Interview de Philan Traoré : « je prie les syndicats et les forces sociales d’aller à la table des négociations »

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Comme à son habitude, Moussa Philan Traoré, conseiller principal du ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, s’exprime sur les questions brûlantes. Dans cette interview il se prononce sur la grève lancée par le mouvement social suite à l’augmentation du prix du carburant à la pompe et sur la crise politique née des élections communales du 18 mars 2018. 

Le Populaire : Quelle est votre analyse de la crise sociale née de l’augmentation du prix du litre de carburant à la pompe faite par le gouvernement il y a deux semaines ?

Moussa Philan Traoré : Je suis très optimiste quant à l’issue de cette crise, pour la simple et bonne raison que la Guinée est un pays béni. Il est vrai qu’il ne faut jamais sous-estimer les soubresauts sociaux mais, sachant que nos syndicalistes sont des Guinéens et des patriotes, je suis persuadé qu’ils finiront par privilégier la paix et la quiétude dans le pays. Ils ne peuvent pas ne pas s’en soucier, je les connais, ce sont des frères et des sœurs à nous. Quelles que soient les divergences entre eux et le gouvernement, il suffit qu’ils acceptent de s’asseoir à la table des négociations pour se parler et la crise se dénouera. Je pense qu’avec le dialogue tout est possible. Mais quand un syndicaliste dit qu’il ne peut pas aller vers sa base pour lui communiquer les éléments qui déterminent la situation, alors il a démissionné devant ses responsabilités. Or, il doit avoir le courage de les assumer. Son devoir statutaire est de demander à sa base d’accepter le principe de la négociation. Il peut en cela se faire aider par les sages. Il y a des mesures d’accompagnement à négocier avec le gouvernement afin que la population ne ressente pas dans le quotidien les conséquences de l’augmentation. Ces mesures doivent être négociées avec les syndicats. Mais comment faire s’ils refusent toute négociation ? Il faut se rappeler un fait : face à la nécessité, le nouveau prix du litre devait être réajusté à 12 500 francs, mais le gouvernement a opté pour 10 000 francs en tenant compte du pouvoir d’achat des Guinéens. Il doit bien dégrever son budget pour faire des réalisations d’intérêt public, il doit s’occuper des secteurs sociaux et entretenir ou réparer les infrastructures routières, etc. C’est sa mission, c’est son devoir envers le peuple. Je prie donc les forces  sociales, en général, et les syndicats, en particulier, d’aller à la table des négociations. Sinon ils s’exposent à l’incompréhension, la population les blâmera.

Dans une négociation chaque partie doit faire des concessions. Lesquelles le gouvernement a-t-il faites pour sa part ?  

Je vous l’ai dit. Avant l’augmentation, le gouvernement visait la barre des 12 500 francs, ensuite il s’est arrêté à 10 000 francs. C’est déjà une concession faite par le gouvernement. Personne n’en parle. Si on compare ce prix à celui du Sénégal ou du Mali, il n’y a pas lieu de se plaindre en Guinée. D’ailleurs le prix de départ, 8 000 francs, était tellement bas par rapport à ceux de la sous-région que nos carburants faisaient l’objet de contrebande dans les pays limitrophes, y compris en Guinée-Bissau, qui est autrement plus pauvre que la Guinée. Le gouvernement veut bien faire d’autres concessions, à savoir prendre des mesures d’accompagnement négociées avec le mouvement social. La question n’est plus de baisser le prix du litre de carburant à la pompe, car il est lié au cours du baril de pétrole sur le marché international. Il s’agit désormais de négocier des mesures qui feront que la population ne ressente pas les effets de l’augmentation faite.

Mais pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas trouvé une autre voie pour faire face à ses besoins budgétaires qui ne soit pas cette augmentation aujourd’hui vivement contestée parce qu’elle accroît la pauvreté et allège davantage le panier de la ménagère ?

Tout simplement parce que le baril de pétrole est devenu plus cher sur les marchés mondiaux. C’est un problème international qui ne concerne pas seulement la Guinée, il affecte tous les pays. Le gouvernement a un petit budget, il ne peut subventionner davantage le carburant, il n’avait d’autre solution que de réajuster le prix du litre à la pompe, comme on fait partout ailleurs en pareille situation pour continuer sans entrave majeure l’œuvre de développement national. C’était une nécessité, les syndicats le savent bien. Il faut d’ailleurs souligner que même à 10 000 francs le litre, le gouvernement continue à subventionner les carburants. Tous les jours le gouvernement doit faire face à des urgences qui demandent de l’argent non prévu dans le budget national de développement. Donc il est appelé à prendre des mesures courageuses mais salutaires pour la nation.

