La montée du repli identitaire en Guinée, ses origines, ses manifestations et les conséquences… (Par Bah Oury)

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A la conférence organisée par l’association AGIR pour le développement le 10 novembre dernier à Conakry, Bah Oury, vice-président -écarté- de l’UFDG a fait une communication sur la montée du repli identitaire en Guinée…

La montée du repli identitaire en République de Guinée, ses origines, ses manifestations et les conséquences. Les solutions globales et durables pour y remédier

Francis Fukuyama, l’auteur de « la fin de l’histoire » avait été peu prudent lorsqu’il a publié son livre à la fin des années 80 au lendemain de la chute du mur de Berlin en novembre 1989. En effet la fin de la division bipolaire du monde entre l’Est et l’Ouest (camp capitaliste occidental et camp socialiste), héritage de la seconde guerre mondiale n’a pas signifié une hégémonie de l’ouest sur le monde et non plus la diminution du nombre des conflits. Nous avons assisté depuis lors à une montée en puissance d’un nouveau type de conflits à caractère idéologique de nature religieuse (propagation des courants fondamentalistes notamment au sein de la Oumma islamique et des courants évangélistes conservateurs dans le monde chrétien). En même temps, les sentiments souverainistes, populistes et ultra-nationalistes d’extrême droite se propagent dans les pays développés. A cet égard les manifestations de ces crispations identitaires sont le racisme, la xénophobie et le rejet des diversités et des minorités ethniques, religieuses ou issues des récentes migrations. La pensée décomplexée, anti-immigrée, anti- musulman, anti –étranger, anti –minorité et outrancièrement conservatrice est une donnée importante de l’évolution des sociétés contemporaines. La guerre des Balkans consécutive à l’éclatement de la Fédération de la Yougoslavie, le génocide des tutsis de la région des Grands-Lacs, les guerres civiles du Liberia et de la Sierra-Léone où notre pays a payé un lourd tribut, l’ivoirité qui plongea la Côte-d’Ivoire voisine dans le désastre, les conflits au Sud- soudan et en RCA sont peu ou prou les expressions tragiques et violentes d’une même réalité qui se décline différemment suivant les spécificités nationales.

QU’EN EST-IL DE LA GUINÉE ?  

Terre de rencontres et berceau d’empires ouest-africains

Des chaînes de montagnes ceinturant un vaste plateau au Fouta , bordée également au sud par un relief accidenté où culmine le mont-Nimba , une bande côtière où serpentent plusieurs cours d’eau, une savane luxuriante au centre et au nord-est et enfin une région forestière boisée au sud du pays donnent une configuration exceptionnelle au territoire guinéen. Les fleuves qui irriguent l’ouest-africain comme le Niger, la Gambie, le Sénégal prennent leur source dans ce pays ce qui lui confère sa seconde exception. Il n’est pas étonnant qu’avec la conjonction de ces facteurs géographiques favorables, le territoire guinéen est devenu au cours de plusieurs siècles, une terre de rencontres et de refuges pour des populations persécutées ou à la recherche de verdoyantes pâturages. C’est dans cet espace que naquirent l’empire mandingue de Soundjata Keïta au XIIIème siècle, le royaume peul de Koly Tenguéla au XVIème siècle, le royaume du Gabou, le royaume théocratique du Fouta Djalon, l’empire wassoulou de Samory Touré et l’empire toucouleur d’El hadj Oumar Tall. Toutes ses constructions étatiques sans aucune exception rayonnèrent au-delà des frontières actuelles de la Guinée. Ceci indique que toutes les communautés humaines peuplant la Guinée ont été à un moment donné de leur histoire administrées et assujetties à une même tutelle politique bien avant la période coloniale. A titre d’illustration les sofas des Almamy du Fouta étaient composés par autant de peuls que de malinkés et d’un des diwal (Fodé Hadji) était dédié aux non-peuls. Les relations culturelles et les échanges commerciaux étaient d’une intense activité. Ainsi Timbo accueillait des princes et des sujets de régions de Forécariah, de Kankan et de la Sierra-Léone pour étudier le coran. Une coopération transversale et une interpénétration caractérisaient cette forme du « vivre ensemble ». Le cousinage de plaisanterie plus connu sous le nom de « sanakuya » est jusqu’à présent un trait marquant de la volonté de rapprochement et d’intégration entre toutes les populations guinéennes. Ainsi bien avant la période coloniale les communautés avaient édicté des règles pour favoriser la coexistence et la coopération pacifique entre tous.

