INTERVIEW. Baïlo Teliwel Diallo, ancien ministre : « on n’avancera jamais,… si on écarte systématiquement nos langues nationales du système éducatif »

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Bailo Teliwel Diallo est ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Dans une interview -à bâtons rompus- qu’il a bien voulu accorder à Mediaguinee, ce grand amoureux de la terre a fait le diagnostic sans complaisance de l’éducation nationale, situé les responsabilités et proposé des pistes de solution. M. Diallo a également évoqué avec pertinence la question de l’introduction des langues nationales dans les programmes scolaires en Guinée. Non sans donner son avis sur la situation socio-politique du pays. Deuxième partie de l’interview…

Mediaguinee : Beaucoup de voix comme celle de Hadja Aïcha Bah (ancienne ministre de l’éducation) appellent à l’introduction des langues nationales. Qu’est-ce qui n’avait pas marché ?

On n’avancera jamais, ni dans le préscolaire, ni dans le primaire, ni dans le secondaire, ni dans le supérieur, ni dans l’enseignement technique et de la formation professionnelle si on écarte systématiquement nos langues nationales du système éducatif.

Baïlo Teliwel Diallo : Le problème des langues nationales, c’est que d’abord on ne veut pas le poser. Et là encore c’est la question de la définition de la finalité de l’école. On nous donne souvent l’exemple des pays asiatiques qui ont réussi parce qu’ils ont investi dans la formation du capital humain. Alors qu’il y a trente ans, on était à peu près au même niveau, aujourd’hui, on est même pas sur la même planète économique parce qu’ils ont investi dans le capital humain, c’est vrai. Mais je pose une question : quel est le pays asiatique, quel est le pays développé au monde qui enseigne dans une langue étrangère à sa nation, lequel ? On occulte cette question. Même dans les 1ères classes du primaire, en Guinée, on ne veut pas enseigner dans les langues nationales. Même au préscolaire, si tu demandes aux parents, aux encadreurs, aux propriétaires des écoles du préscolaire, on motive l’inscription des enfants en disant : ici , on apprend le français, on apprend même l’anglais. Mais on n’apprend pas à l’enfant à s’exprimer oralement et de façon écrite dans sa langue. On n’avancera jamais, ni dans le préscolaire, ni dans le primaire, ni dans le secondaire, ni dans le supérieur, ni dans l’enseignement technique et de la formation professionnelle si on écarte systématiquement nos langues nationales du système éducatif. Je n’ai pas dit de mettre la langue nationale à tous ces niveaux là, mais, la porte d’entrée de l’apprentissage, de l’éducation, la porte d’entrée de l’émancipation de l’élève, de l’éducation de l’enfant, c’est sa langue. C’est son expression orale, son expression écrite. Est-ce que vous avez entendus nos enfants chanter l’hymne national ? Est-ce que vous croyez vraiment qu’ils savent de quoi ils parlent ? J’ai fait une expérience en pédagogie active : un jour, on est allé dans une école à Forécariah. On a demandé à un enfant qui était en 2ème année du primaire de raconter une histoire pour ses camarades ; on l’a laissé s’exprimer totalement, et donc dans sa langue maternelle, car à ce niveau, il s’agit d’abord d’acquérir des aptitudes en expression écrite et orale. il a dit, en soussou : « le dimanche passé, j’ai accompagné mon père au champ de riz ». Et il y a un autre élève qui lui demande, en soussou également : « comment on cultive le riz ? » Et l’enfant a expliqué tout le processus, depuis comment on prépare le champ, le semis, le repiquage, comment on suit le riz en train de pousser, comment on maitrise le plan d’eau, comment on attend que ça mûrisse, comment on attend que les épis sèchent, comment on récolte, comment on fait le battage, comment on fait l’étuvage. J’étais avec un expert français en pédagogie active, il dit : « tu sais Téliwel, vous, à l’école primaire, vous avez déjà des jeunes qui sont des techniciens agricoles. Chez nous, à l’école primaire, si tu demandes à un enfant d’où vient le riz ? Il va dire du supermarché ». On ne mesure pas ce que nos enfants connaissent, à partir de leur expérience dans leur milieu, et on les bloque leur expression en les obligeant, dès la 1ère année, en 2ème année voire en 3ème année, à s’exprimer en français. Si tu ne parles pas français, tu as zéro, donc tu ne passes pas en classe supérieure. Et par conséquent, on n’utilise pas des pédagogies permettant de passer de l’expérience qu’il a dans sa langue maternelle à une meilleure expression en français, ou dans n’importe quelle autre langue. De cette façon, on bloque la société, on bloque les enfants et on s’étonne d’avoir des résultats qui ne sont pas bons. Les gens disent que c’est à cause de l’introduction des langues nationales dans l’enseignement durant la 1ere République qu’il y a eu des retards ; mais, ça fait plus de trente ans qu’on a abandonné les langues nationales à l’école !. Demande à ceux qui sont passés par coco lala (langue nationale), à quel niveau ils sont ? La maitrise des connaissances, l’expertise technique, ils l’ont. Aucun d’eux ne dira que j’ai fait coco lala mais pourtant je suis un très bon cadre. Pourquoi il ne le disent pas afin que leur témoignage contribue à l’évaluation, par les pédagogues, les techniciens, les scientifiques, les sociologues ? Les guinéens aiment politiser les problèmes auxquels ils sont confrontés.


