INTERVIEW- Hadja Andrée Touré sur le 28 septembre : ‘’un soir, j’ai vu de Gaulle sursauter quand il a entendu le nom de Sékou Touré’’

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A 84 ans, Hadja Andrée Touré, épouse du premier président de la Guinée a le regard fixé sur son écran de télévision. Sans lunettes. L’ancienne Première dame a encore beaucoup de confidences à livrer sur le vote historique du 28 septembre 1958, le jour où la Guinée a dit NON à la communauté française proposée par le président Charles De Gaulle. Dans sa cossue villa Syli à Coléah, elle a accepté de nous parler…

Mediaguinee : La Guinée célèbre les 60 ans du vote historique du 28 septembre 1958. Vous, en tant qu’épouse du premier président guinéen, tête de file du mouvement de libération nationale, quels souvenirs gardez-vous encore ?

Les Français, ils ont été très mesquins, ils sont allés jusqu’à déshabiller les militaires guinéens, ils n’avaient pas besoin de ces habits mais ils les ont déshabillés pour les brûler

Hadja Andrée Touré : Mes souvenirs sont multiples. C’est un grand jour pour la Guinée, pour l’Afrique et toutes les anciennes colonies de la France. Parce que le général de Gaulle avait fait une tournée dans tous les territoires de l’époque de la France pour demander aux peuples de voter « Oui » au référendum qui est organisé. Et quelqu’un lui a dit, il faut aller voir Sékou Touré parce que lui il dira ce qu’il fera. La Guinée n’était pas dans le programme initial. Dans tous les territoires, les autres ont promis qu’ils allaient voter « Oui ». Et il est venu en Guinée avec une délégation. Moi, j’ai voulu même loger certains membres de sa délégation chez moi. Et quand il y a eu la rencontre à l’assemblée territoriale, à l’époque c’était Saïfoulaye Diallo qui était président de l’assemblée territoriale. Après le discours de bienvenue de Saïfoulaye, le secrétaire général du PDG à l’époque, Ahmed Sékou Touré a pris la parole. Il a dit que l’histoire ne retiendra pas que la France généreuse a voulu donner l’indépendance et que nous avons dit que nous préférons rester une colonie. Il a dit, au nom de la Guinée et de l’Afrique qu’il votera « Non » à ce référendum. Cette phrase n’a pas plu du tout à de Gaulle. De Gaulle a pris la parole après, il avait changé même de couleur. Il a parlé d’indépendance, je dis ici plus haut qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre en votant Non. Dans ces conditions, la France ne fera pas d’opposition. Il y aura des conséquences mais d’opposition, la France n’en fera pas. La Guinée pourra comme elle voudra, suivre la voie qu’elle voudra. Alors là, c’était Sékou Touré que les Français ont beaucoup regretté, ils ont voulu changer. Ils ont tout fait, c’est de Gaulle lui-même qui avait pris l’engagement qu’il n’y aurait pas d’opposition. Comme le peuple était déjà préparé par les responsables politiques de l’époque, le peuple était prêt. Pour le peuple de Guinée, la colonisation ressemblait à l’esclavage. Qui veut rester esclave ? Donc chacun voulait sa liberté. Et ce discours-là, ça été très bien pris par la Guinée. Nous avons eu la chance que de Gaulle soit venu ici, autrement on n’aurait pas pu. Mais très mal pris par les Français. Le soir, il devait avoir un banquet chez le gouverneur qui sera ensuite annulé. En lieu et place du banquet, ils ont fait un cocktail. Mon mari, après le cocktail, il était avec le gouverneur et de Gaulle. Il est resté au Palais avec le gouverneur. Moi, il y a des amis qui sont venus me prendre, nous sommes allés à la réception. En rentrant, comme tous les huissiers me connaissent, ils ont dit : « Ah Madame Sékou Touré ». Mon mari était avec de Gaulle, j’ai vu de Gaulle qui sursautait au nom de Sékou Touré. Donc ça s’est passé ainsi. Et vraiment nos dirigeants ont demandé à la population de rester très calme ce jour-là, d’éviter toute provocation parce qu’ils savaient que quelques provocations seulement, ils auraient pu annuler. La consigne était ferme, il fallait que chacun aille voter et puis rentrer chez soi. Et que personne ne fasse aucune manifestation. Ça a été respecté de telle sorte qu’il y a un journaliste français qui a dit que ce jour-là que Conakry était comme une ville morte. Les petites qui vendent des fruits, il y a des soldats français qui les ont provoquées en prenant leurs fruits. Il y en avait qui étaient dans la rue avec des chars. Tout le peuple guettait, on leur avait donné la consigne ferme. Alors c’est ce moment-là qu’a choisi monsieur Pierre Messmer qui était commissaire de la France pour envoyer des parachutistes français de Dakar qui se sont dirigés vers la banque. Ils ont ouvert la banque et ont sorti tous les avoirs de la Guinée qu’ils ont embarqués dans le bateau. Tout a été pris à la banque. C’était géré par eux, à l’époque nous étions encore colonie. C’est quand le bateau était en pleine mer qu’il [Pierre Messmer] a informé son gouvernement, il n’a même pas mis son gouvernement au courant. Le ministre des finances de la France de l’époque lui a dit : « Ah non, cet argent-là appartient à la Guinée », qu’ils n’ont pas le droit de le prendre. Plus de trente ans après les événements (…), donc vous voyez dans quelle condition nous avons pris l’indépendance, zéro franc dans la banque. Nous avons été aidés par le président Kwame Nkrumah [premier président du Ghana], c’est un grand patriote africain qui a fait un prêt sans intérêt à la Guinée. C’est avec ça que l’Etat a débuté. Les Français, ils ont été très mesquins, ils sont allés jusqu’à déshabiller les militaires guinéens, ils n’avaient pas besoin de ces habits mais ils les ont déshabillés pour les brûler. Ils ont décoiffé la caserne, ils sont allés enlever les tôles, ils ont fait beaucoup de coups bas. La résidence du gouverneur qui devait servir de résidence pour le premier président, ils ont tout enlevé. Mon mari est allé là-bas, parce que moi je ne voulais pas y aller, je me trouvais très bien là où j’étais. J’étais à la Mairie, un coin très agréable. Alors mois je ne voulais pas aller, mais quand je suis allée, j’ai vu l’état, j’ai pris mes propres draps pour aller les mettre sur les lits à la présidence. Ils avaient tout pris. La caissière qu’ils n’ont pas pu prendre, ils ont cassé. C’était vraiment très regrettable pour des gens (elle n’achève pas la phrase). C’est comme cela que nous avons commencé l’indépendance. Mais le peuple engagé a beaucoup soutenu le président.

