Gestion des déchets : Pour une approche juridique intégrée (Par Youssouf Sylla)

0

Obtenez des mises à jour en temps réel directement sur votre appareil, abonnez-vous maintenant.

Pourquoi le Guinée aurait-elle besoin d’un nouveau dispositif juridique pour gérer ses déchets ? La réponse à cette question est double. C’est d’abord le souci de gérer de manière écologiquement rationnelle les déchets tout en maitrisant leurs impacts sur la santé humaine et l’environnement. C’est ensuite le souci d’ériger cette gestion en activité économique rentable, capable d’offrir de nombreuses opportunités d’emplois aux jeunes en chômage.

Pour en arriver là, le nouveau dispositif doit se distinguer de l’approche fragmentée. Il doit être ambitieux, accessible et surtout intégré dans une loi spéciale. Cette loi doit réunir en son sein les paramètres constitutifs d’une gestion écologiquement rationnelle des déchets par la classification de ceux-ci par nature, la définition du rôle respectif de chaque acteur (public ou privé) et par l’identification des éléments à prendre en considération dans l’élaboration des plans directeurs de gestion des déchets au niveau national, régional et local.

Le nouveau dispositif intégré doit mettre en place un mode de traitement rigoureux des déchets respectueux de l’environnement et de la santé ainsi qu’un mécanisme de sanction efficace et intégré des infractions aux règles de gestion des déchets. Ce dispositif doit enfin être complété par des textes réglementaires qui préciseront la portée de certaines dispositions de la loi spéciale.

S’inspirer du modèle marocain

La loi modèle qui devrait inspirer la Guinée dans l’élaboration de sa loi spéciale peut être la loi marocaine (loi n°28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination) qui constitue un exemple avancé d’une approche intégrée du droit des déchets. Dans son article premier, la loi marocaine déclare que son objet est de «prévenir et de protéger la santé de l’homme, la faune, la flore, les eaux, l’air, le sol, les écosystèmes, les sites et paysages et l’environnement en général contre les effets nocifs des déchets.

A cet effet, elle vise : – la prévention de la nocivité des déchets et la réduction de leur production; – l’organisation de la collecte, du transport, du stockage, du traitement des déchets et de leur élimination de façon écologiquement rationnelle; – la valorisation des déchets par le réemploi, le recyclage ou toute autre opération visant à obtenir, à partir des déchets, des matériaux réutilisables ou de l’énergie; – la planification nationale, régionale et locale en matière de gestion et d’élimination des déchets; – l’information du public sur les effets nocifs des déchets, sur la santé publique et l’environnement ainsi que sur les mesures de prévention ou de compensation de leurs effets préjudiciables; – la mise en place d’un système de contrôle et de répression des infractions commises dans ce domaine».

Toutes fois, certains déchets font l’objet d’une législation à part. il s’agit des déchets radioactifs, des épaves des navires et toutes autres épaves maritimes, les effluents gazeux ainsi que les déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects dans une eau superficielle ou une nappe souterraine exceptés les rejets qui sont contenus dans des récipients fermés.

Après avoir défini le déchet dans son article 3 comme « tous résidus résultant d’un processus d’extraction, exploitation, transformation, production, consommation, utilisation, contrôle ou filtration, et d’une manière générale, tout objet et matière abandonnés ou que le détenteur doit éliminer pour ne pas porter atteinte à la santé, à la salubrité publique et à l’environnement », la loi identifie et défini différents types de déchets : ménagers, assimilés aux déchets ménagers, industriels, médicaux et pharmaceutiques, dangereux, inertes, agricoles, ultimes et biodégradables.

Sur la prévention des déchets la loi indique, en son article 4, que les générateurs de déchets (personne physique ou morale qui produisent des déchets) utilisent les techniques les plus appropriés afin que les déchets produits soient de moindre quantité et que leur nocivité soit réduite. La loi instaure une gestion planifiée des déchets à tous les échelons du Royaume. Ces plans sont élaborés pour une durée de 10 ans et peuvent faire objet de modification ou d’adaptation lorsque les circonstances l’exigent.

Au niveau national, il relève de la responsabilité de l’administration d’élaborer le Plan directeur national de gestion des déchets dangereux en étroite collaboration avec les collectivités locales et les professionnels concernés. Niveau régional, la loi exige que les régions soient dotées d’un Plan directeur régional de gestion des déchets industriels, médicaux et pharmaceutiques non dangereux et des déchets ultimes, agricoles et inertes. Au niveau préfectoral, la loi exige enfin que les préfectures ou provinces soient dotées d’un Plan directeur préfectoral ou provincial de gestion des déchets ménagers et assimilés.

En ce qui concerne la gestion des déchets ménagers et assimilés, l’article 16 de la loi confie cette responsabilité aux communes qui l’assument à travers le service public communal. Ce service comprend la collecte, le transport, la mise en décharge, l’élimination, le traitement, la valorisation et le cas échéant le tri des déchets. Pour ce qui est du mode de gestion de ce service public, l’article 18 de la loi prévoit que « Les communes ou leurs groupements décident des modes de gestion du service public des déchets ménagers et assimilés, par voie de régie directe, de régie autonome, de concession ou de toute autre forme de gestion directe ou de gestion déléguée ».

