A Taïwan, les morts vivent dans le luxe pour l’éternité

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Ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on n’a besoin de rien: des villas d’été avec piscine à débordement aux studios de cinéma en passant par les casinos, les fabricants d’offrandes en papier de Taïwan proposent aux défunts de passer l’éternité dans le luxe.

Dans la diaspora chinoise du monde entier, on brûle traditionnellement des effigies de papier afin d’envoyer à ses ancêtres des cadeaux dont ils pourront se servir dans l’au-delà.

Ces dernières années, les billets et lingots d’or habituels ont cédé la place à des objets de consommation plus contemporains, comme des iPads en papier, smartphones, machines à laver, voitures, télévisions, cartes de crédit…

Mais à Taïwan, une poignée de fabricants sont allés un cran au-dessus en concevant des modèles qui permettront aux ancêtres d’accéder au genre de vie que seuls les plus riches et les plus célèbres peuvent s’offrir ici bas.

« Nous pensons que les gens passent dans un autre monde quand ils meurent », dit Chen Shu-hsuan, un entrepreneur de Taïpei qui assiste aux obsèques de son oncle.

Quelques instants auparavant, la famille a regardé partir en fumée une villa de deux étages, avec son système d’éclairage, son personnel de maison et sa voiture de luxe rangée dans le garage attenant.

« Nous espérons qu’il aura une bonne vie dans cet autre monde. Nous avons préparé une maison en papier et beaucoup de billets pour qu’il ait les moyens de bien vivre », poursuit le neveu du défunt.

Cette pratique tire ses origines du taoïsme, religion importante dans l’île. Les offrandes sont brûlées lors des funérailles, des anniversaires de décès et durant les festivals qui honorent les ancêtres.

– « Meilleur pour l’environnement » –

Chen explique que la famille va brûler d’autres objets lors du festival de Ching Ming vendredi. Durant cette fête, les familles chinoises se rendent dans les cimetières pour rendre hommage à leurs morts et nettoyer les tombes.

A 55 ans, Lin Chien-chiang fabrique des modèles de papier depuis 30 ans. Au fil des années, les clients ont des exigences de plus en plus élaborées.

Parmi ses best-sellers, des miniatures très réalistes de smartphones et d’ordinateurs portables ainsi qu’un « mini-coffre » contenant une liasse de dollars américains, des lingots d’or et des cartes de crédit.

Mais il a eu des demandes plus inhabituelles: plusieurs banques miniatures, une navette spatiale, et même un complexe de loisirs comprenant un casino et un bar à hôtesses avec des dames légèrement vêtues.

L’entreprise de M. Lin continue de fabriquer des choses plus traditionnelles comme des maisons de style chinois, plus grandes, en papier et en bambou. Mais ces maisons qui contiennent aussi du polystyrène commencent à passer de mode dans un contexte de préoccupations croissantes pour l’environnement.

« On change pour produire des modèles plus petits et plus compliqués qui sont davantage dans l’air du temps. On se sert aussi de matériaux meilleurs pour l’environnement », poursuit l’artisan, ajoutant que seules 20% des commandes concernent ces offrandes traditionnelles.

Chiang Yueh-lun, 51 ans, vétéran dans l’art des effigies, se souvient de la commande la plus extraordinaire qu’il ait eue: créer le double, grandeur nature, d’un jeune homme mort dans un accident de voiture afin que sa famille puisse en recouvrir sa dépouille très endommagée.

« Certains pensent qu’on porte la malchance car on travaille avec les morts mais je crois qu’on accumule un bon karma avec les services qu’on fournit », dit-il.

– « Vie meilleure au paradis » –

Han Yean, 40 ans, a créé son affaire, Accessoires élyséens d’un genre spectaculaire (Skea), après avoir échoué à trouver la maison de papier idéale pour son grand-père quand celui-ci est décédé il y a 12 ans. Elle avait fini par fabriquer elle-même une villa dotée de la source d’eau chaude que son grand-père avait tant aimée.

Les offrandes en papier sont un hommage aux morts mais permettent aussi aux vivants de surmonter le deuil, estime-t-elle. « On peut continuer à exprimer notre amour. Nous n’oublions pas nos êtres chers et ils vivent dans nos coeurs ».

Han Yean propose des objets faits main tels que des vêtements en papier, des sacs et des cosmétiques pour un prix tournant autour de 3.000 dollars taïwanais (86 euros).

Mais parfois, ces modèles peuvent coûter beaucoup plus cher. Elle a fabriqué une fois plusieurs sets de cinéma datant d’époques différentes pour la famille d’un défunt magnat du spectacle. La facture avait atteint deux millions de dollars taïwanais (près de 58.000 euros).

La tradition a essaimé dans les autres cultures. Mme Han estime que 20% de ses clients sont chrétiens.

Certaines de ses créations seront montrées à partir de juin à Paris au musée du Quai Branly dans le cadre d’une exposition sur les offrandes en papier funéraires de Taïwan. Y figurera en particulier un restaurant de dim sum, les bouchées typiques de la cuisine cantonaise, fondé sur un projet qu’elle avait imaginé pour un client.

« J’espère que les sociétés occidentales comprendront nos pratiques », dit-elle. « Les offrandes en papier ne doivent pas faire peur. Je veux fabriquer des objets en papier magnifiques afin que les gens ressentent que les leurs vivent une vie meilleure au paradis ».

AFP

 

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