Liberté de presse : Pourquoi Lansana Camara devait sortir de prison… (Par Saliou Samb)

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L’affaire de l’incarcération du journaliste Lansana Camara a fait des vagues dans une ambiance tendue, entretenue par un dialogue de sourds. En dépit des opinions divergentes, il est indéniable que la situation des journalistes se heurte à un sérieux problème d’interprétation de la loi actuelle sur la liberté de la presse, censée dépénaliser les délits des journalistes dans l’exercice de leur profession…

Notre propos n’est pas de faire du juridisme inutile dans une situation concrète, où un père de famille, estimé de tous, a séjourné pendant une semaine derrière les barreaux, après avoir rédigé des articles de presse. A présent que Lansana Camara a recouvré la liberté (en attendant son procès ?), il s’agit pour nous de recadrer le débat dans les deux camps ; celui de ceux qui, estimant que les journalistes ne sont pas logés à la même enseigne que les autres catégories de citoyens, se plaignent des méthodes d’une « certaine presse » et le camp des journalistes arc-boutés à leur « immunité » consacrée par la loi, qui empêche, sauf exception liées aux troubles à l’ordre public et aux crimes liés à la sûreté de l’Etat, de les envoyer en prison dans l’exercice de leur profession. Il s’agit aussi de toucher des points omis consciemment ou non dans la réflexion sur ce cas précis qui interpelle tout un chacun. Il s’agit surtout de ramener de la sérénité dans ce débat où l’intérêt du public semble passer sous silence, au gré des circonstances.

A notre connaissance, www.conakrylive.info, le site internet de Lansana Camara, a diffusé au moins deux articles différents mais liés dans ce que le site a voulu démontrer dans sa croisade contre ce qu’il a appelé la « corruption »…

Le premier soutient entre autre que le ministère des affaires étrangères aurait introduit cette année au niveau du ministère de l’économie et des finances un dossier visant à favoriser le paiement « frauduleux » (sic !) de 2,4 milliards de francs guinéens pour une histoire d’approvisionnement en carburant, « rien que pour le mois de décembre 2018 ». Selon le confrère, la facture carburant dudit ministère aurait été de 400 millions GNF au cours de l’exercice antérieur. « La question que l’on se pose est celle de savoir comme se fait-il qu’un dossier de consommation en carburant d’une valeur de deux milliards de francs guinéens pour le compte de l’année 2018 soit en instance de paiement auprès du ministère de l’économie et des finances », assène le confrère qui affiche des numéros d’ « ordres de virements » pour soutenir son information.

Le second article diffusé, quelques mois après, par le même site internet, accuse nommément le ministre des affaires étrangères, Mamady Touré, d’avoir réformé (il écrit exactement « acheté ») après un « arrangement avec les responsables du Garage gouvernement » (sic !) deux véhicules, initialement « bloqués par la douane » (une Jeep et une Hyndai), « à 3 millions de francs guinéens » alors qu’à l’achat, selon conakrylive.info, les véhicules auraient coûté au total 87000 dollars USD (soit environ 860 millions de francs guinéens). Selon le confrère, c’est M. Touré en personne qui aurait facilité l’opération et aurait enregistré la Jeep en son nom. Epargnons-nous les autres détails…

A ce stade, un constat s’impose : dans les deux articles que nous avons parcourus, toutes les parties interpellées par le confrère n’ont pas donné leur version des faits. Cela affaiblit la pertinence des enquêtes menées et met leur auteur en mauvaise posture. Car pour décider en toute conscience de citer nommément des personnalités publiques (ou des personnes morales) dans des affaires de corruption, une fois que les faits dénoncés sont établis par des preuves formelles et/ou des témoignages, il est absolument indispensable de respecter la règle de l’impartialité dans le traitement de l’information. Sous aucun prétexte, on ne peut se dérober de ce devoir de journaliste. Le public, destination ultime du travail de la presse, a droit à des informations exactes, actuelles et surtout impartiales (sous entendu tenant compte de toutes les réactions pertinentes). C’est un gage d’honnêteté de l’information. Tous ceux qui relatent des affaires de corruption ou susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la dignité d’un citoyen, quel que soit son rang, doivent avant tout penser aux dégâts commis dans l’entourage de la « cible » : l’information touche à la personne elle-même, si l’individu est marié(e), à son (ou sa) conjoint(e), à ses enfants, ses amis, ses proches, ses admirateurs, etc. C’est une raison suffisante pour s’entourer de toutes les précautions d’usage, notamment, la réaction de(s) mis en cause, pour être absolument sûr qu’on ne commet aucune erreur dans l’appréciation (et parfois l’interprétation) des faits. C’est essentiellement ce qu’on peut reprocher à notre confrère dont le dynamisme et le professionnalisme est jusque-là presque unanimement salué dans le milieu de la presse.