L’émergence du communautarisme dans l’espace politique

L’organisation administrative coloniale en Guinée s’est évertuée pour consolider son emprise sur le territoire à substituer une « chefferie administrative » qui lui était inféodée. Cette institution auxiliaire du pouvoir colonial métropolitain avait deux rôles :

Prélèvement de l’impôt de capitation et des taxes annexes sur lesquels une ristourne leur est consentie et fournir les prestataires corvéables pour les diverses besognes de l’administration. Cette chefferie s’était substituée aux anciennes formes de représentations traditionnelles. Très tôt dans ce territoire colonisé, les populations se sont trouvées privées d’authentiques représentants chargés de les protéger face aux abus et aux exactions des autorités coloniales. C’est ainsi, que les paiements des impôts en nature, les travaux forcés, la collecte de la sève d’hévéa pour obtenir le caoutchouc transformèrent les couches paysannes en populations taillables et corvéables de manière sévères. C’est dans ce contexte que les réformes de la politique coloniale dans le sillage de l’arrivée au pouvoir du Front Populaire de Léon Blum en France en 1936, bouleversèrent le paysage politique local. En effet en promouvant une représentation progressive aux instances de délibération et de décision des populations colonisées, de nouvelles formes d’organisations émergèrent pour combler le vide qui prévalait. Dans ce cadre les syndicats furent les premiers instruments de la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, les cellules communistes du PCF (Parti communiste Français) et des cadres expatriés de la CGT (Confédération Général des Travailleurs) impulsèrent accompagnèrent la création des syndicats. D’un autre côté des associations de ressortissants des régions ou des ethnies furent irruption sur la scène nationale. C’est ainsi, pour la première élection de la première constituante, les chefs du Fouta se réunirent à Pita le 14 sept 1945 pour y investir le candidat de leur choix, l’instituteur Diallo Yacine. Il sera rejoint par Mamba Sano (kissien) en 1946 au palais Bourbon (Assemblée Nationale). A l’époque la base de la vie politique était constituée par les associations ethniques. Les principales étaient : l’amicale Gilbert Vieillard (majoritairement peuls), Union du Mandé, Union Forestière, Union Insulaire (originaires des îles de Los), Comité de la Basse-Guinée. Bâties de manière pyramidale, chacune d’elles regroupait les « associations des originaires » de divers cercles et servaient de société d’entraide mutuelle et de porte-parole des intérêts locaux. Les rivalités ethniques sous-jacentes à des rivalités de personnes étaient les marqueurs de ces structures beaucoup plus que les orientations politiques ou idéologiques. Ces associations étaient en réalité des comités de notables et n’intégraient pas réellement les représentations populaires. Répondant à l’appel au rassemblement de toutes organisations de l’AOF, les représentants des groupements ethniques participèrent au congrès constitutif du Rassemblement Démocratique Africain à Bamako en octobre 1946. La section guinéenne du RDA fut créée en mai 1947 à l’occasion de la tournée en Guinée de son secrétaire général Gabriel D’Arbousier. En 1954, l’Union Mandé parraina M. Barry Diawadou pour sa candidature aux élections législatives partielles pour succéder à feu Diallo Yacine. Ainsi les représentations des communautés ethniques furent les composantes principales des partis politiques de la Guinée à la veille de l’indépendance nationale. La fusion de tous les partis au sein du parti dominant le PDG-RDA au lendemain de l’indépendance nationale en 1958 pour « renforcer l’unité nationale » ne suffira pas pour taire les contradictions ethniques sous-jacentes à la société guinéenne postcoloniale.