Votre choix fascine bien de personnes. De ministre, vous retournez à la terre. Vous êtes propriétaire d’une ferme de plusieurs hectares à Popodara, dans Labé. Votre reconversion a-t-elle été facile ?

 » (…) les militaires prennent le pouvoir, les gens sortent dans la rue et disent à bas coco lala (langue nationale). Les militaires enfourchent cette expression spontanée qui n’a rien à voir avec une évaluation et liquident tout le système qui était en place. Et on prend comme modèle Dakar »

BTD : Le problème est mal posé. C’est que moi j’avais choisi la terre avant d’être ministre. Et donc, dès que je n’ai plus été ministre, je suis revenu à mes choix. Quand je dis que j’ai choisi la terre, ça ne veut dire que j’étais un paysan. Mais, j’ai toujours été extrêmement attentif à la question paysanne. En tant que professeur de l’économie de développement, chef de chaire d’économie à Gamal, j’ai voulu introduire l’économie agricole dans les programmes pour les économistes, autrement dit attaquer frontalement la question de l’agriculture et de la paysannerie. C’est l’objectif de l’époque, c’était la vision de l’époque. Amener les feux de la science dans le domaine qui est un domaine clé sans lequel, on ne s’en sortira pas. Ensuite, j’ai adhéré fortement au projet Sekoutouréen du Centre d’Enseignement Rural (CER), c’est-à-dire de construire une école qui soit adaptée au développement rural. L’école de Téliwel de Youkounkoun, de Panziazou ne peut pas être la même école que l’école de Dixinn, l’école de Ratoma, l’école de Kaloum. Donc, créer une école qui non seulement s’approprie du monde rural mais contribue et participe au développement de son milieu rural. C’était cela le projet. En 1984, je suis revenu des Seychelles (où j’étais en mission de coopération) avec un projet d’un CER amélioré, un centre de formation en milieu rural. J’ai rencontré le président Sékou Touré qui m’a fait exposer ce projet devant le bureau politique réuni. Ils ont tous dit très bien, voilà un projet qui va contribuer au développement du monde rural guinéen. Je l’ai rencontré, et deux semaines après, il (Sékou Touré) décède. Et une semaine après, les militaires prennent le pouvoir, les gens sortent dans la rue et disent à bas coco lala (langue nationale). Les militaires enfourchent cette expression spontanée qui n’a rien à voir avec une évaluation et liquident tout le système qui était en place. Et on prend comme modèle Dakar. Et évidemment, mon projet disparait dans la bourrasque J’ai navigué à gauche et à droite mais l’idée est restée là, et donc, avant que je ne sois ministre, ma femme et moi, on a cherché un domaine pour concrétiser ce projet qu’on partageait. D’ailleurs, le domaine que l’on a obtenu, c’est son grand père qui le lui a donné lorsqu’il a entendu dire que nous cherchons un domaine pour faire de l’agriculture. On a commencé à construire la maison d’habitation et petit à petit à aménager le domaine. Donc, ministre a été un intermède qui m’a donné aussi des ressources me permettant d’avancer un peu plus. Et quand je n’ai plus été ministre, je suis revenu là où j’étais. Aujourd’hui, on a construit dans le domaine un centre de formation et de technologies appropriées, un grand hangar rectangulaire, en banco et avec des tôles achetées d’occasion, mais un bâtiment très solide, très bien fait et où je fais venir des enseignants, pour leur apprendre des pédagogies qui leur permettent d’améliorer leurs façons d’enseigner dans leurs écoles. Je suis toujours dans la même logique, c’est-à-dire, l’école doit être améliorée mais, ce n’est pas en coupant l’école de son milieu, c’est en incrustant l’école dans son milieu, du point de vue de la langue, des savoirs locaux, des savoirs des populations, des traditions des populations et de l’expérience des élèves et avec des ressources du milieu y compris des ressources de l’administration. C’est en mettant tout ça ensemble qu’on va bâtir une école de qualité avec des enfants qui sont des chercheurs dès l’âge de quatre (04) ans !