Comment expliquez-vous alors la position radicale des syndicats et de toute la société civile ?

Justement, cette position est incompréhensible, car la chose la plus élémentaire à faire pour un syndicat c’est de discuter avec le patronat ou le gouvernement. C’est seulement si les discussions achoppent sur un refus catégorique du partenaire qu’un syndicat peut se rebiffer. Mais ici il y a un rejet préalable et total de toute discussion avec le gouvernement. D’où l’impasse actuelle. C’est justement cette contradiction qui m’a fait dire au début de cette interview que je suis optimiste. Il faudra bien que les syndicats prennent conscience de la contradiction où ils se sont mis. Ils finiront, j’en suis persuadé, par observer les principes de leur fonctionnement et s’asseoir à la table des négociations. Il y va d’ailleurs de l’intérêt supérieur de la nation. Elle prime sur toute autre considération.

Autre sujet brûlant, votre département veut installer 330 exécutifs communaux sur les 342 élus il y a quatre mois déjà mais toujours frappés de contentieux. L’opposition se dit déterminée  à s’y opposer. Qu’en dites-vous ?

L’opposition est membre du Comité de suivi du dialogue politique interguinéen. Sur les 342 exécutifs communaux élus le 18 mars 2018 il n’y a que 12 qui font l’objet d’un contentieux politique. Ce différend n’est cependant pas électoral, il faut le préciser. S’il y a contentieux, il est uniquement politique. Les contentieux électoraux, eux, sont vidés depuis longtemps. Les juridictions compétentes pour les différentes circonscriptions du pays se sont prononcées en dernier ressort. Au vu des arrêts judiciaires rendus, la CENI, l’institution nationale légale chargée des questions électorales en Guinée, a proclamé les résultats définitifs. Malgré tout, le président de la République, soucieux de préserver la paix dans le pays, a demandé au Comité de suivi d’examiner les divergences politiques qui existent entre la majorité présidentielle et l’opposition républicaine afin de parvenir à un consensus. Le problème n’est donc pas au niveau du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, ni au niveau du gouvernement ou du président de la République, c’est un problème entre la majorité présidentielle et l’opposition républicaine puisqu’il s’agit d’un différend politique. Donc il faut de la bonne foi des deux côtés pour trouver une solution consensuelle à proposer au président du Comité de suivi. Mais si la concertation traîne, le développement des collectivités doit-il être hypothéqué pour autant ? Doivent-elles être asphyxiées indéfiniment par la faute des politiciens ? Depuis plus de quatre mois, il n’y a pas d’interlocuteur dans les communes. On ne peut pas payer aujourd’hui la moindre taxe à une collectivité, parce qu’il n’y a pas de répondants. Vous trouvez normal qu’on bloque le fonctionnement de 330 communes qui n’ont pas de problème à cause de 12 autres où il y a un différend politique ? Quelles que soient les divergences politiques, il faut prendre en considération les besoins immédiats  des populations et l’avenir du  pays. L’opposition avait bien commencé les choses en allant à la table des négociations. Je la prie d’y revenir, car c’est elle qui a créé le contentieux politique. En attendant, rien ne doit empêcher l’installation des 330 exécutifs communaux qui sont libres de tout contentieux politique. Il faut absolument relancer le développement des collectivités. C’est là l’essentiel, c’est la mission des exécutifs communaux.  Les partenaires techniques et financiers bilatéraux et multilatéraux ont des liquidités disponibles pour les collectivités guinéennes, les sociétés minières ont les taxes légales qui leur sont destinées. Ce sont des sommes importantes, mais elles sont stériles à cause du blocage fait par les politiques. L’Agence nationale de financement des collectivités locales a été créée par le président de la République pour accompagner leurs projets de développement. Ce n’est plus le PACV mais bien cette nouvelle agence qui appuie désormais l’ensemble des 342 communes rurales et urbaines du pays. Il est absolument nécessaire que l’opposition se ressaisisse et mette en avant l’intérêt général. Elle doit dialoguer avec la majorité présidentielle pour trouver une solution au contentieux politique qui touche 12 communes. Il ne sert à rien de proférer des menaces, personne ne peut s’opposer à la puissance publique lorsqu’elle agit légalement. Le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation est catégorique, il va installer les 330 exécutifs communaux tout en restant ouvert à toute solution politique concernant les 12 autres communes. En tant qu’autorité administrative compétente, s’il voulait engager un bras de fer avec l’opposition, il pouvait installer, en toute légalité, tous les 342 exécutifs communaux puisque les contentieux électoraux ont été vidés par les juridictions. Il a accepté de surseoir à l’installation des 12 exécutifs communaux frappés de litige uniquement parce qu’il veut voir un consensus se dégager entre les deux bords politiques à leur propos.