Le retour des anciennes idées ou la restauration conservatrice après 1984

Au lendemain de la disparition du Président Sékou Touré le 26 mars 1984, l’irruption sur la scène politique de l’Armée Nationale sous l’égide du CMRN (Comité Militaire de Redressement National) conduit par le Colonel Lansana Conté inaugura une autre période tumultueuse dans les relations inter-ethniques en Guinée. Les 26 années du règne sans partage du PDG-RDA furent vouées aux gémonies sans aucun discernement. Aucune évaluation critique de cette période ne fut engagée et le devoir d’inventaire historique ne fut entamé et ne fut encouragée. La restauration conservatrice prenant le contre-pied de la rhétorique « révolutionnaire » fut par ce biais légitimée. Le CMRN en décidant la nomination des préfets dans leur préfecture d’origine, introduisit de manière officielle le critère ethnique dans le choix des administrateurs territoriaux. Cette décision bouleversa profondément le tissu national en fragmentant le pays. Les agents administratifs subalternes des préfectures furent eux aussi sujets à des mutations obéissant au critère lié à l’origine ethnique et régionale des intéressés. Le sentiment national s’effrita et cela renforça les crispations identitaires en opposant populations autochtones et allogènes dans les différentes régions du pays. L’illusion qui présida au choix gouvernemental comme quoi « le natif travaillera bien pour servir sa ville d’origine » fut également dans le sens de la gouvernance économique un immense fiasco. Dans la même logique les déclarations du nouveau Chef de l’Etat, le Colonel Lansana Conté : « Le parent trompe mais ne trahit pas » jetèrent davantage le trouble et cristallisa des contradictions latentes entre les ethnies en antagonismes agressifs.

Ce contexte où l’ethnicité est manipulée sans complexe et sans retenue et où la lutte pour le leadership entre les militaires du CMRN était âpre, renforça alors les crispations identitaires. Avec la disparition soudaine des structures du parti-Etat le PDG-RDA, les blocs ethniques instrumentalisés se transformèrent en camps politiques rivaux. Les Coordinations régionales (Basse-Côte, Forêt, Mandingue et Fouta) servirent de réceptacles pour être les porte-paroles des revendications communautaires dans un champ clos de combat pour la conservation ou le partage du pouvoir d’Etat. La structure gouvernementale mise en place comporta quatre ministères d’Etat pour les quatre régions ethno-géographiques du pays. A la tête de ces ministères furent placés des officiers issus également des quatre groupes ethniques de la Guinée. Les rivalités entre ces différentes personnalités furent interprétées et présentées comme l’expression des rivalités entre l’ensemble des groupes ethniques de la Guinée. A cet égard les événements tragiques des 4 et 5 juillet 1985 où le Colonel Diarra Traoré, membre du CMRN fut accusé d’avoir fomenté une tentative de coup d’Etat en l’absence du Chef de l’Etat le Colonel Lansana Conté (séjour à Lomé) furent l’aboutissement logique et prévisible d’une vision politique passéiste et réductrice. La communauté Malinké fut sévèrement réprimée. Les élites militaires, politiques, et civiles issues de ces rangs furent arrêtées, embastillées, et certains d’entre eux furent exécutées de manière sommaire. A son retour de Lomé, le Colonel Lansana Conté, promu Général tint son fameux discours à l’esplanade du palais du : « Wo Fatara !» ce qui signifie en soussou (ils ont bien fait ! En faisant référence aux pillages et aux exactions dont furent victimes la communauté malinké). La légitimation par le Chef de l’Etat guinéen des actes de pillages, de destructions et des arrestations arbitraires cristallisa pendant plus de deux décennies une réelle méfiance des élites malinkés à l’égard du régime du Général Lansana Conté.

La mise en place des instruments institutionnels pour la démocratisation et le retour progressif à l’ordre constitutionnel à partir de la création du CTRN (Conseil de Transitoire de Redressement National) ne suffira pas à contrebalancer la forte polarisation ethnocentrique que la gouvernance du CMRN alimentait. Les partis politiques naissants par opportunisme s’appuyèrent sur les coordinations régionales pour s’assurer une implantation fulgurante dans le territoire. C’est une parfaite réédition des pratiques politiques des années 1950. Ce fut avec près d’un quart de siècle de domination du parti-Etat le PDG-RDA, la revanche des idées du passé comme si « l’histoire devrait recommencer à se dérouler » fermant ainsi une longue parenthèse historique.

