Effet de l’investissement public sur l’investissement privé en Guinée (Par Dr Nasser KEITA)

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Dr Nasser KEITA est un éminent économiste en service à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG). Cette semaine, il s’est intéressé à l’effet de l’investissement public sur l’investissement privé en Guinée…

La nature du lien entre l’investissement public et l’investissement privé en Guinée est analysée à partir d’un modèle d’accélérateur flexible simple dans lequel il est supposé que la technologie de production est caractérisée par une relation fixe entre le stock de capital désiré(K_t^d) et le niveau de production espéré(Y_t^(e )). La forme la plus simple du modèle d’accélérateur est donnée par l’équation ci-après :
K_t^d=αY_t^e Avec α>0 (1)
Le stock de capital K_t s’ajuste en fonction de la différence entre ce stock de capital désiré et le stock de capital de la période précédente K_(t-1) à la vitesse β. Ainsi, ΔK_(t )= β(K_t^d-K_(t-1)) (2)
La vitesse d’ajustement β est supposée dépendre d’un ensemble de facteurs, dont les dépenses publiques, le financement et l’instabilité macroéconomique, souvent caractérisée par une inflation élevée. Ainsi,
log⁡(β)= a_1.log⁡(TINVPU)+a_2.log⁡(DCPIB)+ a_3 .log⁡(CRPPIBB)+a_4 .log⁡(INF) (3)
Avec :
TINVPU = le taux d’investissement public ;
DCPIB = les dépenses courantes sur le PIB ;
CRPPIB = les crédits à l’économie sur le PIB
INF = inflation.
Les dépenses courantes servent au fonctionnement de l’administration dans son ensemble mais aussi à honorer les versements d’intérêt au titre de la dette et au paiement des subventions et transferts. En revanche, les dépenses d’investissement sont celles qui visent à renouveler ou à accroître le capital public. Les différentes de ces deux principaux agrégats sont celles décrites dans le Tableau des Opérations Financières de l’Etat (TOFE) de la Guinée.

L’investissement privé ((I^p ) est déterminé en fonction du stock de capital courant et du taux de dépréciation du capital (δ) selon la relation ci-après :
I_t^p= ΔK_t+δK_(t-1) avec 0<δ En utilisant l’opérateur retard L définie par 〖LX〗_t= X_(t-1) pour tout X et combinant les équations (1), (2) et (3), l’investissement privé s’écrit :
[1-(1-β)L].I_t^p =αβ[1-(1-δ)L].Y_t^d (5)
En faisant l’hypothèse que β=δ, c’est-à-dire que le rythme de dépréciation du capital reste égal à la vitesse d’ajustement du stock de capital, l’équation de long terme de l’investissement s’écrit alors : I_t^p=αβY_t . En effet, à long terme, Y_t^e=〖 Y〗_t et il peut être postulé que ΔX_t= X_(t-1) = X_t pour une grandeur X_t donnée.

Ainsi, l’équation du taux d’investissement privé (TINVP= I^p/Y) est donnée par :
log⁡(TINVP)=log⁡(α)+ a_1.log(TINVPU)+a_2.log(DCPIB)+a_3.log(CRPPIB) + a_4.log(INF) + ε_t (6)
Signes théoriques attendus des variables explicatives :
Le taux d’investissement public (TINVPU) : l’effet de l’investissement du secteur public sur l’investissement privé n’est pas théoriquement déterminé. De plus, les travaux empiriques menés aussi bien dans les pays développés que dans ceux en développement, aboutissent à des résultats divergents.

Au plan théorique, la hausse des dépenses publiques d’investissement peut conduire à une contraction de l’investissement privé, notamment lorsqu’elles sont financées par l’émission de titres publics sur le marché financier. Cette opération peut se traduire par une contraction temporaire de la liquidité, provoquant ainsi une hausse des taux d’intérêt et une baisse des investissements privés (effet d’éviction). Néanmoins, à long terme, les dépenses d’investissement public, notamment en infrastructure devraient avoir un effet positif sur l’investissement privé dans la mesure où elles créent des externalités positives en faveur des agents privés (effet d’entraînement).

Les dépenses courantes rapportées au PIB (DCPIB) : bien qu’indispensables, les dépenses courantes de l’Etat sont par nature improductives, mais elles peuvent avoir un impact positif sur l’investissement privé grâce à une augmentation de la demande globale (Devarajan, Swaroop et Zou, 1995).

Toutefois, lorsqu’elles occasionnent un déficit public important, les agents économiques peuvent anticiper une hausse de la fiscalité, ce qui pourrait décourager l’épargne et l’investissement public. En outre, tout comme les investissements publics, si le déficit de l’Etat est financé par l’émission de titre sur le marché financier, il pourrait se produire une éviction de l’investissement privé. Le signe attendu entre les dépenses courantes et l’investissement privé est donc indéterminé.

Le ratio crédits à l’économie sur PIB (CRPPIB) : les contraintes de financement affectent de façon significative l’investissement privé par l’intermédiaire des crédits que les institutions bancaires et non bancaires accordent au secteur privé. Ainsi, une hausse des crédits à l’économie aurait un effet positif sur l’investissement privé.

