Les Îles de Loos : îles au trésor ou îles aux réseaux mafieux ?

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Séries de conflits domaniaux, d’intérêts et de leadership, bradage à tout vent des espaces publics, règlements de comptes, gestion floue et opaque des plages, suspicions, magouilles…Voilà les maux qui minent cette zone côtière et l’empêchent de se développer et devenir un espace paradisiaque comme le souhaitent les autorités. L’archipel, est devenu depuis un certain temps, la citadelle imprenable des dinosaures et autres requins, tapis dans l’antichambre du Palais. Les îles de Loos sont-elles devenues une jungle où règne la loi du plus fort ? Le limogeage du sous-préfet, Cheick Tidiane Traoré, a attiré notre attention sur cet archipel situé aux larges de Conakry. Nous avons alors essayé de comprendre ce qui se passe dans la gestion de ce « jardin d’Eden » qui a tout pour séduire le monde touristique.

 Les déboires du désormais ancien sous-préfet Cheick Traoré 

Nommé par arrêté le 10 avril 2019, le Sous-préfet Cheick Tidiane Traoré n’a pas résisté à la tempête qui s’abat sur les huit îlots qui composent les îles de Loos. Il a été débarqué le 24 décembre dernier, c’est-à-dire 20 mois après avoir régné sur l’archipel. Et cela à la surprise de tout le monde. Pour le désormais ex sous-préfet, il est victime d’un complot et de la pire injustice fomentés à partir de Conakry par certains cadres originaires des îles et de certaines autorités du pays qui ont des intérêts dans la zone. « Je ne comprends pas pourquoi on m’a enlevé à mon poste…Et pourtant, j’ai entrepris des travaux pour faire des îles de Loos un paradis ! Tenez-vous bien ! Juste après ma prise de fonction, mon équipe et moi avons réalisé 16 forages. Les populations qui autrefois souffraient de manque d’eau potable, y ont accès désormais…Ensuite, j’ai demandé au Président de la République de peser de tout son poids pour l’éclairage public des îles. C’est ainsi que nous avons bénéficié 116 lampadaires publics sur l’ensemble des îles. Nous avons même réussi à réparéer plusieurs puits traditionnels. Et ce n’est pas tout ! Nous avons assaini le centre de santé de Kassa que nous avons équipé en lits. Le poste de santé de Room a été aussi équipé en table d’accouchement et en lits. Sans oublier la clinique privée de Madame Marie-France que nous avons dotée en lits, afin de revoir à la baisse les tarifs de consultation. Même le centre culturel, nous l’avons restauré et le baptisé « Centre culturel Jeanne Macaulay ». Le marché est en cours de restauration au moment où je vous parle. Nous avons fait des pavés pour faciliter l’accès à Kassa, la Mosquée équipée en sonorisation et en panneau solaire avec un forage à l’intérieur. Nous avons aidé les femmes du secteur du Koromayah dans la reprise des travaux de maraichage avec un chef de travaux engagé pour les encadrer. Au niveau de l’éducation, nous n’avons avons pris en charge neuf agents communautaires payés de mes poches. Et de 3 admis en 2018,  avant mon arrivée on est passé à 47 admis en 2019. Toutes ces infrastructures que je viens de vous citer, ont été réalisées en 20 mois », dira Cheick Tidiane Traoré, convaincu des travaux réalisés sur les îles sous sa gouverne.

Mais les déboires du Sous-préfet vont commencer quand le 24 juin dernier le gouverneur lui ferra parvenir le courrier dans lequel il lui est demandé de répertorier  et sauvegarder les biens inscrits au patrimoine bâti public. Tous les bâtiments, leurs emplacements géographiques, dans les secteurs et districts, leurs occupations et motifs ainsi que leurs états physiques (dégradation poussée ou pas) devraient être connus. Et même avant la lettre du Gouverneur, il y a le ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire  qui a présenté un titre foncier de toutes les îles, habitées ou pas. Dans ce document, il est précisé qu’en dehors des périmètres villageois, l’ensemble des îles fait partie des réserves foncières de l’Etat. Il s’agit de l’héritage laissé par les anciennes sociétés d’exploitation de bauxite telle que la société française « Le Midi », les anciens laboratoires, bref, partout où il y a des traces de machines. Il est aussi indiqué dans le document fourni par le ministère de la ville et de l’Aménagement du Territoire que la société française avait dédommagé les occupants des lieux. Malheureusement après le départ de ces sociétés de bauxite, tous les espaces laissés ont été partagés entre les villageois qui se sont appropriés des lieux.

