Guinée-SANTE : L’insuffisance de laboratoires modernes expose le pays (Enquête)

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Conakry, Guinée : Plus de deux ans après la fin de l’épidémie de la fièvre hémorragique Ebola, la Guinée n’a pas réussi à rehausser le nombre  de laboratoires modernes pour détecter  cette pathologie. Sur 8 régions administratives du pays, seules trois disposent d’équipements de diagnostic de dernière génération. Pourtant, le passage de la maladie Ebola dans ce  pays a causé  au moins 2500 morts.

Malgré des apports importants de la communauté internationale à la Guinée, la quantité de laboratoires n’ pas évolué dans le pays depuis la fin de l’épidémie . En période de crise sanitaire, l’OMS citait cinq laboratoires fonctionnels dans un Rapport sur la situation de la flambée de la maladie à virus Ebola (fin janvier 2015). Deux années après la fin d’Ebola, seuls quatre laboratoires modernes fonctionnent !

La «quasi inexistence de laboratoires dans le pays» avait été détectée pourtant comme l’une des «faiblesses » de la surveillance épidémiologique avant Ebola en Guinée, rappelle Dr Facinet Yattara, désormais ex-Chef du Département Surveillance Intégrée et Réponse de l’Agence nationale de la Sécurité sanitaire (ANSS).

«Nous savons que la surveillance sans laboratoires est aveugle. C’est le laboratoire qui nous permet de savoir » la réalité de ce qui est suspecté.

«Pas suffisant »

Le directeur national du laboratoire des fièvres hémorragiques, Dr N’Fanly Magassouba, ne trouve «pas suffisant » ce nombre de laboratoires. Le pays court des «risques »  sur plusieurs plans, lorsqu’un événement arrive loin d’une de ces zones où est installé un laboratoire dit de dernière génération.

Dr Magassouba explique que  «S’il y a un cas à Siguiri, par exemple,  il faut le transporter à Conakry, soit à 700 kilomètres. Ou alors à 400 kilomètres pour aller vers N’Zérékoré. Cela fait beaucoup de dépenses et de perte de temps. Or, c’est quand le laboratoire est plus proche que la prise en charge -du cas suspect, ndlr- est rapide. Le fait qu’on fasse la notification,  l’investigation, les prélèvements et leur acheminement, cela risque de  prendre entre 24 à 48 heures.  Il faut également faire le test des malades et envoyer les résultats. Donc le délai ira jusqu’à 72 heures.».

Pourtant  l’OMS, exige «une évaluation dans les 48 heures de tous les événements urgents signalés et la notification immédiate à l’OMS, en vertu de l’article 6 du RSI (Règlement sanitaire international). »

«La perspective, poursuit Dr Magassouba, c’est de voir si au niveau des hôpitaux régionaux, l’on peut créer des laboratoires  de niveau un peu inférieur, mais capables de faire un certain diagnostic. Ce sont  vraiment des perspectives. »

Mais à l’analyse de Dr Yattara, l’aide apportée à  la Guinée dans le cadre de la riposte à l’épidémie Ebola a eu un impact positif sur le système sanitaire de la Guinée.

«A l’heure où nous sommes, on a la possibilité d’assurer le diagnostic d’Ebola en moins de 24 heures dans le pays et pas seulement à Conakry (capitale de la République de Guinée), mais à l’intérieur du pays également » fait-il remarquer.

Cet expert qui a longtemps été au front de la riposte à Ebola note «également  la possibilité dans le pays de diagnostiquer et confirmer toutes les maladies dont on était obligé d’envoyer les échantillons à l’extérieur. Ce sont des  laboratoires de microbiologie que de virologie. En termes de laboratoires, on est grandement avancé par rapport à la situation avant Ebola

«Au moins 115 agents de santé morts pendant Ebola »

Dans la matinée du 26 décembre 2017, à l’hôpital régional de N’Zérékoré que nous avons visité, un médecin  est sorti du laboratoire d’analyses biomédicales avec une lame en main,  portant un prélèvement sanguin. Ne portant ni gants, ni même une blouse blanche, ce laborantin se dirige vers d’autres salles situées à quelques mètres de là, avant de revenir des minutes après.

«Une personne qui manipule une lame sans gants, cela veut dire qu’elle  n’a rien compris et  fait fi  des mesures de biosécurité. Manipuler des prélèvements sans gants, c’est un comportement qui n’est plus  permis » réagit  un expert épidémiologiste, sous le sceau de l’anonymat.

L’insuffisance de la formation du personnel médical  avait été relevée, analyse Dr Magassouba, comme «l’un des grands problèmes pendant l’épidémie Ebola ».