L’argument principal de l’opposition est que tous les 342 exécutifs communaux doivent avoir le même mandat en termes de durée. Que répondez-vous à cela ?

Je suis tout à fait d’accord que les exécutifs communaux doivent commencer et finir leur mandat de cinq ans en même temps. Néanmoins, des contingences sont survenues. C’est ce qu’on appelle une catastrophe politique. Personne ne pouvait prévoir au départ qu’il y aurait des problèmes dans 12 communes. D’ailleurs qui a créé ces problèmes ? Qui a dit qu’il a été victime de fraudes dans ces communes ?

Et s’il y avait eu effectivement des fraudes ? Pas seulement dans les 12 communes mais dans bien d’autres !

Vous savez, moi je suis légaliste. L’institution chargée d’organiser les élections en Guinée c’est la CENI. Elle a proclamé les résultats des communales publiquement sur la base des arrêts rendus par les juridictions compétentes concernant les différents contentieux. Que voulez-vous que je dise dès lors? Notez d’ailleurs que la majorité présidentielle elle aussi accuse l’opposition de fraudes. Vous voyez la situation? Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Malgré tout, la majorité présidentielle, ne refuse pas le dialogue, elle. L’UFDG est un membre à part entière du Comité de suivi. Il peut s’exprimer librement dans cet espace de dialogue politique. Je l’invite à y reprendre sa place pour faire avancer le dossier et parvenir à un consensus avec le camp présidentiel. Le président du Comité de suivi n’est qu’un facilitateur, il n’est pas habilité à décider à la place des deux parties en conflit politique. Bien qu’arbitre, il s’interdit de donner des cartons rouges. Le problème des 12 communes ne peut être tranché que par un consensus entre les camps.

Autre sujet d’actualité, quelle lecture faites-vous de la condamnation avec sursis de l’actuelle ministre de l’Agriculture et ancienne directrice générale de la SOGUIPAH par un tribunal belge ?

Ça me fait tellement rire que je n’aurais pas souhaité en parler, parce que la Guinée est le seul pays où les gens ont la manie de chercher des poux sur un crâne rasé. Si ce n’est pas pour viser le président de la République et le Premier ministre, comment peut-on condamner une personne, que ce soit dans un tribunal guinéen ou dans une juridiction étrangère, en son absence et en l’absence de ses avocats ? Il s’agit là d’un jugement non contradictoire, c’est un pur montage judiciaire destiné à salir une dame respectable, un grand commis de l’État qui s’est distinguée au service public. C’est une femme de caractère, elle a été rigoureuse dans sa gestion de la Société guinéenne de palmiers à huile (SOGUIPAH). Elle l’a dirigée pendant des années, elle a été reconduite par tous les régimes précédents, de la deuxième République à aujourd’hui, en reconnaissance de ses compétences exceptionnelles et de sa moralité sans faille. À cause de ses résultats elle fait des jaloux, tout  naturellement. En vérité ce n’est pas elle qu’on vise. Elle est l’objet d’un chantage…

De la part de qui ?

D’esprits malins tapis dans l’ombre mais qui seront démasqués un jour…

Pensez-vous ?

J’en suis persuadé ! On a présenté au tribunal belge de faux dossiers sur de fausses affaires remontant à des lustres…

Mais le tribunal belge qui a prononcé la condamnation avec sursis a une compétence universelle et ne peut être soupçonné d’iniquité, ne pense-vous pas ?

