Mohamed Diawara, juge : « l’immixtion d’un ministre de la Justice dans la gestion d’une procédure judiciaire si petite soit-elle, est… »

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Mohamed DIAWARA, magistrat guinéen est juge au tribunal de  Première Instance de Kaloum. Pour lui, « l’immixtion d’un ministre de la justice dans la gestion d’une procédure judiciaire si petite soit-elle, est l’une des véritables causes de la mauvaise gouvernance en Afrique… ». Interview

Bonjour Monsieur Diawara 

Bonjour Monsieur Yansané

Avec l’avènement du slogan « gouverner autrement », vu vos compétences et votre patriotisme avérés, bon nombre d’observateurs avaient cru que vous feriez une entrée magistrale au gouvernement de la nouvelle République. Qu’en dites-vous ?

Ah bon ! C’est ma première nouvelle, c’est vous qui me l’apprenez maintenant. Ecoutez, faire son entrée au gouvernement n’est pas une priorité pour un amoureux de la République, l’ambition qui doit animer tout guinéen, c’est comment offrir dans une synergie d’action, un avenir radieux à chaque famille, mais hélas ! A date, en Afrique, la plupart de nos cadres rêvent d’être ministre. Car, selon eux, sans cette fonction, on ne saurait être bien vu. Or, en l’espèce, on ne devient pas ministre pour soi, ni pour sa propre famille, encore moins pour ses amis. On le devient pour son pays et dans l’intérêt de tout un peuple.

Il est d’ailleurs constant que ces personnes se livrent à plusieurs démarches pour occuper cette fonction. En agissant ainsi, vous serez tenu d’être reconnaissant à toutes les personnes qui se sont battues pour votre promotion. Au  finish, vous serez à la solde des personnes qui n’atteignent même pas vos chevilles. C’est l’un des problèmes majeurs de la gouvernance des Etats africains.

Quand on est amoureux de son pays, on doit pouvoir le servir en toutes circonstances et en tous lieux, quelle que soit la fonction que l’on occupe, l’essentiel est d’exercer loyalement son devoir et ce, dans l’intérêt de la République.

A ce jour, nonobstant votre intégrité morale, doublée d’un professionnalisme  sans faille dans l’exercice de vos fonctions, tout porte à croire que vous n’aurez aucune chance d’émerger en cette période de « gouverner autrement », non pas parce que vous ne le méritez pas, d’ailleurs vous incarnez des valeurs tant recherchées par les institutions internationales…mais parce que tout simplement, en votre qualité de magistrat de siège, vous avez toujours préservé envieusement votre indépendance face aux politiques…

Rire…Ecoutez, être magistrat de siège n’est pas compatible aux ordres des pouvoirs politiques, vous vous souviendrez que j’avais rappelé dans mon interview du 30 novembre 2018, à l’époque juge d’instruction, je cite : « l’acte juridique suprême de l’Etat qui autorise les acteurs des pouvoirs exécutif et législatif à accomplir respectivement leurs tâches avec autorité et en toute indépendance, c’est le même acte qui autorise les magistrats à exercer les leurs avec autorité et en toute indépendance. ».

C’est pourquoi d’ailleurs, j’avais rappelé de passage que je trouve inconcevable, inadmissible et inacceptable qu’un magistrat du siège se laisse influencer par quiconque dans la gestion d’une procédure judiciaire.

Alors, pour ce qui est le bras de fer entre les magistrats du siège et les politiques ; principalement le ministre de la justice, qu’on le veuille ou pas, il en aura toujours, c’est le fondement même de leur rapport professionnel. Moi je qualifie cela comme un rapport de force, si vous voulez un rapport homme-homme, quid au magistrat du siège qui exerce une fonction de carrière de se laisser influencer par une personne qui a juste bénéficié d’une fonction politique et qui n’administre le Service public de la justice que temporairement.

Le magistrat du siège tire sa légitimité de la constitution qui l’a voulue indépendante et impartiale, principes qui s’imposent aux pouvoirs politiques.

Le droit de proposition à un poste qu’a un ministre de la justice ne doit avoir aucun impact sur l’indépendance d’un juge, car l’Etat a l’obligation à ce que le juge puisse s’acquitter de ses fonctions  en toute liberté, sans crainte, sans ingérence, sans faire l’objet d’intimidation, de harcèlement, d’aucune sorte et sans devoir assumer, de quelque façon que ce soit, une responsabilité civile, pénale ou autre, sauf, les cas de fautes professionnelles ou disciplinaires.

En ce qui me concerne, mes jours sont déjà comptés dans ce métier de juge, j’ai une mission bien déterminée, celle d’accompagner loyalement la réforme en cours avant mon départ définitif. J’avoue qu’après quelques années de services loyaux, je n’aurai aucun regret de quitter ce métier sans avoir gravi les différents échelons. Vous savez plus que moi d’ailleurs qu’en Afrique, l’amertume est que l’on préférerait déposer, en cérémonie solennelle, mille gerbes de fleurs sur votre tombe, plutôt que de vous offrir, de votre vivant, une petite rose, en guise du mérite de ce que vous êtes.

