Interview. Hadja Aïcha Bah : ‘’pourquoi j’avais choisi de ne pas devenir ministre de Dadis’’

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En marge de Ibrahim Governance weekend (IGW) à Abidjan, l’ancienne ministre guinéenne de l’enseignement pré-universitaire Hadja Aicha Bah a ouvert son cœur à Mediaguinee. Elle a parlé de la migration des jeunes africains, de l’éducation en Guinée mais aussi de sa nomination en 2009 par Dadis Camara, ex-chef de la junte.  Interview…

Mediaguinee : Madame, vous êtes à Abidjan pour la Fondation Mo Ibrahima, en tant que membre du jury. Le thème de cette année est central, il parle de la migration africaine. Comment abordez-vous ce sujet ?

Aïcha Bah : Il faut d’abord se dire que la migration n’est pas une calamité. C’est plutôt positif. Dès qu’on aborde le sujet sur la positivité de la migration, c’est de dire que ce n’est pas une crise, c’est plutôt une solution à plusieurs questions. Pourquoi les jeunes s’expatrient, migrent ? C’est pour avoir des opportunités d’emploi, c’est pour mieux vivre. C’est ce qui est important à savoir. Et si vous vous souvenez, la Fondation Mo Ibrahim a déjà organisé deux réunions sur la jeunesse : une à Dakar en 2012 et une autre à Marrakech en 2017. L’indice Mo-Ibrahim en 2018 était encore sur les jeunes. Et actuellement, nous avons cette réunion-là, qui va mieux se focaliser sur la jeunesse. La veille du forum, les jeunes se sont retrouvés, ce qu’on appelle « the new generation forum ». Des jeunes se sont parlé, ce fut un grand dialogue et ils ont délégué trois personnes pour la rencontre d’aujourd’hui. Nous allons donc savoir ce qu’ils vont dire, parce quand on parle de migration sans les jeunes, alors qu’ils sont les plus concernés, on rate le coche. C’est pourquoi, il est important d’avoir ce forum et de l’inclure aujourd’hui.

Mediaguinee : Beaucoup de jeunes africains tentent de rallier l’Europe et des images de leur traitement sont choquantes. A qui pourriez-vous faire porter ce chapeau ?

Aïcha Bah : On dit cheval bien nourri ne fuit pas l’écurie. Je pense que c’est une responsabilité partagée. D’un côté, ce sont les gouvernements qui n’ont pas pu les retenir dans le pays, de l’autre, ce sont les parents qui n’ont pas veillé à ce que la formation que leurs gosses avaient choisie réponde aux besoins du marché. Souvent, il n’y a pas d’adéquation entre formation et besoins du marché d’emploi. Et les jeunes, après leur formation, n’ont pas accès à des lignes de crédit à un taux d’intérêt très faible pour qu’ils puissent mettre en place leurs propres entreprises. C’est pourquoi je dis que les responsabilités sont partagées mais les gouvernements sont les premiers responsables. Mais attention, la migration n’est pas toujours vers l’Europe, c’est là où il faut remettre les données en place. La migration c’est aussi vers les pays à l’intérieur de l’Afrique. Mais comme les médias maîtres mettent l’accent sur ce qui se passe au niveau de la Méditerranée, on pense que tout est là. Mais non ! Ce n’est qu’une infime partie et ça fait très mal. Chaque fois que je vois ça à la télé, je ne peux ni dormir, ni manger. Il faut que ça se stoppe et nous pouvons le stopper et nous sommes tous responsables pour que ça se stoppe, dont vous les médias en première position, en donnant les chiffres réels de cette migration que moi j’appelle mobilité.

Mediaguinee : A votre avis, y a-t-il un lien entre migration et emploi ? 

Aïcha Bah : C’est ce que je viens de dire, les jeunes partent pour trouver des opportunités d’emploi, de bien-être. En réalité, c’est pour ça qu’ils partent. Si vous regardez, ceux qui partent en tant que réfugiés, ne sont que 20%. Les 80%, c’est pour des opportunités d’emplois. Mais comme je vous l’ai dit, 70%, c’est à l’intérieur de l’Afrique. Le jour où il y aura une adéquation entre formation et emploi, nous n’aurons plus besoin de partir, nous aurons tout chez nous. De toutes les façons, l’avenir appartient à l’Afrique mais à condition qu’on s’y mette maintenant. Pas demain, parce que demain, ça sera trop tard. Il y a des domaines où on ne peut pas chômer, c’est l’agriculture. Or le plus grand volume de terres arables, c’est en Afrique. Pourquoi les jeunes ne s’orientent pas vers les branches d’agriculture, vers les branches d’ingénierie, vers les branches techniques à vocation professionnelle. Il faut qu’on valorise la formation technique et professionnelle. Nous n’avons par exemple pas beaucoup de maçons de haut niveau. Vous avez un plombier. Souvent, les plombiers en Guinée viennent du Ghana. Voilà des compétences dont on a besoin. Pourquoi les jeunes de chez nous ne valorisent pas ces formations, parce qu’ils ne vont pas chômer. C’est surtout ce qui est important, quelles sont les compétences dont les pays ont besoin, quelles sont les compétences dont le secteur privé a besoin ? Et c’est là où le secteur de l’Education devrait former, c’est là où le secteur de l’Education peut aussi former, mais il vaut mieux qu’ils donnent leur argent à l’Education pour que celle-ci puisse les former, pour que ça soit une masse adéquate.

