đź”´Par Youssouf SYLLAđź”´Avec la mise en place de cette Institution importante de la transition, c’est le travail de refondation de l’Etat Ă la base qui commence, c’est Ă dire l’Ă©laboration d’une nouvelle constitution. La sixième en 64 ans d’existence de la GuinĂ©e en tant qu’État indĂ©pendant. Sans ĂŞtre parfaites (aucune constitution ne l’est en vĂ©ritĂ© d’ailleurs), les constitutions prĂ©cĂ©dentes n’Ă©taient pas toutes mauvaises. De 1990 Ă 2020, la GuinĂ©e a optĂ© pour un schĂ©ma constitutionnel, d’inspiration libĂ©rale qui, d’une part, rompait avec la constitution de 1982 fondĂ©e sur un double centralisme, exĂ©cutif (prĂ©dominance de l’exĂ©cutif sur le lĂ©gislatif et le judiciaire) et dĂ©mocratique (parti unique, le PDG) et, d’autre part, reposait sur le socle commun de toutes les constitutions dĂ©mocratiques et ouvertes (reconnaissance des libertĂ©s fondamentales, sĂ©paration des pouvoirs et diversitĂ© des courants de pensĂ©es et opinions).
D’oĂą vient alors le mal constitutionnel guinĂ©en pour justifier une Ă©nième constitution?
Ce mal vient plus de la pratique des gouvernants que de la constitution elle-mĂŞme. L’accès prioritaire que le pouvoir a toujours donnĂ© aux gouvernants aux « ressources de la nation » explique en grande partie la banalisation, la dĂ©valorisation et la dĂ©sacralisation de la constitution, mĂŞme la mieux Ă©laborĂ©e, si elle ne coĂŻncide pas aux intĂ©rĂŞts de la classe dirigeante. Jean François-Bayart a appelĂ© cela, « la politique du ventre » dans l’État post colonial de l’Afrique noire. La recherche du prestige par les dĂ©tenteurs de l’autoritĂ© publique explique de manière prĂ©pondĂ©rante la raison pour laquelle, on change de constitution comme de chemises en GuinĂ©e et en Afrique. La solution Ă ce problème se trouve non pas dans une nouvelle constitution, mais dans la psychologie des dirigeants et dans l’idĂ©e qu’ils se font du pouvoir. La constitution ne contient aucune thĂ©rapie pour guĂ©rir cette soif maladive du pouvoir. Pour preuve, les intangibilitĂ©s constitutionnelles n’ont nullement dissuadĂ© en 2001 et en 2020 le pouvoir de faire sauter le verrou qui empĂŞchait la modification de la durĂ©e du mandat prĂ©sidentiel. Un Ă©minent constitutionnaliste disait Ă ce propos qu' » il est facile d’imaginer une constitution mais difficile de la faire vivre ».
L’indispensable questionnement de notre modèle Ă©tatique
Cet exercice est inĂ©vitable si on veut remettre les choses Ă plat. Un autre dĂ©fi du CNT est de rĂ©flĂ©chir sur le modèle d »Etat convenable pour la GuinĂ©e, en partant de son histoire, de sa gĂ©ographie, de son contexte socio culturel et de ses ambitions dans le monde. Dans son ouvrage « l’Etat importĂ©: l’occidentalisation de l’ordre politique », Bertrand Badie explique pourquoi et comment le greffage du modèle Ă©tatique europĂ©en a Ă©chouĂ© dans les sociĂ©tĂ©s non occidentales. Il s’agit donc aujourd’hui pour un pays comme la GuinĂ©e, de rĂ©flĂ©chir sur un modèle d’État qui reflètera ses propres caractĂ©ristiques et qui diluera l’immense pouvoir de l’exĂ©cutif dans les veines d’autres entitĂ©s exĂ©cutives et legislatives de la nation. La rĂ©forme de l’Etat sous cet angle est nĂ©cessaire pour neutraliser la concurrence meurtrière autour de la fonction prĂ©sidentielle, ainsi que la montĂ©e en puissance des rivalitĂ©s inter ethniques qui va avec.
Youssouf Sylla