Il arrive même qu’on confine des jeunes cadres compétents entre les quatre murs en vue d’étouffer leur carrière. Après tout, on leur reproche d’être inexpérimentés.

Puisque vous-vous plaisez à préserver jalousement votre indépendance, quel lien organique existe-il entre le ministère de la Justice et le Pouvoir judiciaire ?

Le ministère de la Justice est l’administration centrale chargée de la gestion du Service public de la Justice. Il est placé sous l’autorité du Ministre de la Justice, qui peut également porter le titre de garde des Sceaux. Il relève du pouvoir exécutif, il n’exerce aucune fonction juridictionnelle contrairement à ce que certaines personnes mal informées ont tendance à croire. Il n’est pas un juge mais un administrateur du Service public de la justice. A cet égard, il ne peut agir en lieu et place d’un juge et j’admets qu’aucun juge, je dis bien, aucun juge, dans l’exercice de sa fonction constitutionnelle n’a de compte à rendre à un ministre de la justice sur les décisions prises à l’audience. Seul le magistrat a le pouvoir de décider de la vie et des biens des personnes.

Vous conviendrez avec moi que la séparation des pouvoirs veut que le pouvoir arrête le pouvoir par le biais d’un contrôle réciproque. Mais, c’est un contrôle visant l’équilibre des pouvoirs et non une immixtion d’un pouvoir dans l’activité essentielle de l’autre. Tout compte fait, aucun des trois pouvoirs à savoir le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif ou celui judiciaire ne doit être subordonné à l’autre au risque de transgresser la Constitution.

Monsieur Diawara, certes, vous parlez des Magistrats du siège et les Magistrats du Parquet par rapport au Ministre de la Justice ?

S’agissant des magistrats du parquet et ceux de l’Administration Centrale du Ministère de la Justice, aux termes de l’article 21, alinéa 1 de la loi organique L/054/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant statut des magistrats, ils sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Ministre de la justice, Garde des Sceaux.

Je trouve opportun de rappeler que les magistrats en détachement sont hiérarchiquement subordonnés à l’autorité auprès de laquelle ils sont détachés.

Donc avec les magistrats du parquet, il y a cette subordination hiérarchique mais comme je l’ai dit une fois au cours d’une interview, ces magistrats bénéficient de l’adage « La plume est serve, la parole est libre » ; s’ils reçoivent des instructions écrites, ils développent librement à l’audience, affirmant ainsi leur indépendance sans recevoir en retour le courroux de la hiérarchie.

Notre indépendance dépend largement de notre courage, notre intégrité et nos compétences professionnelles.

Merci pour cette précision Monsieur Diawara, mais très souvent, l’interférence autoritaire du Ministre de la justice aboutit à l’annulation ou à la modification des décisions de justice dans bon nombre de pays africains, en votre qualité de magistrat éclairé, quelle appréciation avez-vous à faire pour éclairer la lanterne du public ?

Ecoutez, dès que le ministre de la justice s’immisce dans une procédure judiciaire à l’effet d’annuler ou de modifier la portée des décisions de justice, nous nous retrouvons sans nul doute dans une forme de déni de justice, également appelé dans d’autres Etats, déni de droit.

En l’espèce, le déni de justice ou déni de droit, n’est pas seulement  le refus par une juridiction de statuer sur une affaire qui lui est soumise ou son refus de juger une affaire, alors qu’elle est habilitée à le faire ou encore par extension, le retard excessif mis par des juges à statuer.

Au sens politique du terme, il désigne l’interférence autoritaire du pouvoir exécutif pour annuler ou modifier la portée des décisions de justice.

L’immixtion d’un ministre de la justice dans la gestion d’une procédure judiciaire si petite soit-elle, est l’une des véritables causes de la mauvaise gouvernance en Afrique. 

Je l’ai toujours dit. Encore une fois, je le réitère, dans l’exercice de nos fonctions de juge, nous ne devons pas du tout nous laisser influencer par qui que ce soit. J’insiste et je persiste à nouveau, nous ne sommes soumis qu’à la seule autorité de la loi.

«En tant que gardien des droits et libertés des citoyens, nous ne devons céder à aucune pression, aucune influence d’où qu’elle vienne» Le disait l’éminent magistrat Sénégalais KEBA M’BAYE, s’adressant aux juges.

Aucun compte ne peut nous être demandé au sujet des décisions  que nous rendons ou auxquelles nous participons, ni aucune instruction ne peut nous être donnée pour le règlement des affaires qui nous sont soumises.

Merci Monsieur DIAWARA, nous terminons la présente interview dans l’espoir de revenir vers vous, discuter de la problématique du management des juridictions en Afrique.

C’est à moi de vous remercier Monsieur Yansané, pour votre aimable disponibilité.

Entretien réalisé par Daouda Yansané,

Spécialiste des questions Juridiques et judiciaires

664 44 23 43/655 12 95 20

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