Mediaguinee : En Guinée, on assiste souvent à un bras de fer entre le gouvernement et le syndicat de l’Education pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants. Avez-vous vu venir ces problèmes ? 

Aïcha Bah : Je vais vous dire une chose, ce qui est important, aussi bien au niveau des syndicats qu’au niveau du gouvernement, c’est qu’on mette en place une plateforme de dialogue permanent, pour qu’à tout moment, le syndicat puisse exprimer au gouvernement ses besoins, pour que le gouvernement puisse prendre en compte les revendications du syndicat. Il faut donc un dialogue pour savoir qu’est-ce que le gouvernement peut prendre en compte tout de suite et planifier le reste pour le futur.  Lorsqu’il y a grève, qui est pris en otage ? Ce sont les enfants. J’étais en Guinée quand il y a eu Ebola. Combien de mois les enfants ont perdu ? C’est presque toute l’année. Est-ce qu’on peut rattraper l’année perdue ? Un an de jeunesse, ça ne se rattrape pas. Il y a eu la première grève de 2018. Là aussi, qui a perdu ? Ce sont les enfants mais particulièrement, les enfants dont les parents ne peuvent pas payer la scolarisation au niveau des écoles privées. Donc il n’y a pas d’équité. Donc il n’ya pas d’équité, les enfants dont les parents ne pas riches, sont ceux qui perdent. Cette année encore, j’étais en Guinée. Il y a eu deux mois de grève, je voulais rencontrer le syndicat pour leur dire qu’il faut ouvrir le dialogue. J’ai déjà vu un ministre, je lui ai dit, il faut négocier. Le bras de fer ne peut nuire qu’aux enfants dont les parents sont pauvres et nous ne devons sacrifier leur avenir. En tant que Guinéens, nous sommes tous responsables. Et pourquoi les médias ne s’en saisissaient pas pour sensibiliser le syndicat et le gouvernement. Mais il faut le faire.

Mediaguinee : Vous avez été ministre de l’Education en Guinée. L’année dernière, le taux de réussite au baccalauréat était de 26,4%. Selon vous, qu’est-ce qui ne marche toujours pas ? 

Aïcha Bah : C’est la qualité.  La qualité de l’Education est la clé de la réussite du jeune. Et quand je parle de qualité, je parle de la formation initiale et continue des enseignants ; c’est le contenu des enseignements, c’est la santé des enfants, c’est la  nutrition des enfants, c’est la recherche action pour savoir où le bât blesse pour résoudre, c’est les statistiques qu’il faut voir chaque année, c’est l’égalité entre filles et garçons, c’est les négociations entre les parents et les écoles parce qu’il faut que les parents s’approprient l’école qui leur appartient, c’est la coordination par le gouvernement de tout ce qu’il reçoit  comme apport des institutions bi et multilatérales. C’est vraiment le fait de se dire que l’éducation seule ne peut pas tout faire, il faut que l’éducation travaille avec les autres secteurs. L’éducation est intersectorielle. Donc, ça concerne tous les autres départements. Il est aussi important de mettre en place une commission qui va avoir comme participants, les autres secteurs. C’est comme ça que je vois les choses. Le jour où on va le faire, on l’avait autrefois, je pense que nous aurons plus d’enfants qui vont réussir aussi bien à l’entrée au collège qu’à l’entrée à l’université.  Il faut encourager les enfants à travailler, se dire attention votre avenir vous appartient, vous en êtes responsables. Tout cela est très important pour la réussite de l’enfant.

Mediaguinee : Pour revenir à la crise dans l’Education, quelle solution préconisez-vous pour qualifier le système éducatif guinéen ?

