Affaire BCRG/EABA : la vraie origine d’un « conflit »…

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L’affaire fait des vaguelettes dans la cité, sans qu’on ne parvienne à comprendre de quoi il en retourne, tant les interprétations tendancieuses et les opinions s’entremêlent dans une histoire qui n’aurait jamais dû prendre de telles proportions médiatiques. Nous avons fait une petite enquête sur les raisons d’un conflit qui agace la Banque Centrale de la République de Guinée.

A l’origine, un simple bail sur l’hôtel Niger et ses emprises, signé pour une durée de 15 ans, par le secrétariat d’Etat au tourisme (à l’époque Nanténin Camara), et qui obligeait le Patrimoine bâti public (PBP), propriétaire des lieux à respecter les termes d’un contrat signé le 4 juin 1990.

Les Etablissements Alseny Bangoura (EABA), bénéficiaires du bail, voulaient exploiter rapidement l’établissement hôtelier mais ils se heurtèrent aux manœuvres douteuses de fonctionnaires du PBP qui n’en faisaient qu’à leur tête.

Le ministre secrétaire général de la présidence, Alseny René Gomez, qui avait en quelque sorte diligenté le dossier, se retrouve quelques mois plus tard au ministère de la Sécurité, laissant impuissants Alsény Bangoura et ses partenaires à la merci des manœuvres d’employés véreux du PBP.

Pendant longtemps, ces derniers ont en effet « scindé » l’hôtel Niger en deux : le bâtiment principal pouvait effectivement être exploité par le gérant Bangoura, mais la location des annexes qui abritaient des boutiques et autres commerces était récupérée par des agents du PBP, sans aucun compte rendu pour le bailleur…

En 2008, précisément le 20 novembre, un jugement du Tribunal de Première Instance de Kaloum sonna la fin du manège. Les EABA pouvaient non seulement récupérer l’ensemble de la surface de l’immeuble et des dépendances objets du bail, mais le tribunal a condamné le PBP à payer 1 milliard GNF, assorti de 1 million GNF par jour de retard, sans compter 100 millions de dommages et intérêts.

Notre enquête nous a permis de savoir que les EABA ont tenté à trois reprises de procéder à l’exécution du jugement, en tentant de saisir les comptes du PBP, en vain. La quatrième tentative sera la bonne.

En effet, l’huissier de justice mobilisé à cet effet (Me Fodé Touré Junior), va réussir à pratiquer une saisie attribution sur un montant de 1 991 960 000 GNF pour le compte des EABA, à partir du compte du PBP logé à la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG).

Le gouverneur de la BCRG de l’époque (Alassane Barry), va d’ailleurs signer, en accord avec les parties en conflit (PBP et EABA) un PV (procès-verbal) de cantonnement (voir document1) qui permettait de libérer ledit montant en temps opportun. La partie semblait pliée, et un des témoins de l’affaire, interrogé par nos soins, va raconter comment un haut responsable de l’administration va insister auprès de la partie qui a remporté le procès pour que cette dernière accepte le paiement. Tout cela se passait le 18 Octobre 2010, aux environs de 9 heures…

Contre toute attente, l’huissier Me Touré va revenir le même jour, aux environs de 12 h 55mn pour procéder à la main levée (voir document2, annulant de facto le PV de cantonnement initialement signé par le gouverneur Barry. A l’analyse, l’origine du « conflit » vient de là…

Toujours le même jour, le même huissier va revenir avec un autre exploit visant à saisir à nouveau le compte du PBP, ce qui provoqua des doutes chez gouverneur Barry, qui s’opposa à une telle procédure. Par précaution, il va néanmoins demander l’avis du ministre de la justice.

En retour, le ministre en question va donner une réponse qui va compliquer la situation des EABA. Son courrier N°558/MJ/CAB/010 du 28 Octobre 2010, a indiqué que « cantonner ce montant de la Direction Générale du Patrimoine Bâti Public viendrait à violer les articles 9 et 10 du Décret D/083/PRG/SGG du 05 Mai 1997 portant organisation et attributions de l’Agence Judiciaire de l’Etat »

Nous avons voulu savoir si la seconde saisie attribution tentée par l’huissier Me Touré, a fait l’objet d’un PV de cantonnement. Sur ce point précis, la BCRG est catégorique ; à leur connaissance, ce document n’existe pas dans le dossier. Du côté des EABA, le PV en question pouvant prouver le cantonnement de la somme visée ne nous a pas été exhibé ni remis comme élément probant, en dépit de notre insistance.