Dites-nous Hadja, vous qui avez été très proche du président Ahmed Sékou Touré, comment avait-il vécu ces moments difficiles [28 septembre 1958 à la proclamation de l’indépendance le 02 Octobre], avec la France ?

Vous savez, il était très serein. Il avait confiance en son peuple et en sa ville.

Oui, mais il n’était pas facile pour lui de gérer un pays avec tout ce que la France a eu à faire ?

Non, il n’a pas fait de confidence. Ça non. Même quand je lui demandais, il me disait d’aller écouter dans les meetings. Jamais, on n’en parlait.

Charles de Gaulle a dit ici à Conakry avant de s’embarquer pour la France que ‘’Sékou Touré, je le veux à plat ventre’’

Après son discours poignant du 25 août 1958, le président Sékou Touré a-t-il été en contact avec le général Charles de Gaulle ?

Avec de Gaulle, je ne pense pas qu’il y ait eu des choses, parce que son [Sékou Touré] discours a été très mal pris. Il a dit ici à Conakry avant de s’embarquer pour la France que ‘’Sékou Touré, je le veux à plat ventre’’. Et aussitôt tout a été mis en mouvement pour déstabiliser complètement le pays. Sékou aussi avait ses convictions. L’arrivée de de Gaulle ici, Sékou Touré a dit que c’est un grand monsieur qui vient, c’est un grand patriote, il faut le recevoir. De Gaulle a été reçu ici comme jamais il n’a été reçu dans sa vie. Et ça, il en était très heureux. Il a dit qu’en Guinée on lui a réservé le meilleur accueil. Lui, il a cru ça pour lui-même. Évidemment c’était pour lui qu’on le faisait, mais c’était des choses préparées. Il avait affaire à des gens motivés qui savaient ce qu’ils faisaient. Donc c’est ainsi que Sékou, mon mari avait préparé son discours qu’il avait donné au gouverneur. Mais je crois que de Gaulle n’a pas eu le temps de lire son discours, c’est pour cela qu’il a été surpris. Ce n’était pas des choses qui étaient terribles mais il fallait bien, l’occasion qui était donnée, profiter de cela. Si la Guinée n’avait pas voté « Non », je ne sais pas mais je crois que jusqu’aujourd’hui, on serait colonie encore, quelle appellation ? Je n’en sais rien. Mais parce que les autres avaient promis de voter « Oui ». Mais dès que la Guinée a voté « Non », les populations des autres territoires ont poussé leurs leaders, pourquoi pas nous ? C’est pour cela qu’il y a eu succession d’indépendances après en Afrique et ailleurs. Ce n’était pas la même indépendance que celle guinéenne. Parce que l’indépendance guinéenne, on était vraiment indépendants.