De l’agriculture à la politique, il n’y a qu’un pas. Vous avez été aussi un politique engagé. Comment jugez-vous le retour des militaires au pouvoir en Afrique de l’ouest et notamment en Guinée ?

Les militaires interviennent pour affronter les dérives nées de l’ultra libéralisme économique et de la démocratie ultra libérale. Ça ne veut pas dire qu’ils ont raison. Ça veut dire simplement que ce sont, en dernière instance, les crises et les problèmes nés de l’ultra libéralisme qui font le lit sur lequel les militaires ont construit leur argumentaire idéologique.

BTD : D’abord, je ne suis pas un politique. J’ai peur de la politique, je n’aime pas la politique. Mais, la politique fait partie de l’organisation des sociétés. Et donc, je l’accepte. Je suis un idéologue par contre. Autrement dit, j’ai des choix philosophiques, moraux, théoriques, intellectuels, culturels, qui renvoient à la politique. C’est dans ce sens que je me considère, si on peut l’élargir ainsi, comme un politique. Et pour être plus précis, je suis pour les politiques qui transforment positivement les sociétés. Pour les sciences qui transforment, qui font évoluer les sociétés. Pour les sciences qui nous sortent du sous-développement, pour les sciences et les théories qui consolident nos nations, pour les sciences et les théories qui promeuvent le panafricanisme, des sciences , des théories, des positions qui nous sortent de la dépendance, qui nous aident, nous éclairent dans nos luttes pour l’émancipation. Dans ce cadre là, j’ai rencontré et je me suis immergé et je me suis approprié de l’idéologie et de la politique, de la philosophie et des sciences mises en place par le PDG durant la révolution. Ça ne veut pas dire que je n’ai pas de regard critique vis-à-vis du processus révolutionnaire. Mais, je sais que la révolution guinéenne a suivi les mêmes évolutions, les mêmes dynamiques que les autres révolutions de l’histoire de l’humanité. Donc, je n’ai pas de problèmes avec ça. Mais quand le processus révolutionnaire a été brutalement interrompu par l’arrivée des militaires au pouvoir, ce n’est pas une nouveauté d’aujourd’hui. Je suis toujours, en tant qu’intellectuel idéologue du PDG, confronté à des ajustements que je dois faire parce que la réalité n’est plus la même. Je me suis ajusté tant bien que mal durant la 2eme République, mais j’ai persévéré dans ma vision et dans mes positions politiques théoriques et philosophiques. J’ai écrit des bouquins, j’ai intervenu dans des conférences, dans différents milieux, pour dire que nous ne devons pas mettre de côté le capital théorique, intellectuel, idéologique, organisationnel, technique, sociologique, hérité du PDG. On doit le critiquer mais, on doit le capitaliser parce qu’il fait partie de notre histoire. Les jeter à l’eau comme on a jeté à bas coco lala, on a jeté les FAPA, les facultés agronomiques etc… en nous mettant sous la domination et la dépendance du capital financier international et des grandes puissances, en répétant comme des perroquets des concepts idéologiques dont nous ne mesurons pas les conséquences, bien qu’on en subisse, tous les jours, les effets. Ce que les jeunes d’aujourd’hui appellent mondialisation, nous, c’est ce qu’on appelait la domination du capital financier à l’échelle mondiale. Et ça, c’est beaucoup plus précis et c’est renforcé par la puissance des technologies de l’information et de la communication. C’est ça la réalité. Aujourd’hui on déclare rejeter la démocratie populaire. On veut la démocratie, mais on ne la qualifie pas. Elle n’est pas populaire mais elle est quoi ? Ah, la démocratie, c’est la démocratie. Moi, je sais que c’est la démocratie libérale, il faut le dire. On veut la démocratie libérale. Et la démocratie libérale avec sa base économique qui est le libéralisme économique. Et le libéralisme économique a aujourd’hui une forme avancée qui est l’ultra libéralisme. On est en plein dans un ultra- libéralisme dépendant des grandes puissances financières . L’ultra libéralisme dépendant, entre autres problèmes, freine le développement endogène, renforce la dépendance et crée une idéologie où tu te crois libre alors que tu n’es pas libre. Et accentue les inégalités, accentue et aggrave les inégalités aussi bien à l’échelle internationale qu’au sein des nations. On était très pauvre durant la révolution. Les indicateurs le montrent, mais, on était tous plus ou moins également pauvres ! Et s’il fallait s’en sortir, on devait s’en sortir ensemble. Aujourd’hui, les inégalités pas seulement en Guinée mais, à l’échelle de chacun des États, à l’échelle internationale ont atteint un degré tel que les nations et les peuples se révoltent. Ils se révoltent de façon parfois spontanée. Ils se révoltent parfois de façon organisée. Des positions extrêmes surgissent et se consolident sur la base de cela. Que ce soit sous la forme d’extrême droite, sous la forme du fondamentalisme politico-religieux, sous la forme du conservatisme passéiste, ou sous la forme de gauches radicales.. Et c’est dans ce contexte que les militaires interviennent dans nos pays. Les militaires interviennent pour affronter les dérives nées de l’ultra libéralisme économique et de la démocratie ultra libérale. Ça ne veut pas dire qu’ils ont raison. Ça veut dire simplement que ce sont, en dernière instance, les crises et les problèmes nés de l’ultra libéralisme qui font le lit sur lequel les militaires ont construit leur argumentaire idéologique. Et certainement, dans notre société, il y a des forces politiques qui veulent vraiment résoudre les problèmes et il y a probablement des forces politiques qui veulent enfourcher et continuer sur la voie facile et nocive de l’ultra libéralisme dépendant.