En Guinée, selon l’ANSS, au moins 115 agents de santé  pour près de 200 infections, sont morts dans la flambée de l’épidémie  à virus Ebola.

«Nous recevons parfois des échantillons mal prélevés, ne respectant pas les normes» regrette Dr Barry Mamadou Diouldé, Biologiste de l’Hôpital Régional de N’Zérékoré, responsable du nouveau laboratoire moléculaire.

«Dans les conditions normales, explique-t-il,  lorsque cela arrive, nous devons organiser des visites de terrain pour aller expliquer les procédures aux gens. Mais nous n’avons pas de moyens.  Il y avait parfois des flacons qui ne sont pas appropriés et lors du transport, le liquide (prélèvement de sperme) peut se perdre. Et il faut  le reprendre ».

«Opportunité »

En 2014, au pire moment de la crise sanitaire Ebola, le chef de l’Etat guinéen, faisait la promesse aux populations de transformer cette difficile épreuve en « opportunité ».

«Aujourd’hui, l’épidémie a fragilisé notre économie. Mais si Dieu le veut, on transformera cette maladie en opportunité’’ a dit Pr Alpha Condé à Kamsar, dans la préfecture de Boké.

Dans cette cité minière, il a promis  «la construction de 5 centres hospitalo-universitaires (CHU) dont un à Conakry, et dans certains chefs-lieux de régions,  un hôpital digne de nom dans chacune des 33 préfectures de la Guinée et un dispensaire par  sous-préfecture. » Cette promesse tarde à se réaliser.

Mais à  Nongo «Contéyah », quartier  huppé de la haute banlieue de Conakry, un grand bâtiment jaune a poussé de terre depuis la fin de l’épidémie d’Ebola. Ces locaux, acquis de la lutte contre la maladie à fièvre hémorragique Ebola,  servent le Laboratoire national des fièvres hémorragiques. Flambant neuf, il est composé de 13 salles de laboratoires  entièrement équipées et de quatre  salles  servant de bureaux au personnel.

Le labo National des fievres hémorragiques à Nongo

«Il y a de l’équipement lourd » se réjouit le directeur du laboratoire, Dr N’Fanly Magassouba, qui nous fait visiter  ce centre.

Magassouba ajoute que «C’est un  laboratoire  qui s’occupe des maladies virales à potentiel épidémique particulièrement des maladies responsables des  fièvres hémorragiques telles que la fièvre jaune, la fièvre lassa, Ebola etc…Ces maladies sont endémiques en Guinée et on connait les conséquences de l’épidémie de la  fièvre Ebola. »

Ce laboratoire qu’il qualifie de référence  gère un système de laboratoires composé de  deux antennes  relais en région forestière notamment  en N’Zérékoré et Guéckédou, et de celui  du CREMS à Kindia, co-géré par la Guinée et la Russie.

Deux laboratoires sont encore en  construction dans la capitale Conakry,  à savoir un pour l’Institut Pasteur (France)  et l’autre Detra qui est Américain.

 «Grosse erreur »

Mais  «Construire son système et le tailler sur mesure pour lutter contre un seul pathogène, est une grosse erreur » analyse un expert épidémiologiste indépendant sous le sceau de l’anonymat.

Contrairement à Dr Yattara de  l’Agence nationale de sécurité sanitaire qui trouve que la Guinée est capable de faire face  à toute épidémie de nos jours,  cet expert reste sceptique.

«Les laboratoires à mettre en place devraient être des  multifonctionnels  capables de faire des diagnostics en biologie, en parasitologie  tout comme en bactériologie. Pendant la crise sanitaire liée à Ebola, certains laboratoires  ne pouvaient diagnostiquer que les fièvres hémorragiques : Ebola et le Marbourg. Pourtant ces deux, pris dans le lot des philos virus responsables de fièvres hémorragiques,  ne représentent qu’un petit pourcentage. Il faut en tenir compte » également, insiste-t-il.

Le laboratoire  moderne de N’Zérékoré, par exemple,  ne peut diagnostiquer la fièvre jaune, pourtant une autre «maladie sous surveillance » de l’OMS en Guinée.

Le «Bulletin épidémiologique hebdomadaire » de l’ANSS  du 25 février dernier  note que des échantillons prélevés sur deux cas de fièvre jaune à Souguéta dans la préfecture de Kindia (Basse-Guinée), où est installé un laboratoire moderne co-géré avec la Russie,  «sont en cours d’acheminement au laboratoire régional à Dakar au Sénégal ». /FIN

Amadou Touré

Cet article a été rédigé à travers le programme de journalisme « Rapporter après l’épidémie » de la Fondation Thomson Reuters.

Amadou Touré

Journaliste

Conakry, République de Guinée

 

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