Aïcha Bah : Je viens de le dire, il faut mettre l’accent sur la qualité de l’Education, mettre l’accent sur l’intersectorialité de l’éducation, mettre l’accent sur la négociation permanente entre les enseignants, c’est à dire le syndicat et le gouvernement et ensuite dire à tout le monde que l’éducation doit être la priorité des priorités, parce que c’est l’épine dorsale du développement économique d’un pays. Si nous voulons atteindre les objectifs du développement durable, il faut mettre l’accent sur l’éducation. Et en Guinée, il faut mettre l’accent sur l’enseignement technique et professionnel et l’orientation des filles vers l’éducation technique et professionnelle.

Mediaguinee : Récemment, le gouvernement guinéen a fait savoir qu’il voulait introduire l’enseignement des langues nationales dans les écoles, comme l’ont fait plusieurs pays. Quelle lecture faites-vous de cela ? 

Aïcha Bah : C’est très important. Moi, mon rêve, est que l’enseignement des langues, surtout au niveau de la petite enfance et du primaire, soit réintroduit. Ça existait autrefois mais la façon dont ça avait été introduit, il n’y a pas eu d’étude de fond. On n’avait pas demandé l’avis des parents. Il aurait fallu en parler aux parents, leur dire que la qualité de l’enseignement dépend aussi de la langue que l’on introduit lorsqu’on arrive à l’école. Imaginez par exemple, moi je parle Poular, Maninka, Soussou, Toma ou Guerzé, mais à l’école, on me parle Français, alors que dans ma famille on parle la langue nationale. Je vais y arriver mais c’est une violence. L’enfant est complètement perdu, alors qu’il vient avec beaucoup de connaissances déjà. On doit bâtir sur ce que l’enfant a comme connaissance. Pour faire tout cela, il faut former les enseignants. Et c’est par là qu’il faut commencer, la formation des enseignants en langues nationales, pour qu’ils sachent l’introduire à l’école primaire. Comme ça, l’enfant arrive au collège avec deux langues qu’il maîtrise, sa langue maternelle et le Français.

Mediaguinee : Pouvez-vous nous dire dix ans après, pourquoi avez-vous refusé le poste de ministre de l’Education avec la junte qui était au pouvoir ? 

Aïcha Bah : Vous savez, il faut toujours se dire que dans la vie, on n’est pas seul. Moi, j’avais fait ma part pendant plus de 5 ans comme ministre de l’Enseignement pré-universitaire, technique et professionnel. J’ai donné ma part. À l’UNESCO, j’ai continué à travailler. Je pensais que je pouvais plus apporter à la Guinée en étant là où je suis qu’en étant à l’intérieur.  Je ne vais pas vous dire tout, mais c’était un choix. Vous savez, quand vous êtes membre du comité pour le Prix, où vous avez la possibilité d’avoir une vision de tous les pays africains dans tous les domaines, et vous avez la possibilité d’évaluer des chefs d’Etat qui ont quitté le pouvoir, c’est une responsabilité très importante. Vous ne pouvez pas imaginer combien de fois j’apprends. Or, moi je suis une apprenante tout au long de ma vie. Vous savez que je viens régulièrement en Guinée et j’interviens à ma façon. Je crois que ça c’est plus important que de venir en tant que membre du gouvernement, parce que vous savez que je suis tellement libre. A mon âge, je suis très heureuse d’avoir l’âge que j’ai et il faut savoir être humble, se dire que d’autres pourraient mieux faire que moi. Ce que je peux faire, c’est de donner des conseils.

Mediaguinee : Votre dernier message au compte de cette interview

Aïcha Bah : Nous sommes riches. Il y a tout en Guinée, on a toutes les ressources. Je souhaiterais qu’on transforme ces ressources-là en développement humain, qu’on utilise tout ce qu’on a comme ressources pour les transformer en des opportunités pour la jeunesse, créer des emplois. Si nous ne pouvons pas créer des emplois, c’est de permettre aux jeunes d’avoir accès aux crédits pour créer leurs propres emplois. Je viens de lancer une initiative pour me focaliser sur les sortants des universités, pour voir comment mobiliser des fonds, d’abord en Guinée, pour que ces jeunes puissent avoir une formation en matière d’entrepreneuriat et avoir un accès à des crédits pour qu’ils puissent créer leurs propres entreprises.  J’appelle tous les Guinéens à contribuer financièrement pour que le fonds soit assez adéquat, pour que nos jeunes puissent avoir accès à de l’argent, à des crédits, pour créer leurs propres entreprises. Je tiens absolument à l’autonomisation financière des jeunes femmes guinéennes, pour les empêcher de faire le métier le plus ancien du monde. Elles sont intelligentes et je sais qu’elles sont éduquées, elles sont motivées, elles n’ont besoin que d’un petit coup de pouce. Donnons-leur ce petit coup de pouce ensemble. Les médias sont là pour ça.

Réalisée par Maciré Camara

 

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