Une chose est sûre cependant, même s’il s’agissait de la Cour pénale internationale ou de je ne sais quelle autre juridiction supranationale, on ne peut pas condamner un justiciable en son absence et en l’absence de ses avocats. Sauf arbitraire ! Pour moi, cette affaire n’est pas un événement, c’est un fait divers. Je suis persuadé que la dame va écraser tous ses détracteurs et tous ses ennemis tapis dans l’ombre car à Dieu appartiennent le châtiment et la rétribution. C’est une femme qui a le cœur sur la main pour la veuve et l’orphelin. Voilà tout son crime.

Le dernier sujet n’est pas d’actualité mais il est dans tous les esprits, à savoir la probabilité d’un troisième mandat présidentiel, bien que le cas soit déjà exclu par la Constitution en son article 154. Que pensez-vous de cette éventualité ?

La question est prématurée, et vous dites vous-même qu’elle n’est pas d’actualité. Donc je ne me prononcerai pas là-dessus, du moins tant que le principal concerné n’aura pas fait une manifestation d’intérêt. De toute façon, l’article 152 de la Constitution lui laisse l’initiative de la réforme.  Et si l’article 154, comme vous le rappelez, verrouille le nombre et la durée des mandats présidentiels, aucune loi guinéenne n’interdit cependant qu’une nouvelle Constitution soit élaborée et soumise au référendum, car l’actuelle – faut-il le rappeler ? – est l’émanation du Conseil national transitoire qui tenait lieu d’Assemblée nationale sous la junte militaire de 2009-2010 et était entièrement composé de conseillers désignés et non de députés élus par le peuple. Mais là encore l’initiative d’une nouvelle Constitution ne m’appartient. À tout seigneur tout honneur. Je dirais, par contre, qu’il serait juste que l’Assemblée nationale examine le cas des quatre années perdues dans les mandats du président Alpha Condé.

Lesquelles ? 

Les deux années de jets de pierres organisés par l’opposition pour empêcher le président de la République et son gouvernement de travailler et les deux années d’Ébola qui ont entravé la mise en œuvre de tous les projets de développement.

Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse de ces quatre années ?

Ben, tout simplement qu’on les rattrape à partir de 2020 en les ajoutant au second mandat.

Attendez, c’est une plaisanterie ou quoi ?

Pas du tout, je parle sérieusement. Je suis à la tête d’un mouvement citoyen créé en Haute-Guinée qui gagnera tout le pays le moment venu et réclamera cette adjonction. Le président de la République a été élu pour deux mandatures de dix ans au total, mais il n’a pu travailler que pendant  six ans. Il doit donc obtenir quatre années supplémentaires pour remplir son contrat avec le peuple, à  savoir les deux mandats qu’il en a reçus en 2010 et en 2015…

Mais c’est du délire, diraient certains ! En tout cas, la Constitution n’a prévu nulle part ce que vous demandez là !

Certes. Mais la Constitution ne l’interdit pas non plus. En tout état de cause, elle n’a pas prévu les jets de pierres intempestifs et récurrents ni un cas de force majeure comme l’épidémie Ébola. Elle a par contre prévu clairement le référendum comme possibilité pour le peuple de se prononcer à tout moment sur les questions touchant à la vie nationale. Donc il est loisible à mon mouvement citoyen de mettre l’option sur la table…

Ne craignez-vous pas que la première évocation officielle de cette question n’engendre des troubles ingérables ?  

Pas du tout. Il n’est quand même pas interdit de demander au peuple ce qu’il veut. C’est l’essence même de la démocratie…

Mais vous savez pertinemment qu’en Guinée, comme dans la plupart des pays où  la démocratie est encore en construction, les  opposants se défient du référendum parce qu’ils ne croient pas à la sincérité du scrutin !

Il n’empêche que la loi c’est la loi. La Constitution peut être amendée à tout moment, le président de la République a l’initiative de sa révision par voie référendaire ou par un vote aux deux tiers de l’Assemblée nationale. Bien évidemment, la Constitution prévoit également la contestation mais uniquement par des recours auprès de la cour constitutionnelle. Ceux qui ne sont pas d’accord avec les résultats d’une élection nationale ou d’un référendum peuvent toujours la saisir. Où est le problème? Personnellement je vous assure que les quatre années seront ajoutées à partir de 2020.

Qui vivra verra !  

Topez là !

Interview réalisée par El Béchir

 

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