Ça fait froid dans le dos : deux journalistes jugées pour avoir hébergé des migrants

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L’histoire d’Anouk Van Gestel et Myriam Berghe fait froid dans le dos. Ces rédactrices (en chef) pour des magazines belges se retrouvent ce lundi face à un juge flamand à Termonde. En cause? Non pas des articles de presse mais leur prétendue participation à un trafic d’êtres humains… pour avoir hébergé des migrants.

Deux quadragénaires qui, dans le cadre de leur travail, ont été sans doute trop frappées par la détresse humaine se voient aujourd’hui confrontées à un procès aussi infâmant que risqué. Les deux journalistes incriminées dans un procès en correctionnelle en tant que « trafiquantes d’êtres humains » sont attendues ce lundi devant un juge flamand à Termonde. Un tribunal réputé sévère et aux idées proches de celles de la N-VA, s’inquiète l’une d’elle dans Moustique qui racontait leur galère.

Des poursuites pour avoir eu un élan d’altruisme et d’abnégation en Belgique, en 2018, cela semble aussi irréel qu’absurde. Et pourtant: « Le parquet requiert cinq à dix ans de prison à mon encontre et mon avocat n’est sûr de rien », explique Myriam Berghe avec un courage déconcertant. Quel crime une journaliste de Femmes d’Aujourd’hui sans histoire a-t-elle bien pu commettre pour se retrouver dans pareille situation? Tout simplement abriter, héberger des migrants, quels qu’ils soient et surtout en nombre, depuis un reportage au sein de la Jungle de Calais qui a changé sa vie il y a trois ans.

« Un choc effroyable »
Celle qui était allée à Calais pour une distribution de vêtements et rendre compte de la situation sur place a été confrontée à une réalité qui dépassait l’entendement. « Un choc effroyable, j’ai tout de suite compris que j’y retournerais. Des liens d’amitié se sont créés. À la fin, j’y logeais », résume-t-elle dans Moustique. De fil en aiguille, la cause de ces gens en détresse prend le pas sur la retenue et la prudence. Myriam Berghe accepte de loger un migrant égyptien qu’elle a rencontré à Calais et qui lui demande de venir à Bruxelles. Ses connaissances le rejoignent chez elle, elle ne sait ou ne veut pas arrêter la machine. « Une spirale (…) En savoir un tué, l’autre malade. Cela vous prend aux tripes. Cette vie d’Européen nanti qui cherche son bonheur dans le développement personnel, ne me concernait plus ».

« Je n’avais plus d’intimité ni d’argent, mais je m’en foutais »
Les rencontres se multiplient, les personnes qu’elle dépanne aussi. Elle le reconnaît, son appartement « était devenu une nouvelle Jungle! Je n’avais plus d’intimité, d’argent mais je m’en foutais, j’étais toujours mieux lotie qu’eux ». Cinquante-cinq. C’est le nombre de personnes qu’elle a voulu aider et c’est précisément ce que la justice flamande lui reproche aujourd’hui, depuis une perquisition nocturne de la police: il ne s’agit pas simplement d’avoir hébergé des migrants, selon le parquet, mais bien de « trafic d’êtres humains ».

Les fondements du dossier
Il faut remonter aux faits pour comprendre l’enchevêtrement des accusations. « La Police Judiciaire Fédérale de Flandre orientale a une nouvelle fois réussi à arrêter une bande de trafiquants d’êtres humains. La bande en question, active sur différents parkings autoroutiers, se livrait à un trafic de personnes vers le Royaume-Uni. Une partie des trafiquants a été prise en flagrant délit vendredi matin sur le parking de Waasmunster, le long de la E17. Six perquisitions ont par ailleurs été effectuées, au cours desquelles huit suspects ont été interpellés puis placés sous mandat d’arrêt par le juge d’instruction de Termonde », se réjouissait le 23 octobre dernier la police fédérale qui précisait que ces trafiquants rentraient « chez eux à Bruxelles » après chaque « méfait ». Des perquisitions ont donc été menées en Région bruxelloise, où résidaient les intéressés. Et les personnes qui les hébergeaient ont été interpellées et inculpées dans la foulée, toutes pour trafic d’être humains.

Pourquoi un tel traitement? Dans le cas de Myriam Berghe, l’enquête s’est visiblement basée sur le nombre de personnes qui ont transité par le domicile de la Bruxelloise, sur des services qu’elle leur a rendus (notamment retirer de l’argent via Western Union) et surtout sur les activités de certains de ses hôtes, considérés aujourd’hui comme étant des passeurs professionnels depuis le flagrant délit de cet automne et l’ensemble de l’enquête.