Si la nation guinéenne ne se retrouve pas, si elle ne s’organise pas en tant que nation, si elle ne clarifie pas ce qu’elle veut en tant que nation et si les jeunes ne clarifient pas leurs objectifs pour savoir exactement ce qu’ils veulent, quel type d’État ils veulent, quel type de nation ils veulent, quel type d’écoles ils veulent, quel type de système économique ils veulent, on fera des élections, et il y aura des morts, et on ira sur la table de négociation, négocier, après on refera des élections, il y aura encore des morts.

Ainsi, tu comprends que mon problème n’est pas dans une distinction que je trouve peu pertinente entre civil et militaire. Sankara, que les jeunes prennent comme modèle, était un militaire. Tout comme Rawlings. Le problème est donc plus profond. Ma position politique est : est-ce qu’on veut atténuer, je sais que pour le moment, c’est impossible à l’échelle planétaire mais, est-ce qu’on peut atténuer les effets de l’ultra libéralisme, de la dépendance ultra libérale, du dépeçage que le capital financier opère sur nos nations, sur nos Etats, sur le panafricanisme ? On assiste sous l’effet de ces forces là, au dépeçage du continent africain, au dépeçage des jeunes nations africaines, à la déstabilisation de nos Etats fragilisés par la dépendance. On trouve toujours un élément sur lequel diviser les nations : l’ethnie, la religion, les territoires, les coutumes, les langues. Dès qu’une nation africaine commence à émerger et à aller vers une émancipation plus forte, d’une façon ou d’une autre, on commence à dire, c’est le nord contre le sud, c’est l’ouest contre l’est, c’est telle ethnie contre telle ethnie etc. Tout ça sous couvert de démocratie et, de libertés ultra libérales, mais contrôlés par les puissances dominantes. Et on va droit dans le mur. Et on se trucide, on fait des guerres civiles, on fait les guerres ethniques, on fait les rébellions, on fait du terrorisme. Et on reste sous la dépendance, sous l’exploitation, sous la domination. Alors, moi, ce sont les fondamentaux de mes choix. Je n’ai pas à choisir entre civil et militaire. Je ne pense pas que le vrai problème soit là. Je souhaiterai seulement avoir des forces progressistes, porteuses de progrès, de plus d’égalité et de plus de justice sociale au pouvoir. On veut la démocratie : mais la démocratie c’est concrètement, institutionnellement, c’est comment ? comme le Japon, l’Allemagne, les États-Unis, la France, le Maroc, l’Afrique du sud, tout ça, c’est démocratique non ? Et pourtant, ce ne sont pas les mêmes types d’Etat, du point de vue des institutions? Alors, institutionnellement, on veut quoi ? Si la nation guinéenne ne se retrouve pas, si elle ne s’organise pas en tant que nation, si elle ne clarifie pas ce qu’elle veut en tant que nation et si les jeunes ne clarifient pas leurs objectifs pour savoir exactement ce qu’ils veulent, quel type d’État ils veulent, quel type de nation ils veulent, quel type d’écoles ils veulent, quel type de système économique ils veulent, on fera des élections, et il y aura des morts, et on ira sur la table de négociation, négocier, après on refera des élections, il y aura encore des morts. Avec ce qu’on dit être la démocratie !

[La 3è et dernière partie à venir]

Réalisée par Sadjo Bah

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