Le Sous-préfet fort de tous ces documents et en application de la lettre du Gouverneur, procède au déguerpissement. Il engage une mission de bornage sur le terrain. Il ne fallait pas. « Dès que j’ai engagé cette action, ça a crié sur tous les toits que le Sous-préfet Cheick Tidiane Traoré est en train de vendre les terrains. Il les a bradés aux Libanais, aux étrangers…Ces bruits étant parvenus au Président de la République, il a dépêché une mission sur les îles. Cette mission après enquête a constaté le contraire des spéculations. Aucun espace, aucun lopin de terre dans les îles de Loos n’a été vendu par le Sous-préfet, selon le rapport final de la mission.

Parallèlement à ce rapport des missionnaires, j’ai fait un autre rapport au Gouverneur de Conakry où j’ai exposé les faits qui se déroulent sur le terrain. Mais hélas ! Ce rapport ne sera pas pris en compte. C’est plutôt les plaintes de l’Imam de Kassa et son groupe qui retiendront l’attention du Gouverneur. Il nous fait venir à Conakry. Dans son bureau l’Imam et son groupe m’ont chargé sous prétexte que je ne respecte pas les sages. A mon fort étonnement, le Gouverneur soutient devant mes détracteurs que les terres de toutes les îles appartiennent aux autochtones et non à l’Etat. Il met ainsi l’huile sur le feu. Et soutient par ailleurs que c’est lui, le Gouverneur de Conakry qui devrait signer les documents et non le ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire. Séance tenante, Mme Touré Juliette Camara, l’une des membres influents de l’Union Nationale pour le Développement des îles de Loos (l’UNDI), l’Imam et son groupe ont sauté sur l’occasion pour demander au Gouverneur de me démettre : « démettez-le de ses fonctions ! Un sous-préfet ne peut venir sur les îles et nous dicter sa loi. C’est l’UNDI qui doit prendre des décisions. L’ex sous-préfet pense que dans les Îles, il n’y a pas d’intellectuels. Il refuse donc de s’asseoir avec les gens instruits. Voyez-vous ça! C’est un mépris »

En réponse à leur demande, le Gouverneur les a orientés vers le ministère de l’Administration et de la Décentralisation. Ils écrivent alors au Ministre. Le lendemain, un autre groupe réagit contre leur écrit au ministre pour demander mon maintien. Comme il fallait s’y attendre, le Gouverneur n’a déposé que le courrier des frondeurs. Moi-même, j’ai écrit, mais ma lettre n’est jamais arrivée à destination. A mon fort étonnement le 24 décembre je suis appelé par le chef de cabinet du département vers 13 heures pour me demander ma position. Je lui ai dit que je suis en mer pour Conakry. Il me demande de rebrousser chemin et faire la passation avec mon adjoint. Ce que j’ai refusé. D’abord, le 25 décembre est un jour férié, en plus une passation ne se fait pas au pied levé. Ça doit se faire dans les règles de l’art comme je l’ai faite avec mon prédécesseur », soutient le Sous-préfet déchu.

A-t-il été victime parce qu’il en sait trop ? Cheick ne devrait-il pas fouiller au fond de l’océan ? 

Interrogé, le Gouverneur de Conakry jure la main sur le cœur qu’il n’a rien à avoir avec le limogeage du sous-préfet, Cheick Traoré. « Je n’y suis pour rien ! Je suis nommé par un décret, le sous-préfet est nommé par un arrêté, c’est cet arrêté qui l’a démis de ses fonctions ! C’est tout. J’ai occupé des postes ministériels plusieurs fois et j’ai été enlevé autant de fois. Mais jamais je n’ai parlé ! Je ne me suis jamais plaint parce qu’on m’a enlevé à mon poste. Je suis aujourd’hui Gouverneur de la zone spéciale de Conakry, le Président de la République peut m’enlever d’un jour à l’autre et je partirai tranquillement ! C’est dommage que les gens s’agitent à chaque fois qu’on les démet de leurs fonctions. Dites à l’ex Sous-préfet de Kassa que je n’ai rien à voir dans son limogeage », insistera-t-il