A partir de là, la BCRG est montée au créneau, en indiquant, dans un communiqué (voir document3) élaboré dans le cadre de cette affaire, que « classiquement, les personnes morales de droit public échappent à l’exécution et aux mesures conservatoires conformément à l’article 30 de l’Acte Uniforme de l’Ohada (voir NB), portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement  et des voies d’exécution ».

Dans les faits, l’institution mère des banques en Guinée se retrouve impuissante, face à une situation beaucoup plus compliquée. De nos jours, pour évacuer éventuellement ce genre de dossier, avec le principe de l’unicité des caisses, avec le seul ministre de l’économie et des finances ordonnateur des dépenses sur la base des ressources publiques mobilisées par la Direction nationale du Trésor, elle ne peut prendre une telle initiative.

« Toutes les recettes arrivent dans le même compte de nos jours. Même si on le voulait, on ne peut se le permettre sans risquer de se faire accuser de détournement », a fait remarquer un juriste de la BCRG.

La plainte contre Louceny Nabé

Frustré par la lenteur de la procédure de paiement, alors même qu’une procédure de règlement amiable était initiée pour recouvrer une créance que l’Etat guinéen ne saurait occulter, surtout après les jugements favorables obtenus auprès des tribunaux, le gérant des EABA va porter plainte contre la personne physique de Louceny Nabé.

« Cette forme de chantage est inadmissible. La BCRG n’est pas le PBP et M. Nabé n’est pas concerné par cette affaire », souligne le juriste de la Banque.

« Nous avons considéré que c’est un refus de nous payer notre argent car le montant a été cantonné. Nous n’avons plus affaire au PBP mais à la BCRG », affirme Bangoura pour justifier sa démarche.

« Il est difficile d’être aussi péremptoire tant, en toute objectivité, la personne physique de Louceny Nabé ne devrait pas être partie à ce procès. La BCRG est une personne morale qui est astreinte au respect de la loi et à des procédures strictes. Nabé, fut-il gouverneur, ne saurait les transgresser », fait remarquer un haut responsable d’une banque primaire.

Selon cette source, la confusion vient du jugement rendu « précipitamment » en faveur des EABA quand ces derniers ont voulu « déplacer le problème en indexant le gouverneur qui, en tant que personne physique, n’est pas l’institution de la BCRG », souligne-t-elle.

La même source indique que plusieurs banques de la place avaient été soumises à des histoires de saisie attribution, fragilisant leur réputation dans des affaires qui, selon lui, ont été parfois mal jugées. L’Association des Professionnels des Banques  (APB) se serait d’ailleurs inquiétée de la récurrence de ce genre d’affaires.

« Les EABA parviendront sans doute à recouvrer leur créance mais, si vous voulez mon avis, cela passera par un accord amiable qui devrait forcément impliquer la direction générale du PBP qui doit payer les EABA, le ministère de l’économie et des finances, le Trésor Public, l’agent judiciaire de l’Etat et la BCRG. C’est la voie la plus raisonnable et la plus sage », soupire ce banquier.

D’ores et déjà, au niveau de la BCRG, la position est clairement martelée dans leur communiqué officiel : « la Banque Centrale rappelle qu’elle ne s’est opposée à aucune exécution de décision de justice dans cette procédure. En conséquence, la Banque Centrale estime que cet acharnement contre elle et son Gouverneur est sans fondement ».

Pour la petite histoire, au cours de notre enquête nous sommes tombés sur le dossier d’un autre créancier d’une structure de l’Etat qui a accepté un règlement amiable. Un accord signé de toutes les parties a été conclu, marquant la fin de la galère de cet homme d’affaires.

Par Saliou SAMB

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NB : Article 30 / ACTE UNIFORME DE l’OHADA

« L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité.
Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’État où se situent lesdites personnes et entreprises. »

(ACTE UNIFORME PORTANT ORGANISATION DES PROCÉDURES SIMPLIFIÉES DE RECOUVREMENT ET DES VOIES D’EXÉCUTION – Adopté le 10/04/1998 à Libreville (GABON) Date d’entrée en vigueur : 31/08/1998 Livre 2 – Voies d’exécution

Titre 1 – Dispositions générales)

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