Environnement/ Guinée : radioscopie du droit des déchets (Par Youssouf Sylla)

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En droit guinéen, le déchet est défini par l’article 58 du code de l’environnement qui qualifie de déchet « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, ou tout bien meuble abandonné ou destiné à l’abandon ». Il est temps de lever un coin de voile sur le droit qui régit la gestion des déchets en Guinée afin d’évaluer sa pertinence par rapport à ses défis présents et futurs.

Un droit dispersé

A la différence de nombreux autres pays, il n’existe pas de loi spéciale sur les déchets en Guinée. Les sources de ce droit sont dispersées dans divers instruments juridiques nationaux et internationaux: la Constitution, le code de l’environnement et certaines autres lois sectorielles comme le code de la santé publique, le code de l’eau ou encore le code pénal. Il y a aussi au plan international, la convention de Bâle et celle de Bamako.

L’une des obligations essentielles de l’Etat au titre de l’article 16 de la Constitution du 7 mai 2010 est de veiller sur la protection de l’environnement. De cette obligation, découle le pouvoir de réglementation par l’État de l’environnement et des différentes sources de pollution parmi lesquelles les déchets occupent une place de choix. C’est ainsi que le cycle de gestion des déchets (prévention, importation, ramassage, traitement élimination) est prévu en Guinée par différents textes juridiques.

Dans le cadre de la prévention, le code de l’environnement en son article 67 donne à l’État le pouvoir de règlementer ou d’interdire en cas de nécessité, la fabrication, l’importation et la détention des produits qui génèrent les déchets. Aussi, la constitution à travers son article 17 interdit l’importation des déchets toxiques en territoire guinéen et qualifie cette infraction de crime contre la nation. On peut penser qu’en formulant l’article 17, le constituant semblait avoir été fortement marqué par un événement qui avait frappé les esprits en 1988. Il s’agissait du débarquement sur les côtes guinéennes (Iles de Kassa) de 15 000 tonnes de déchets toxiques en provenance des États-Unis d’Amérique.

Le seul cas de ramassage des déchets prévu en en droit guinéen, est le ramassage des ordures ménagères, seulement dans les agglomérations urbaines (article 62 du code de l’env.). Cet article prévoit que ces ordures doivent « être déposées par chaque foyer dans une poubelle spécialement affectée à cet effet et placée en bordure de la chaussée pour ramassage par les services de la voirie ».

Les déchets doivent ensuite être traités de manière écologiquement rationnelle afin d’éliminer ou de réduire leurs effets nocifs sur la santé de l’homme, les ressources naturelles, la faune et la flore ou la qualité de l’environnement en général (article 60 code de l’env.). Les normes relatives à l’élimination des déchets (par incinération ou par enfouissement) sont établies conjointement par le ministre de l’environnement et celui de la santé publique (article 104 du Code de la santé publique).

L’immersion ou l’élimination des déchets dans les eaux continentales et les eaux maritimes guinéennes sont interdites sauf dans deux cas : lorsqu’il existe une autorisation du service de l’environnement à cet effet et en cas de force majeure entraînant une menace directe et certaine sur la sauvegarde de la vie humaine ou la sécurité d’un navire ou d’un aéronef (article 65 code env.).

De son côté, le code de l’eau interdit, sauf sur autorisation du ministre de l’environnement en concertation avec le ministre de l’hydraulique, l’évacuation et le déversement dans les eaux, à la surface du sol, en profondeur, de toute matière pouvant entraîner une pollution. La même interdiction vaut pour l’immersion ou l’élimination par quelque procédé que ce soit, de déchets dans les eaux continentales (Code de l’eau, articles 31 et 32).

En ce qui concerne par ailleurs les sources internationales du droit guinéen des déchets, elles résident principalement dans la Convention de Bâle et la Convention de Bamako. La Guinée a adhéré le 26 avril 1995 à la Convention de Bâle du 22 mars 1989 et ses annexes qui portent sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Bâle n’interdit pas l’exportation des déchets dangereux d’un pays vers un autre, elle règlemente plutôt leur mouvement en s’assurant que ce mouvement se fait après le consentement des parties concernées (pays d’exportation, pays d’importation et pays de transit) et comme mentionné dans son préambule, dans des conditions qui ne présentant aucun danger pour la santé humaine et l’environnement.

Toutefois, Bâle a suscité de nombreuses critiques surtout de la part des pays pauvres qui voyaient en elle le moyen pour les pays développés de les inonder de leurs déchets. C’est ainsi que les Etats africains se sont engagés à négocier une convention régionale, qui à la différence Bâle, interdit l’importation des déchets dangereux sur le continent africain. Il s’agit de la Convention de Bamako qui porte sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets. Curieusement cette convention n’est pas encore ratifiée par la Guinée qui l’a pourtant signée le 30 janvier 1991. Le retard observé par la Guinée dans la ratification de cette Convention est incompréhensible d’autant plus qu’elle permettra d’amplifier à l’international son opposition à l’importation des déchets dangereux en Afrique.
Avec un mécanisme de sanction souvent confus et dépassé

Les sanctions des violations des règles de gestion des déchets sont prévues dans le code de l’environnement, le code pénal et le code de l’eau. Pour certaines sanctions, le code de l’eau renvoi à l’ancien code pénal qui n’est plus en vigueur, d’où la non pertinence desdites sanctions à cause de l’adoption d’un nouveau code pénal en Guinée. Sans compter qu’il arrive aussi de constater que certaines autres infractions prévues dans le code de l’environnement sont sanctionnées à la fois par le code de l’environnement et le nouveau code pénal, d’où des confusions sur la sanction à choisir.