A la question de savoir s’il a soutenu lors d’une rencontre avec les sages des îles de Loos et le sous-préfet de Kassa, que la terre appartient aux propriétaires terriens, c’est-à-dire, les chefs coutumiers, les patriarches, les sages, les autochtones des îles. A cette interrogation de savoir s’il a désavoué le sous-préfet en présence de la délégation des frondeurs, le général Mathurin Bangoura, nous renvoie la question. «…Messieurs les journalistes, dans vos villages, n’y a-t-il pas de patriarches ? Il n’y a pas de chefs coutumiers ? Il n’y a pas d’autochtones ni de propriétaires terriens ? Les forêts, les plantations, les terres n’appartiennent-ils pas aux autochtones ?… Pourquoi c’est dans les îles qu’on veut nous faire croire le contraire ? Les espaces, les domaines, voire les terres sont pour les autochtones… Pour revenir donc à votre question, dans les îles de Loos, les terres, les domaines, les carrières et que sais-je encore sont les propriétés des autochtones, des chefs coutumiers et autres patriarches… Allez dire ça à l’ex sous-préfet et dites-lui aussi que ce n’est pas moi qui l’ai enlevé à son poste. C’est celui qui l’a nommé », tranchera-t-il.

El Hadj Camara, l’un des sages interrogé à défaut de l’Imam et du nouveau Sous-préfet « toujours occupé », justifie le limogeage de Cheick Tidiane Traoré, selon ce fils du terroir, par son comportement et ses agissements dans les îles de Loos. « Cheick Traoré se croyait dans un territoire conquis. Il n’écoutait personne. Même les sages, les religieux et les cadres originaires des îles. Il voulait les voir s’agenouiller à ses pieds. Pourquoi ? Il voulait que tout le monde soit à ses pieds. Voilà un Sous-préfet qui se croyait intelligent. A peine installé qu’il commence à se faire des parcelles. Il y avait trop de plaintes contre lui. Les autorités ont été beaucoup clémentes. Sinon, il devrait être limogé dès les premières heures. Combien de plaintes avions-nous déposées contre lui. Une dizaine, je crois ! Allez demander dans les îles ! Les gens vous diront la gaffe que ce monsieur avait commencée à commettre », nous raconte le sage Elhadj Camara, rencontré dans les locaux du Gouvernorat de la ville de Conakry.

Même son de cloche avec madame Touré Juliette Camara. Une femme influente, originaire des îles. Pour elle, Cheick Traoré devait s’en prendre à lui-même : « Quand on arrive dans un village, on cherche à composer avec les autochtones, avec les chefs coutumiers, les patriarches et les propriétaires terriens. Le Sous-préfet Cheick Touré n’a jamais voulu s’asseoir avec les villageois. Toutes les démarches ont été faites, mais jamais il n’a voulu rencontrer les sages. Tout le monde aspire au développement de sa ville, de son village, de sa région ! Quand on affecte une autorité dans une région, ses premiers interlocuteurs sont les fils ce coin ! Avec ce monsieur non ! Aucune collaboration. On ne peut pas évoluer avec un tel Sous-préfet. Qu’il s’en prenne à lui-même. Personne n’est la cause de ce qui lui est arrivé. Il a trouvé des hommes et des femmes dans ces îles. Il leur devait respect et considération. Il a été plusieurs fois sollicité pour des réunions. Il n’a jamais voulu répondre à l’invitation. C’est quel administrateur qui refuse de collaborer avec ses administrés ?», s’est-elle interrogée.

Selon le rapport de la commission mise en place au département de l’Administration du Territoire et de Décentralisation, commission chargée d’enquêter sur les îles pour savoir si le sous-préfet a vendu des terrains et des domaines de l’Etat, il n’en est rien. Aucun lopin de terre n’a été vendu par Cheick Traoré. « Cette affaire de vente de terrain a couru les rues à Conakry. On nous a déplacés pour aller vérifier. Nous avons été sur les îles et nous avons mené des enquêtes, mais c’est faux ! Personne ne nous a montré un terrain vendu par le Sous-préfet. Et nous l’avions mentionné dans notre rapport. Le Sous-préfet n’a vendu aucune portion de terre dans les îles de Loos », nous confirme, sous l’anonymat, un membre de la délégation qui s’est rendue aux îles de Loos.