Les prolongements en Guinée des crises de la sous-région

En décembre 1989, Charles Taylor et ses compagnons attaquent les casernes des militaires libériens pour débusquer du pouvoir le sergent Samuel Doe. Très rapidement l’insurrection armée prit la tournure de conflits ethniques sanglants entre d’un côté les Krahns alliés au mandingo et de l’autre les Gio et les Manos. L’ethnie majoritaire au Libéria, les Kpellé ainsi que les Manos et les Mandingos (originaires de la région de Beyla – Konianké) sont également fortement représentés en Guinée. La guerre civile entraina un flot important de réfugiés notamment dans la région de la Guinée-Forestière (700.000). Ce conflit se prolongea dans le territoire guinéen en attisant les antagonismes communautaires entre les populations guinéennes résidant en Forêt. L’organisation des premières élections communales en 1990 déclencha des tueries interethniques entre les populations d’origine mandingue et les communautés dites autochtones. La guerre civile en Sierra-Léone eut également les mêmes conséquences en fracturant la coexistence pacifique entre les guinéens eux-mêmes. Quinze années d’incessantes instabilités avec plus de 300.000 tués ont impacté profondément le cours politique interne de la Guinée et ont sapé l’entente entre les communautés ethniques qui vivent à cheval entre les trois pays. Enfin le développement de la xénophobie à travers la politique d’ « ivoirité» et la guerre civile qui en résulta eut également un impact relatif sur le « vivre ensemble » en Guinée.

La gouvernance par l’ethno-stratégie : une longue continuité

Opposer les ethnies, les diviser afin de les asservir est la marque de fabrique de l’ethno-stratégie. La politique coloniale s’en est servie pour vaincre des adversaires plus nombreux et connaissant mieux le théâtre des opérations guerrières. Les pouvoirs qui lui ont succédé, ont systématisé cette politique de « diviser pour régner ». Il en est ainsi en 1976 lorsque le Président Sékou Touré déclara « la guerre contre les peuls » et qui justifia l’arrestation du 1ersecrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, M. Diallo Telly. Ce fut la première fois dans l’histoire de la Guinée indépendante que tout un groupe ethnique fut indexé et stigmatisé par le pouvoir. La situation économique désastreuse de 1975 du fait de l’étatisation à outrance de l’économie a poussé le régime de Sékou Touré a trouvé des boucs émissaires pour détourner la colère populaire. Celle-ci survint en août 1977 avec la révolte des femmes qui contraint le régime à desserrer sa main mise sur le commerce, à entamer timidement d’engager des réformes politiques et à renouer les relations avec les voisins du Sénégal et de la Côte-d’Ivoire.

C’est avec le régime militaire du CMRN et du Général Lansana Conté que les pratiques ethno-stratégiques furent systématiques avec l’utilisation du critère ethnique pour motiver ses choix dans l’attribution des postes administratifs. Le régime usa de stratagèmes pour affaiblir la communauté malinké, considérée peu ou prou comme le principal adversaire depuis la « tentative avortée de coup d’Etat » de juillet 1985. Ainsi les contradictions ethniques furent régulièrement attisées pour raviver la rivalité entre les populations mandingues et les autochtones de la Guinée Forestière. La répression politique frappa durement le RPG d’Alpha Condé qui était dominant en Haute-Guinée. Ce fut à partir de 1998 avec le déguerpissement du quartier de Kaporo-rails que la communauté peule fut à son tour réprimée. Le pôle de la contestation active se déplaça ainsi pour se concentrer principalement le long de l’axe Hamdallaye – Bambeto- Cimenterie. Issus pour la plupart des familles victimes des destructions des maisons du quartier de Kaporo-rails, les jeunes adolescents de 1998 fournirent les bataillons des opposants qui combattirent pour la démocratie. Ce fut le cas le 22 janvier 2007 et le 28 septembre 2009.