L’inflation (INF) : une forte progression du niveau général des prix peut amener la Banque centrale à augmenter ses taux directeurs entraînant ainsi une augmentation du coût des emprunts et une baisse de l’investissement privé. Le signe attendu est par conséquent négatif.

Les données utilisées pour les estimations couvrent la période 1991-2014 et sont issues de la base de données statistiques du FMI-BM. L’analyse des résultats des tests statistiques de stationnarités ADF (Dickey-Fuller augmenté) fait ressortir que la plupart des séries sont intégrées d’ordre Un. Par ailleurs, les tests de cointégration de Johansen effectués sur les séries montrent que les variables utilisées dans l’analyse sont cointégrées.

Les équations ont été exprimées en logarithme en vue d’obtenir directement les élasticités des variables explicatives par rapport au taux d’investissement privé. Le modèle a été estimé selon le mécanisme de correction d’erreur compte tenu des critères non-stationnaires et cointégrés des séries. Dans le cadre de cette étude, la méthode d’estimation en une seule étape de Hendry combinant la dynamique de court terme et l’équilibre de long terme est privilégiée.

Dependent Variable: DLTINVP
Method: Least Squares (Gauss-Newton / Marquardt steps)
Date: 08/29/15 Time: 03:56
Sample (adjusted): 1992 2014
Included observations: 23 after adjustments
DLTINVP=C(1) +C(2)*DLTINVPU+C(3)*DLDCPIB+C(4)*DLCRP+C(5)
*DLINF+C(6)*LTINVP (-1) +C(7)*LTINVPU (-1) +C(8)*LDCPIB (-1) +C(9)
*LCRP (-1) +C(10)*LINF (-1)
Coefficient Std. Error t-Statistic Prob.
C(1) -5.355672 2.338445 -2.290270 0.0394
C(2) -0.776096 0.238183 -3.258404 0.0062
C(3) 0.972139 0.363170 2.676812 0.0190
C(4) 0.623943 0.774256 0.805861 0.4348
C(5) -0.157318 0.162450 -0.968409 0.3505
C(6) -0.944976 0.263202 -3.590311 0.0033
C(7) -0.777944 0.415405 -1.872735 0.0838
C(8) 0.568579 0.519841 1.093755 0.2939
C(9) 0.584933 0.355964 1.643235 0.1243
C(10) -0.018215 0.173645 -0.104897 0.9181
R-squared 0.719369 Mean dependent var 0.046268
Adjusted R-squared 0.525086 S.D. dependent var 0.395554
S.E. of regression 0.272592 Akaike info criterion 0.537338
Sum squared resid 0.965982 Schwarz criterion 1.031031
Log likelihood 3.820616 Hannan-Quinn criter. 0.661500
F-statistic 3.702691 Durbin-Watson stat 2.112656
Prob (F-statistic) 0.016403

Dans cette équation, les coefficients C_2 à C_5 captent la dynamique de court terme, tandis que les coefficients〖 C〗_1, C_6 à C_10 caractérisent l’équilibre de long terme. Le coefficient C_6 est la force de rappel vers l’équilibre de long terme. Il doit être significatif, négatif et inférieur à l’unité en valeur absolue.

Les élasticités de court terme sont égales aux coefficients C_2, C_3, C_4 et C_5. En revanche, les élasticités de long terme sont :
C_7/C_6 , – C_8/C_6 , – C_9/C_6 , – C_10/C_6
Les dépenses publiques ont un impact négatif à court et à long terme sur l’investissement privé dans ce modèle (mauvaise orientation vers les secteurs improductifs) C_(2 ) et C_7.
L’inflation également a un impact négatif en dynamique de court et de long terme C_5 et C_10.
L’envergure (vitesse de retour à l’équilibre de long terme) est -0,944
Le délai est égale à 1,059 soit une année et 5 jours avec des politiques optimales signalées dans nos recommandations.
Malgré la significativité des variables (investissement public INVPU, dépenses courantes DCPIB, et investissement privé INVP dans le modèle à travers le T-student, la pertinence du modèle également,
une chose est assez visible dans ce modèle, lorsque les dépenses courantes augmentent de 10%, les investissements privés baissent de 9,44%

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES

Les résultats de l’étude ont permis d’établir l’absence d’effet d’entraînement des dépenses publics sur l’investissement privé, il se dégage de l’étude que l’orientation des dépenses publiques en capital vers des secteurs de soutien à l’activité privée, notamment l’investissement public en infrastructures et la rationalisation des dépenses courantes devraient contribuer de façon significative à la croissance économique en Guinée. Il en est de même de l’accumulation de capital humain, dont le but est d’accroître les capacités, les connaissances, les compétences des individus afin d’augmenter la productivité des entreprises.
Au total, deux principales recommandations de politiques économiques se dégagent :

ØL’Etat Guinéen devrait améliorer davantage la gestion des finances publiques de façon à consacrer une bonne partie du budget au financement des investissements publics, notamment en infrastructures. Certes, les dépenses courantes sont indispensables au fonctionnement des services publics, mais l’Etat ne devrait pas cependant allouer la majeure partie de son enveloppe financière à ce type de dépenses improductives.