Il reste cependant que certains « clients » sont difficiles et ne se privent pas d’user de subterfuges pour éviter les confrontations avec les journalistes. Cette parade est souvent utilisée à postériori pour provoquer des trous dans les articles et prouver que le journaliste a diffusé des informations de mauvaise foi et sans procéder à un quelconque recoupement, ce qui n’est pas toujours vrai. Néanmoins, quand le journaliste se trouve confronté à ce genre d’attitude assimilable à de la rétention d’information ou au refus de répondre aux questions, il doit penser à prouver, sans l’ombre d’un doute possible, qu’il a bel et bien contacté ou tenté de contacter le ou les mis en cause dans ses enquêtes et que ce sont ces derniers qui ont refusé délibérément de se prêter à ses questions (enregistrements, notes, lieux, dates, heures, témoins, etc). Il ne faut jamais hésiter, dans le cadre d’une enquête locale, à mentionner dans le papier final les circonstances qui prouvent qu’on s’est heurté à un refus évident ou méprisant. C’est la mauvaise foi qui est condamnée dans la profession ; on ne peut pas diffuser des informations en faisant preuve d’une évidente partialité et surtout dans le but de nuire à un simple individu ou une personnalité publique. Est-il besoin de rappeler que relater des faits qui ne se sont jamais produits ou prêter des propos à quelqu’un qui ne les a jamais tenus, ce n’est pas de l’information ?

D’un autre côté, l’émoi provoqué par le placement sous mandat de dépôt de Lansana Camara suscite à la fois scepticisme et inquiétude dans un contexte où la loi encadrant la liberté de la presse a changé depuis qu’elle a été amendée sous la transition militaire (2008-2010). A ce jour, jusqu’à ce que la loi soit amendée, un journaliste domicilié en Guinée, dont l’identité est connue, qui ne cherche surtout pas à s’enfuir ou à se soustraire à la justice, ne peut pas et ne doit pas être mis en prison pour n’importe quelle raison. Cela nous conduit à interpeller les personnalités publiques dans leur propension à personnaliser les problèmes. La critique (qu’elle soit saine ou malsaine) doit toujours être ramenée à sa juste proportion. Si un chef d’Etat, un ministre, un directeur national, une personnalité politique, ressent les articles de presse quelque peu dérangeants comme une attaque personnelle, c’est qu’il n’a pas bien compris le niveau de hauteur dont il doit savoir faire montre en toutes circonstances, dès lors qu’il a préféré la lumière à l’ombre. Quand on occupe le haut du pavé, quand on a la prétention ou la chance de diriger des milliers voire des millions de personnes, on doit avoir le cran de supporter toutes sortes de critiques. On ne doit pas penser à régler des comptes quels que soient ses propres ressentiments, on ne cherche surtout pas à se venger contre l’impertinent, au risque de manquer d’élégance.

Dans l’affaire de Lansana Camara, la plupart des confrères interrogés sur la question pensent à tort ou à raison que la démarche est assimilable à une tentative d’intimidation. La question est de savoir pourquoi, dans la mesure où le journaliste est conscient qu’il va répondre devant la justice, comme tous ses autres confrères récemment condamnés à payer des amendes pour des faits de « diffamation ». Sauf si la plainte est retirée par celui qui estime avoir été victime de « calomnie et/ou de diffamation »…

Presse et personnages publics ne pas des « amis » ; c’est vrai. Ils ne doivent pas non plus se traiter comme des « adversaire farouches » se distillant à l’occasion des leçons de « patriotisme ». Car, en définitive, et pour le respect du public, qu’est-ce qu’un Etat respectueux de la liberté de la presse pouvait bien gagner dans le spectacle affligeant d’un journaliste en prison ? Absolument rien Monsieur le ministre. Absolument rien du tout.

Saliou Samb

 

 

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