L’entre-deux tours des élections présidentielles en 2010 étala la consécration de l’ethno-stratégie comme mode de conquête et de conservation du pouvoir. En effet « le vivre ensemble » fut fortement ébranlé par les exactions commises en octobre 2010 en Haute-Guinée contre les peuls. Plusieurs milliers d’entre eux pour sauver leurs vies fuyèrent une terre où ils avaient leurs racines. Le traumatisme collectif ressenti érigea des murs de méfiance et de dissensions au sein de la société. Les cinq premières années du mandat du Président Alpha Condé ont été éprouvantes pour la cohésion nationale. Cette période très heurtée sur le plan politique avec une grande polarisation ethnique avait également enregistrée des mesures administratives de nature à conforter les clivages au lieu de les réduire (organisation manding-Djallon au Fouta). La Guinée-Forestière a été paradoxalement la région la plus éprouvée par des répressions violentes, ciblées et meurtrières (Womé, Gallapaye,). Plus de 100 morts en juillet 2013 dans des heurts opposant populations Guerzé et Konianké montrent que la région de la Guinée-Forestière concentre beaucoup plus que les autres des facteurs de crise élevés. En ce qui concerne cette partie du territoire l’absence d’un réel aménagement du territoire, la pression démographique de plus en plus forte, l’accaparement des terres fertiles par des puissants du moment au détriment des propriétaires – coutumiers, une exploitation minière de type capitaliste où les communautés villageoises se sentent dépossédées de leur espace naturel sans recevoir en contrepartie une rémunération équitable, la destruction du milieu naturel ( forêt ) qui est également de l’ordre du sacré pour des pratiques animistes sont en autres des facteurs de crises identitaires accompagnées par des spasmes de violences extrêmes.

La longue pratique ethno-stratégique est parvenue à subvertir le fonctionnement des institutions dans un Etat de droit. Le partage des postes de responsabilité dans les structures officielles sur la base de critères ethno-régionaux avec (le PM de la Basse-côte, le Président de l’Assemblée Nationale de la Forêt, le médiateur de la Basse-côte, etc…) a fragilisé la gouvernance du pays. L’Etat apparaît par conséquent comme une superposition de légitimités concurrentes et inefficaces. La dilution de l’autorité qui en a résulté a fini par consacrer la mainmise du pays par des intérêts qui se réfugient derrière leur communauté pour faire prospérer leurs ambitions individuelles.

Les causes profondes de l’ethnocentrisme en Guinée

A l’aune de l’éclairage historique des périodes coloniales et postcoloniales, il s’avère que la construction étatique est le nœud gordien de la question guinéenne. La crise du leadership au sein du royaume théocratique du Fouta qui facilita la pénétration coloniale suite à l’élimination de l’Almamy Bokar Biro à la bataille de Porédaka (1896) avait sonné le glas de sa survie. Toutefois les colons préférèrent signer un protectorat avec l’Almamy du Fouta-Djalon lui donnant ainsi une apparence d’autonomie. Le pays mandingue de son côté avait été profondément bouleversé par les guerres samoriennes qui décimèrent les anciennes structures féodales malinkés. La faible consolidation des assises de l’empire wassoulou, permit au système colonial de s’imposer avec moins de résistance lorsque Samory était obligé de dériver toujours vers l’Est. Les communautés vivant le long de bande côtière et de la Forêt étaient émiettées et leur gouvernance était de type horizontal. Elles ont été par conséquent plus facilement intégrées par les nouveaux maîtres du pays. Ce fut ainsi que les anciennes hiérarchies traditionnelles furent progressivement colonisées et adaptées aux besoins exclusifs des intérêts coloniaux. Contrairement au Sénégal où les confréries religieuses jouèrent un rôle temporisateur face aux excès du pouvoir colonial en intercédant en faveur des populations, ou en Côte-d’Ivoire où les chefs traditionnels conservent jusqu’à présent leur aura auprès de leurs sujets, il en fut autrement en Guinée.