Cette gestion donne lieu à la perception d’une redevance dont le taux est fixé par le conseil communal. Les communes peuvent aussi « commercialiser le produit des déchets valorisés, les réutiliser à diverses fins ou les concéder à d’autres utilisateurs sous réserve que leurs caractéristiques et les modalités de leur réutilisation soient compatibles avec les exigences de préservation de la santé de l’homme et de protection de l’environnement ». Toutefois, la loi en son article 18 habilite les communes et leur regroupement à élaborer un Plan communal ou intercommunal de gestion des déchets ménagers et assimilés. Ce plan doit tenir compte des orientations du plan directeur préfectoral ou provincial de gestion des déchets de même nature.

A chaque type de déchet (ménagers, assimilés aux déchets ménagers, industriels, médicaux et pharmaceutiques, dangereux, inertes, agricoles, ultimes et biodégradables), la loi prévoit un mode de traitement spécial en lien avec ses caractéristiques. Le détail de cette gestion est fixé dans divers textes règlementaires auxquels la loi fait référence.

La loi règlemente strictement les décharges contrôlées et les classe selon le type de déchets qu’elles reçoivent. Ainsi, il y a des décharges contrôlées de classe 1 faites pour les déchets ménagers et assimilés, les décharges contrôlées de classe 2 faites pour déchets industriels, médicaux et pharmaceutiques non dangereux, des déchets agricoles, des déchets ultimes et inertes, et les décharges contrôlées de classe faites pour les déchets dangereux. Il est interdit d’installer ces décharges dans des zones dites sensibles (parcs nationaux, aires protégées, sites touristiques, zones humides et forestière, etc.).

Les installations de traitement de valorisation d’incinération, de stockage et d’élimination des déchets sont ouvertes, transférées, modifiées et fermées en vertu d’une autorisation de l’administration et selon les prescriptions techniques précises. Ces prescriptions doivent suffisamment intégrer les préoccupations sanitaires et environnementales. En ce qui concerne la demande d’autorisation prévue par la loi, celle-ci exige du pétitionnaire qu’il donne de larges informations sur son projet. Ces informations concernent notamment l’identité du demandeur, la nature des activités à exercer, le type et la quantité des déchets, l’étude d’impact environnemental, etc.

La loi met enfin en place un mécanisme rigoureux de contrôle des activités de gestion des déchets et de sanction des infractions. Ainsi, les exploitants impliqués dans la gestion des déchets font l’objet d’un contrôle périodique de l’administration. Le contrôle intervient à tous les stades de la gestion des déchets. Les agents de contrôle ont accès aux décharges contrôlées, aux installations de traitement, de valorisation, d’incinération et d’élimination des déchets. S’ils constatent dans ces installations un danger imminent pour la santé humaine ou l’environnement, l’administration peut dans ce cas, ordonner à l’exploitant de prendre des mesures qui s’imposent pour améliorer la situation. En cas de refus d’exécution de l’exploitant, l’administration se substitue à lui et prend exécute d’office les mesures qui s’imposent aux frais de l’exploitant. En outre, l’administration dispose d’un pouvoir de suspension des activités des installations qui ne respectent pas les prescriptions de la loi.

En ce qui concerne le constat des infractions commises au titre de la loi, il est effectué par les agents de contrôle qui sont soit des officiers de la police judiciaire, soit les agents de l’administration communale dédiés à cette tâche soit fonctionnaires assermentés. Ces agents dressent un procès-verbal qui constate les infractions et les notifie à l’administration. Selon les cas, celle-ci met en demeure par écrit l’exploitant à remédier à la situation dans un délai fixé par avance. L’administration peut aussi poursuivre devant le juge compétent l’exploitant qui a transgressé la loi. Les sanctions prévues par la loi sont les amendes et des peines privatives de liberté. L’article 81 bis de la loi prévoit la mise à disposition du 20% du produit des amendes infligées au Fonds national pour la protection et la mise en valeur de l’environnement.

L’économie circulaire et la fin des gaspillages

La mise en place en Guinée de cette approche juridique aura d’importants avantages économiques. Elle offrira aux investisseurs privés et aux bailleurs de fonds un cadre amélioré et simplifié pour le déploiement de leurs activités dans un secteur fondamental pour l’environnement, la santé et surtout l’économie.

En effet, la filière de la valorisation des déchets constitue de nos jours un véritable enjeu pour le développement durable. Pourquoi ? Par ce que la valorisation par recyclage permet de sortir du gaspillage des ressources que favorise l’économie dite linéaire. Elle promeut une approche plus responsable de l’homme sur les ressources disponibles à travers l’économie dite circulaire. Il s’agit selon de l’Agence française de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie (ADEME) d’une économie qui « vise à changer de paradigme par rapport à l’économie dite linéaire, en limitant le gaspillage des ressources et l’impact environnemental, et en augmentant l’efficacité à tous les stades de l’économie des produits ».

Au total, réussite de cette réforme d’envergure dans la gestion des déchets en Guinée exige une condition fondamentale : c’est la forte volonté politique de révolutionner la gouvernance dans un secteur jusque-là touché par l’immobilisme et la fatalité.

Par Youssouf Sylla, analyste-juriste à Conakry

 

Obtenez des mises à jour en temps réel directement sur votre appareil, abonnez-vous maintenant.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus

Open chat
Mediaguinee.com
Avez-vous une information à partager?
Besoin d'un renseignement?
Contactez Mediaguinee.com sur WhatsApp