ØLe renforcement de l’investissement en capital humain devrait être une priorité pour le Gouvernement. En effet, il est essentiel de mettre l’accent sur l’éducation, la formation, le renforcement des capacités et les autres services sociaux, grâce à une rationalisation des dépenses publiques en vue de relancer la croissance économique en 2017.

La politique budgétaire est l’un des instruments les plus couramment utilisés dans la mise en œuvre des politiques économiques. Elle consiste à agir sur les dépenses publiques ou la pression fiscale pour affecter l’économie. A cet égard, elle peut être contra cyclique ou pro cyclique selon le mécanisme de mise en œuvre. En effet, la politique budgétaire pro cyclique augmente les dépenses publiques et diminue les taxes en période d’expansion économique. Contrairement à la phase de récession où l’Etat diminue ses dépenses et augmente la pression fiscale. Cela fût le cas des pays en développement durant la période des ajustements structurels.

En ce qui concerne la politique budgétaire contra cyclique, elle est expansive pour booster l’économie en cas de ralentissement de l’activité et restrictive en cas de surchauffe.

La politique budgétaire repose essentiellement sur la théorie keynésienne qui a développé le concept d’Etat-providence par lequel il consacre un rôle d’acteur économique au gouvernement pouvant influencer positivement la conjoncture.

En effet, elle a souvent été utilisée comme un instrument majeur par les décideurs durant les plus grandes crises économiques ayant marqué l’histoire, notamment celle des années 30.

En guise d’illustration, la politique budgétaire fut au cœur du modèle de sortie de crise proposé par Keynes et a permis aux pays occidentaux de réaliser des performances économiques sur une longue période communément appelée les 30 glorieuses. En outre, le multiplicateur budgétaire qui représente la contribution des dépenses publiques à la création de richesses est étroitement lié à la structure et au contexte des économies. Mendoza et al. (2010) montrent que le multiplicateur budgétaire est plus faible dans les pays en développement que dans les économies développées.

Par ailleurs, l’impact des chocs de dépenses publiques sur le revenu des pays varie selon le type de régime de change adopté. A cet égard, le multiplicateur budgétaire est plus grand pour les pays choisissant un régime de change fixe que pour ceux optant pour un change flexible. Ce constat empirique est le fruit des caractéristiques liées à chaque régime. Autrement dit, en régime de change fixe, la politique monétaire est passive et souvent plus compatible avec celle budgétaire, alors qu’en régime flexible, la politique monétaire peut être à l’origine d’un effet de compensation qui vient annihiler les retombées économiques qu’engendrerait un choc de dépenses publiques. Les analyses empiriques montrent également qu’un degré d’ouverture et une trop forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur tendent à diminuer l’impact de la politique budgétaire sur la croissance et aggravent le déficit dans la longue durée.

En effet, la politique budgétaire est un instrument primordial en matière de conduite de stratégies de développement pouvant permettre d’atteindre plusieurs objectifs notamment une croissance élevée et soutenue. A cet égard, le succès des politiques passe inéluctablement par une utilisation optimale des ressources à travers des dépenses ciblées permettant d’obtenir les meilleures performances économiques. Dès lors, la question d’une composition optimale des dépenses publiques se pose entre celles courantes et celles d’investissement pour assurer la stabilité macroéconomique et la création de richesses compte tenu de la rareté des ressources.

Selon le NRF (Natural Resource Funds) qui vise principalement la stabilité macroéconomique et celle des finances publiques, les ressources des Etats doivent être utilisées de manière rationnelle en termes de consommation, d’investissements en infrastructures et/ou en capital humain, de transferts sociaux, etc. Cela devrait notamment permettre aux pays en développement riches en ressources naturelles, où ces dernières constituent la principale source de financement de l’Etat, de dissiper les craintes liées à la viabilité (due à la dépendance vis-à-vis de l’extérieur) et l’efficience des finances publiques.
En Afrique, plusieurs pays ont réalisé des performances économiques et budgétaire.

Suite à toutes ces analyses économétriques, la question qui se pose et à la quelle nous allons répondre prochainement est la suivante :
Quelle est la meilleure composition des dépenses publiques qui devrait idéalement permettre à l’Etat d’atteindre ses objectifs de développement économique social ?
Autrement dit, une politique budgétaire bien structurée permettrait une action gouvernementale plus efficace du point de vue de l’utilisation rationnelle des ressources tout en cherchant à améliorer les conditions de vie des populations et d’épanouissement de l’activité économique.

Mais avec quel type de modèle ?

NB : Nos articles sont des articles scientifiques qui utilisent assez de notations mathématiques et statistiques le plus souvent pas facilement digérables, mais notre objectif est d’arriver à mieux démocratiser le débat économique dans notre pays.
Nous nous en excusons fortement auprès de certains lecteurs.

Nasser KEITA, PhD
DIRECTEUR DU LA BORATOIRE DE RECHERCHE ÉCONOMIQUE ET CONSEILS
www.lab-rec.org

 

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