60 ans après, le Non de la Guinée à la France a-t-il encore un sens ?

Certainement. Certainement. Je crois que ça y est encore d’actualité. Parce que ce n’est pas une idée personnelle mais je pense que l’indépendance n’a pas de prix.

La fierté guinéenne ?

Je crois oui. Je pense que ça existe encore certainement. La Guinée a ouvert la voie. Qu’on le veuille ou non, c’est la Guinée qui a ouvert la voie. Si la Guinée avait voté « Oui » comme les autres, nous serions peut-être encore une colonie ? Je ne sais pas sous quelle appellation mais nous serions encore une colonie. La Guinée a voté « Non », la Guinée a saisi la voie de ses responsables politiques.

Selon vous, quelque chose n’a pas marché depuis 60 ans ? L’objectif des pères fondateurs a-t-il été atteint ?

L’objectif, certainement. Vous savez, aucune œuvre guinéenne n’est parfaite. La perfection appartient à Dieu seulement. Ça, je suis convaincue de cela, donc tout ne peut pas être parfait. Parce que même si vous voulez envoyer quelqu’un vers le paradis, s’il vous tire vers l’enfer, c’est lui qui risque de vous emmener en enfer. Donc chacun a ses opinions. La majorité, ils étaient très contents, il y a eu certainement des réticences pour ridiculiser même la Guinée à l’époque. Le président Houphouët [Boigny de Côte d’Ivoire] a dit que la Guinée avec une armée sans armes, on était tournés en ridicule. Et c’était mal connaitre les leaders, c’était mal connaitre l’éducation que cette Guinée avait. Les Guinéens voulaient l’indépendance totale et je crois que jusqu’aujourd’hui, c’est la Guinée qui a ça par rapport aux autres Etats. La monnaie par exemple, aujourd’hui il y a des Etats qui utilisent le CFA et ils n’en veulent pas. Mais nous, nous avons notre monnaie. On a eu des acquis, je pense qu’il faut consolider cela. Sékou Touré comptait beaucoup sur la jeunesse. Même lors de son dernier discours sur l’esplanade du palais du peuple, il l’a dit. C’est après ce discours-là, il est tombé malade le soir-là même. Il travaillait beaucoup.

Quel message avez-vous à lancer à l’occasion des 60 ans du référendum et de l’indépendance de la Guinée ?

Moi je demande aux Guinéens d’avoir confiance en leur peuple, en leur pays. La Guinée est un pays riche, immensément riche et c’est ça qui fait le malheur de la Guinée. On ne nous laissera pas mais nous devons comprendre que c’est nous-mêmes qui devrons nous battre pour développer ce pays-là. Il ne faut pas compter sur les autres. Quelqu’un vient vous dire, « cassez votre case et je vous construis une maison. S’il n’a pas construit la maison, si vous cassez la case, vous pouvez vous retrouver dans la rue ». Alors vraiment, ce sont les Guinéens qui doivent être conscients. Les pères qui ont libéré la Guinée ont eu cet esprit-là, mais on ne peut pas le faire à notre place. Au temps de la première République, je le disais, l’éducation était assurée pour tous les enfants guinéens, c’était gratuit. Si votre enfant était intelligent, il pouvait aller à toutes les universités du monde, il y avait des boursiers dans tout le pays. Les enfants pouvaient aller partout, que ça soit en France ou en Amérique, on a formé la jeunesse. C’était une obligation de former la jeunesse mais aujourd’hui si vous n’avez pas d’argent, votre enfant ne peut pas étudier.

Réalisée par Mamadou Savané

 

 

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