L’effort de guerre exigé du territoire de la Guinée Française durant la seconde guerre mondiale pour soutenir les Forces Françaises anti- vichy fut excessif. Cela accrut le fossé entre la « chefferie administrative » d’une part et les populations paysannes d’autre part. Cet état de fait consacra le divorce entre l’Etat colonisé et la société. D’où la singularité de la Guinée par rapport aux Etats de l’AOF. Ainsi une victoire éclatante du non au référendum de 1958. Les fonctionnaires et les ouvriers urbanisés en prenant le pouvoir d’Etat dans un contexte de rupture avec l’ancienne métropole « colonisèrent » à leur tour les structures économiques coloniales à leur profit. La naissance d’une bourgeoisie d’Etat induisit de nouveaux rapports sociaux avec la population. Ainsi les paysans corvéables durant la colonisation, le demeurèrent avec l’indépendance. Ce fut ainsi qu’émergea l’Etat néo-patrimonial en Guinée.

La logique de l’Etat néo-patrimonial est de siphonner les ressources publiques au profit d’un clan qui crée des réseaux clientélistes pour s’assurer une certaine impunité et une garantie de pérennité. L’accession au poste de la haute administration permet d’accéder aux moyens de l’Etat et par la suite les détourner de leur but initial. Le Général Lansana Conté ne déclarait-il pas « la chèvre broute là où elle est attachée » ! Dans cette nouvelle compétition, l’ethnie devient le bouclier derrière lequel des projets néo-patrimoniaux se cachent pour prospérer. Ainsi la mauvaise gouvernance, l’exacerbation des clivages ethniques et le déni des droits fondamentaux ne sont pas des déviances mais répondent à la nécessité d’assurer la survie des intérêts néo-patrimoniaux au sommet des hiérarchies de l’administration. L’absence d’une accumulation primitive a conduit les bourgeoisies d’Etat à privatiser l’Etat pour s’enrichir au dépend de la communauté nationale. La logique ethno-stratégique afin de « diviser pour régner » devient par conséquent un adjuvant nécessaire pour permettre la poursuite de la logique néo-patrimoniale. Les conflits politiques par le biais de partis politiques rivaux ne sont alors que la lutte entre des concurrents où chacun veut avoir sa part du gâteau.

Conclusion

Les facteurs de crises et d’éclatement sont réels du fait d’une mémoire collective occultée, d’un inventaire historique embryonnaire, de la persistance de la violence et de la longue gouvernance économique et sociale qui n’a pas pu enrayer la propagation de la pauvreté. Toutefois, la capacité de résilience des populations guinéennes est remarquable. Cette force collective diffuse dont l’origine remonte au partage d’une histoire commune de plusieurs siècles qui a tissé des liens de solidarité et de « vivre ensemble » solides, a permis d’éviter le désastre total. Mais ceci n’est qu’un sursis qui devra être soutenu et encouragé. La mise en force des recommandations pertinentes du Comité National Provisoire de Réconciliation Nationale est urgente pour juguler la montée des frustrations collectives et indiquer un changement de cap dans la gouvernance globale du pays.

Ce changement de cap s’articulera plus activement sur l’affirmation du plein exercice de la citoyenneté pour tous les enfants de la Guinée. La restauration des principes cardinaux de l’Etat de droit et la non-discrimination devant les emplois publics et l’accession aux postes administratifs uniquement fondée sur des critères de compétence et de moralité sont nécessaires pour recréer la confiance entre la population et les élites dirigeantes. Enfin, un changement de paradigme à tous les niveaux est indispensable par la rénovation progressiste des stratégies de la construction de l’Etat. En réalité c’est là où le bât blesse.

J’ai foi en l’avenir d’une Guinée, apaisée, réconciliée et tournée vers la modernité. Nous avons toutes les ressources humaines et matérielles en puisant dans les ressorts méconnus de notre passé, pour réussir. Nous devons le vouloir !

Je vous remercie pour votre bienveillante attention et merci pour votre invitation.

Conakry le 10 novembre 2018

Biographie utile :

-Convalescence agitée en Guinée dans Le Monde Diplomatique (août 1985) par BAH A. Oury

-Effritement du sentiment national en Guinée dans Le Monde Diplomatique (juillet 1986) par BAH A. Oury

-La fin de la chefferie en Guinée par Jean Suret Canale

-Le bilan d’une indépendance par Bernard Ameillon (édition maspéro)

-Histoire des mandingues de l’ouest par Niane Djibril Tamsir

-Le Fouta-Djalon face à la colonisation par Ismael Barry (édition l’Harmatan)

 

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