Au département de la Ville et de l’Aménagement du Territoire, M. Gamy’s Ceminako, l’inspecteur général nous informe qu’il y a des domaines qui appartiennent à l’Etat dans les îles. « Les plages, les sites touristiques, les carrières, les domaines issus du contentieux franco-guinéen sur les îles de Loos, sont des propriétés de l’Etat. Vous avez par exemple, les domaines laissés par la société française « Midi ». Cette société française qui exploitait de la bauxite autrefois sur les îles est partie en laissant les carrières et beaucoup d’autres domaines qui sont revenus à l’Etat guinéen. Mais vous savez, les habitants de ces îles ont tendance à s’en approprier. Ils se considèrent comme les propriétaires des îles. Ils s’opposent à la récupération des zones qui appartiennent à l’Etat. C’est vrai, les autochtones habitent ces îles depuis des années, nous le savons. Mais ce n’est pas une raison de s’approprier tous les domaines même ceux qui reviennent à l’Etat », conclut l’inspecteur général et Coordinateur des opérations de déguerpissement et de récupération des domaines d’Etat au ministère de la Ville.

Les îles de Loos livrées aux mains des gros « caïmans » et « requins » qui y font la loi

Les huit îlots qui composent les îles de Loos font l’objet de plusieurs convoitises. Les Libanais, les hauts cadres de l’administration, les cadres et autres fils nantis de la zone se sont partagé cet archipel au large de Conakry. Des vastes espaces aménagés par les privés, les plages aux mains des privés. C’est l’information reçue de plusieurs témoins qui ont séjourné sur les îles y compris certains ressortissants de Kassa.

« Les îles de Loos à l’instar des autres que compte le pays, échappent au contrôle de nos autorités. Les différents régimes qui se sont succédé, n’ont jamais eu un regard sérieux sur ces îles. Ce qui fait que les gens y pratiquent toute sorte de trafics. Les plages cédées aux étrangers dans la clandestinité, des parcelles bradées, des bateaux pirates qui y font la loi, des fumoirs installés çà et là au grand bonheur des trafiquants de drogue, des hôtels qui accueillent des prostituées et autres proxénètes …Tous les sous-préfets qui viennent se soumettent au diktat   des cadres originaires des îles. Ces îles paradisiaques sont transformées en une jungle. Trop de problèmes. On ne sait pas qui fait quoi. On voit des sous-préfets qui eux-mêmes sont gérants des plages. C’est regrettable », regrette G. Wright, un fils de Kassa.

Les îles de Loos : un « petit paradis tropical »

Les îles de Loos au large de Conakry sont comme un « jardin d’Eden » pour ceux qui passent leur semaine à crapahuter dans la crasse et la saleté de la ville. Cet archipel compte 8 îlots au total mais les îles principales sont celles de Kassa, et de Room. Quelques kilomètres séparent la capitale guinéenne de ce petit paradis tropical, véritable retraite dans la nature, comparée à la cacophonie de la grande ville.

Pour la petite histoire, il faut savoir que les îles de Loos sont des antiques comptoirs d’esclaves durant la traite négrière, il est encore possible de visiter les anciens bagnes qui servaient à emprisonner les travailleurs. Tour à tour occupées par les Portugais, les Anglais, puis les Français, les îles de Loos ou bien Loos Islands en anglais portent encore aujourd’hui les stigmates de leur histoire passée. L’île de Kassa verra également, vers la fin du 18ème siècle, éclore une usine de l’ « African Company of Liverpool » qui emploie des travailleurs spécialisés pour réparer des bateaux, mais aussi des navigateurs pour aller à la rencontre des populations locales riveraines.

 Pour rejoindre les îles depuis Conakry. il faut se rendre au port de Boulbinet pour prendre le mode de transport local commun : la pirogue. La traversée peut durer plus d’une heure selon l’île que l’on rejoint car la vitesse de croisière de la pirogue est d’environ 10 à 12 kilomètres par heure. L’autre possibilité est de rejoindre la marina qui porte le nom de Petit Bateau, et de louer un hors-bord qui sera bien plus rapide mais aussi bien plus cher, à moins de le louer à plusieurs reprises.

 Kassa et Room : les deux plus importantes îles

Aujourd’hui les îles de Loos sont principalement fréquentées par la communauté d’expatriés vivant à Conakry, en mal de nature et à la recherche d’un endroit calme et apaisant pour y passer le week-end. Kassa est l’île la plus proche de la capitale. Ici, une belle plage de sable blond s’étend sur moins d’un kilomètre, bordée par des palmiers rappelant rapidement que vous êtes sous les (…) lire la suite du dossier sur Guineenews en cliquant ici

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