Un passeur n’est pas l’autre
Myriam Berghe sait qu’elle a flirté avec l’illégalité mais remet les pendules à l’heure et fait la distinction entre les passeurs professionnels vus à Calais, une vraie mafia sans scrupule, « armée de kalashnikovs » et qui se fait des centaines de milliers d’euros par mois sur le dos des vrais réfugiés, et ceux qu’elle a dépannés: quelques petits passeurs qui « pour 300 euros referment les portes arrière d’un camion, sont mal organisés et attendent juste de pouvoir se payer eux-même un passage ». Des « gamins à l’air dur » qui, en Belgique comme ailleurs, ne trouvent pas aussi facilement de bonnes âmes prêtes à leur tendre la main que les familles qui connaissent au fond la même détresse. Des petits jeunes paumés qui, sans aide, finissent drogués ou tués à la Gare du Nord dans l’indifférence la plus totale. Ce visage-là des « passeurs », la plupart des gens l’ignore totalement.

« Quitte à faire de la prison, je saurai me regarder dans une glace »
Même topo du côté d’une deuxième accusée, Anouk Van Gestel, rédactrice en chef de Marie Claire Belgique. Tout sauf le profil d’une criminelle: elle aussi « hébergeuse solidaire » de nature, une connaissance de Myriam Berghe qui l’a effectivement un jour contactée pour éventuellement mettre en relation un migrant qui séjournait chez elle et un passeur. « Je ne plaiderai pas avoir été naïve et manipulée pour obtenir une suspension du prononcé, prévient-elle, toujours dans Moustique. Je n’avouerai pas quelque chose que je n’ai pas fait. Je suis rédactrice en chef d’un magazine féminin, je parle régime, mode et beauté. Je n’ai rien à voir avec des trafiquants d’êtres humains! Quitte à faire de la prison, mais je pourrai me regarder dans une glace ».

« Elle accueille depuis toujours »
L’entourage d’Anouk Van Gestel ne tarit pourtant pas d’éloges sur la mère de famille qui « accueille depuis toujours ». Pas forcément des migrants, mais en tant que famille d’accueil aussi. Une personne au grand coeur qui ne sait pas fermer sa porte face aux personnes dans le besoin. La perquisition de novembre, puis l’audition par la police, ont été vécues comme un séisme. Le monde à l’envers pour celle qui ne voulait que donner à ceux dans le besoin.

Et la loi, elle dit quoi?
Me Deswaef, pour la défense, rappelle à cet égard l’article 77 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire. Cette disposition légale stipule bien dans son alinéa 1er que toute personne qui aide à franchir une frontière de manière illégale sera poursuivie. « Mais l’alinéa 2 stipule que l’alinéa 1er ne s’applique pas si l’aide est offerte pour des raisons principalement humanitaires », rappelle l’avocat. « Leur condamnation serait un non-sens juridique ». En effet, rien n’indique que Myriam Berghe et Anouk Van Gestel n’aient d’une quelconque façon activement participé aux activités de leurs hôtes. Elles le rappellent, elles ont une vie, un métier prenant, elles n’ont rien de criminelles. Et ça va de soi, surtout rien à gagner à le devenir. Et Myriam Berghe le répète: « Je n’ai jamais aidé à faire passer quelqu’un en Angleterre, au contraire, je leur dis de rester en Belgique et demander l’asile ici ».

La patte de Francken?
Pourtant, leurs explications, le parquet de Termonde, intraitable, n’en a eu que faire jusqu’ici. Mais pourquoi Termonde, justement? Car c’est aussi une partie du problème. Une partie des faits reprochés dans l’instruction qui s’est répercutée sur les journalistes s’est certes déroulée sur des aires d’autoroutes entre Bruxelles et Gand. Mais résultat, 11 des 12 prévenus, pourtant francophones et inquiétés à Bruxelles à la base, se retrouvent dans un procès néerlandophone qui, pour la défense, a clairement des relents politiques. Malgré les efforts des inculpés, un transfert du dossier vers Bruxelles n’a toujours pas été obtenu. Ce lundi, leur défense tentera une dernière fois de l’obtenir. Une pure formalité, commentait Myriam Berghe vendredi, qui ne se présentera pas ce matin devant le tribunal. Au parquet de Termonde, que la défense accuse de servir les intérêts de la N-VA dont il est proche (et donc de la politique migratoire de Theo Francken), on fait voeu de silence devant nos multiples appels et demandes.

Côté cabinet de Francken, on fait mine de ne pas avoir eu vent du dossier et on balaie laconiquement qu’il est normal que le parquet traite des affaires de trafic d’êtres humains, que les dossiers ne passent pas chez eux. Et que Theo Francken ne peut commenter de dossier aux mains du parquet. Sur le fond, à savoir si un hébergeur solidaire doit être considéré comme trafiquant d’êtres humains, pas un mot… Étrange, car on a connu le secrétaire d’Etat beaucoup plus prolixe. Alexis Deswaef, lui, dénonce donc un amalgame entre humanitaire et réseau criminel mais aussi une instrumentalisation évidente du dossier par la N-VA qui, via le tribunal, en profiterait pour saquer des « journalistes/passeurs francophones » en vue des élections. Ce qui fait, pour le coup, bien plus peur qu’un élan de solidarité et un peu d’inconscience.

Source : 7sur7

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