En effet, la violation des règles de gestion des déchets est punie d’une amende de 15.000 à 150.000 francs guinéens et d’une peine d’emprisonnement de 3 mois à 1 an ou de l’une de ces deux peines seulement (article 109 code de l’env.). Les infractions visées sont les suivantes : traitement et élimination inappropriés des déchets, leur abandon dans les agglomérations urbaines disposant d’un service de ramassage, emplacement des ordures ménagères dans des endroits contre indiqués et immersion sans autorisation des déchets dans les eaux maritimes et continentales nationales (article 61 code de l’env.).

La législation pénale s’invite aussi sur le terrain de la sanction. Elle érige en contreventions de deuxième classe, donnant lieu au paiement d’une amende dont le montant ne dépasse pas 100 000 francs guinéens, les faits suivants: le déversement et l’abandon sans autorisation dans des endroits contre-indiqués des ordures, déchets, déjections, matériaux et liquides insalubres. A la différence des sanctions prévues par le code de l’environnement, le code pénal ne prévoit pas de peine privative de liberté (articles 969 et 68 du code pénal).

Toutefois, les sanctions prévues par le code pénal deviennent plus sévères lorsqu’un véhicule est utilisé pour jeter et déverser sans autorisation les déchets dans des endroits contre-indiqués. Il s’agit là d’une contravention de cinquième classe dont le montant peut aller jusqu’à 500 000 francs guinéens (article 981 code pénal). Pour de telles contraventions, le code pénal prévoit aussi l’application d’une peine complémentaire qui porte sur la confiscation de la chose qui a servi à commettre l’infraction ou des produits qui en résultent. Si l’infraction est commise par une personne morale autre que l’État, deux sanctions vont s’appliquer cumulativement : La première est une amende dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques. La deuxième est la confiscation des biens à l’aide desquels l’infraction a été commise.

Par comparaison au code de l’environnement, le montant de l’amende prévue par le code pénal est plus important (500 000 contre 150. 000 francs guinéens). Pour ce qui est en revanche des mesures privatives de libertés, le code de l’environnement est plus sévère (peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an). Bref, alors que le code de l’environnement est plus orienté vers les mesures privatives de liberté avec des sanctions financières plus ou moins dérisoires, le code pénal, lui reste, nettement orienté vers une sanction économique.

Face à une infraction qui fait appel à l’application concomitante de ces deux codes, on se demande lequel des deux devrait prendre le dessus? En vertu du principe général du droit selon lequel la loi spéciale l’emporte sur la loi générale, on peut donc conclure dans cette circonstance, que ce sont les sanctions du code de l’environnement qui seront appliquées.

Enfin, le code de l’eau interdit le déversement et d’évacuation dans les eaux des substances qui altèrent sa qualité et les substances incriminées peuvent être des déchets liquides (article 60). Mais pour ce qui est des sanctions à appliquer, il renvoi aux articles 178 et suivants du code pénal. Il s’agit en occurrence de l’ancien code pénal adopté en 1998 et qui n’est plus en vigueur. Par conséquent, de telles sanctions sont inapplicables.

Un droit lacunaire qui a besoin d’être réformé.

La gestion des déchets en Guinée repose sur une approche juridique fragmentée qui rend sa compréhension malaisée par les acteurs qui qui sont chargés de sa mise en œuvre (les services d’Etat, les collectivités locales, les citoyens, les potentiels investisseurs, les bailleurs de fonds et le personnel en charge de l’application des lois).

De plus, sur de nombreux points, ce droit est incomplet. Il ne procède pas à une classification rigoureuse des déchets, n’indique pas les éléments à prendre en compte dans l’élaboration d’un plan directeur de gestion des déchets au plan national, régional et local. Il ne prévoit pas un système rigoureux de traitement des déchets selon leur nature. Il est aussi insuffisant sur le mécanisme de contrôle périodique des activités liées à la gestion des déchets et dans certains cas met en concurrence le code pénal et le code de l’environnement lorsqu’il s’agit de sanctionner certaines infractions comme le déversement et l’abandon sans autorisation des déchets dans les endroits contre-indiqués. In fine, ces lacunes plaident en faveur de la construction d’une approche plus intégrée du droit des déchets à travers une loi spéciale.

Cette réforme est nécessaire dans un pays où la population et l’urbanisation croissent à un rythme rapide et où l’industrialisation précoce ou tardive, compte tenu de nombreuses ressources naturelles de la Guinée, sera à la base, dans un proche avenir, d’une phénoménale production des déchets de toutes sortes, nuisibles à l’environnement et à la santé des populations.

Youssouf Sylla, analyste-juriste, à Conakry

 

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