En l’honneur d’Alhadji Amadou Chérif de Kankan (Par Pr Lansiné Kaba, Doha)

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En ce jour de lundi, 11 septembre 2017, à Doha au Qatar, un peu avant 13H 30, heure locale, un coup de téléphone imprévu de Kankan interrompit mon travail. Je pris la communication. A la surprise initiale succédèrent immédiatement le saisissement et la prononciation de la formule consacrée de gratitude habituelle chez les fidèles musulmans. L’appel venant de loin m’informa de la perte considérable que venait de subir la ville de Kankan, en vérité le monde islamique de l’ouest africain, la communauté musulmane de la Guinée, et tous ceux qui prisaient le personnage auguste de l’homme dont la voix au téléphonique me parlait, un habitant de Kankan d’une éloquence exceptionnelle en langue maninnka-mori.  En l’occurrence, il s’agit de la nouvelle du décès tout frais d’Alhadji Amadou Chérif, octogénaire gracieux et affable au sourire de nacre qui symbolisait bien des caractères spécifiques de la grandeur historique et culturelle de la cité de Kankan à Chérifoula. La réputation de mystique du défunt couvrait une bonne partie de la région du haut bassin du Niger-Sénégal.

Rendons la gloire, l’honneur et la reconnaissance au Créateur sublime et miséricordieux qui offrit, il y a plus de huit décennies un tel fleuron de l’humanité à la Guinée, et à Kankan en particulier. Al-Hadji Amadou naquit dans la famille illustre des Chérif dont les rameaux, issus, il y a quelque trois siècles, du Sahel en Mauritanie, sont essaimés dans l’ouest africain, du Mali, au Burkina, en Côte d’Ivoire, au Fouta, au Konya et bien sûr au Bâté dont Kankan-Nabaya est la métropole. Depuis ma tendre enfance dans la ville du Milo, après le décès de mon père en mars 1948, j’ai commencé à connaître, à fréquenter et à écouter le timbre de la voix claire et florissante du jeune marabout alors à vélo et ensuite en voiture et qui, dans sa tenue arabe, impressionnait les passants et même les coloniaux.  Il me prit en estime. Il m’ouvrit à Chérifoula la porte de sa grande case d’alors située sur le chemin tortueux et herbeux du Champ de courses qui s’étendait dans la vaste plaine située sur la rive gauche du fleuve Milo et où les compétitions hippiques égayaient les citadins, blancs et noirs, l’après-midi le dimanche et les jours de fête. Alhadji Amadou m’introduisit à savourer le thé sucré à la menthe, et au milieu des discussions « savantes » dont je saisissais alors mal les ramifications. Chose étrange et même curieuse, Laye Amadou m’apprit patiemment en malinké les chapitres d’histoire et de géographie que l’instituteur de l’école régionale peinait à expliquer aux élèves. Telle est l’une des images du jeune homme Chérif qui contribua, à sa façon, à ma formation.

Alhadji Amadou, comme vous le saviez, émerveillait par son vaste savoir, sa disponibilité à recevoir et à dialoguer, et à convaincre par le raisonnement méthodique, fin et aguichant.  De telles qualités didactiques en malinké lui ont permis, je me souviens, d’une des occasions avec le grand imam, son ami Alhadji Karammô Sékou Kaba, comment il a pu conquérir une foule d’enseignants du secondaire qui étaient venus assister sous la direction de l’Inspecteur de l’éducation régionale Alhadji Talibi Cissé a un congrès sur la pédagogie au centre Hochi- Minh à Kankan.  Là, les deux hommes de lettre arabe ont démontré aux éduqués en français que le savoir, le bon sens et la familiarité avec la pensée de Platon ne se limitaient pas aux langues européennes.  En effet, à l’éducation qu’il commença en famille, l’adolescent Amadou ajouta la tradition robuste des Djakanké de Touba, le savoir minutieux de l’arabe classique du Moyen-Orient. Son propre appétit du savoir et sa curiosité intellectuelle et spirituelle l’aidèent à savoir modeler les tournures savantes et donc à briller.  Plus tard, Alhadji Amadou, fortement établi à Chérifoula, se fit remarquer par sa convivialité et sa volonté de se mettre au service de l’intérêt collectif. Progressivement, il hérita ainsi de ce que ses aïeux, son père et ses frères avaient semé. La moisson de cette culture prodigieuse se répandit aussi bien en Guinée que dans les territoires voisins où enseignaient nombreux ses disciples.

Volontiers, je déclare que j’ai perdu mon grand frère, mon maître, une source intarissable de ma passion pour le savoir et la spiritualité.  Al-Hadji Amadou, le défunt, ses aînés Alhadji Sama et Alhadji Karammô Bemba m’ont apprécié dans ma tendre enfance. Ils m’ont instruit de la sagesse de leur père, Cheikh Mouhammad Chérif, ainsi que de de l’amitié qui liait celui-ci à Karammô Talibi Kaba de Kéfinnah, autre personnage historique de Kankan.

D’Alhadji Amadou, j’ai appris des éléments de la grandeur spirituelle de son grand père Karammo Sidiki, conseiller spirituel d l’Almami Samori Touré, du patriotisme sage du grand Karammo Mory Kaba. En somme, je déclare ici toute ma gratitude aux Chérifs de Kankan, et spécialement à Alhadji Amadou, même si je n’ai jamais fréquenté l’école coranique de Chérifoula. Le nectar qu’Alhadji Amadou et Alhadji Sama, et bien des autres marabouts de Kankan, m’ont gentiment abreuvé finit par germer et enrichir mes travaux académiques, hélas publiés en des langues autres que l’arabe qu’ils ils ont pu maîtriser sans tomber dans l’extrémisme jihadiste qui inquiète et effraie.  En somme, je pleure la mort d’un grand intellectuel, d’un être humain d’apparence et de qualité exceptionnelles. Il aimait son pays et sa ville et suppliait Dieu pour l’humanité. Nous le remercions de son dévouement à la cause de la vérité et de la piété. Que son âme bénéficie de la paix éternelle et que nos pays se glorifient toujours de compter des gens de sagesse.

Par Lansiné Kaba, Professeur à Doha

 

 

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1 commentaire
  1. Sylla dit

    Quelle belle plume.
    Paix a l’âme du Karamokoba.

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