui restait de sa concession sur la montagne de fer au profit de Chinalco. Cette retraite de Guinée se double d’une purge de la direction générale du groupe – dont deux membres sont mis à la porte.

Beny Steinmetz quitte Genève pour retourner en Israël. En fin d’année, coup de tonnerre : la police israélienne place l’héritier de cette famille de diamantaires sous arrêts domiciliaires.

2017 : En avril, BSGR porte plainte contre le magnat Georges Soros et son Open Society Foundation aux Etats-Unis. A l’origine de toute cette affaire guinéenne, ils auraient « détruit un investissement légal d’au moins 5 milliards de dollars destinés à exploiter l’un des plus précieux gisements de minerais de fer, en Guinée, en ayant recours à de la fraude, de la diffamation et des actes criminels ».

A la fin de mai, le groupe de Beny Steinmetz affronte les avocats de la Guinée devant le CIRDI – le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements.

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Un procès pourrait se tenir à Genève cet automne

Les démêlés de BSGR touchent Genève de près. Juridiquement, la plupart des sociétés de la maison mère de BSGR, BSG Investments, sont basées ailleurs, mais dans les faits le canton est au centre. Dans une procédure pénale contre le groupe, les Etats-Unis évoquent d’ailleurs un «conglomérat minier basé en Suisse».

Au sommet de la structure du groupe figure une fondation, Balda, qui siège au Liechtenstein. Elle possède des holdings dans des secteurs variés, dont BSG Investments. Balda récolte et redistribue leurs bénéfices. L’ancien bâtonnier genevois Marc Bonnant figure, avec un avocat liechtensteinois et un trust, parmi les trois membres du conseil de Balda. Eux seuls décident comment sont distribués les revenus des holdings parmi une liste secrète de bénéficiaires. Seul un nom est connu, celui de Beny Steinmetz, qui sert de «consultant» à la fondation. BSGR a ainsi recouru à son expertise en Guinée.

Marc Bonnant, son ami de longue date, est aussi son avocat. Il le défendra durant un procès qui pourrait se tenir à Genève cet automne. Une procédure pénale à son encontre, pour corruption d’agents publics étrangers, a en effet été lancée en 2013 par la justice genevoise. Elle aurait incité Beny Steinmetz à quitter Genève, où il a longtemps vécu, pour Israël. Sur le banc devraient figurer à ses côtés Frédéric Cilins (lire ci-dessus) et Sandra Merloni-Horemans, une Belge présente dans chaque division de BSGR. Son domicile à Thoiry, et celui de Beny Steinmetz en ville, ont fait l’objet d’une perquisition dans ce cadre. Tous sont défendus par des avocats genevois. En face, la Guinée sera aussi représentée par une étude du canton.

Sandra Merloni-Horemans et l’administrateur de la société du Grand-Saconnex Onyx Financial Advisors auraient créé la société Pentler pour corrompre des cadres en Guinée afin d’obtenir les droits sur Simandou, selon les avocats de la nation ouest africaine.

Quant à la société Matinda au nom de Mamadie Touré, qui aurait été créée pour émettre des factures factices destinées à camoufler des versements illicites, elle a été constituée avec l’aide de deux groupes actifs à Genève, Mossack Fonseca et Agefor. On notera enfin que c’est l’associée de l’étude genevoise LKK, Gabrielle Kaufmann-Kohler, qui préside le procès à Paris cette semaine.

Source: Tribune de Genève (Suisse)

 

 

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