Mohamed Diawara, magistrat : ‘’je ne peux, en aucun cas, être de ces magistrats indépendants à désarmer’’ (interview)

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Jeune magistrat, Mohamed Diawara est juge d’instruction au tribunal de première instance de Kaloum. Auteur du Bréviaire lexical à l’usage du juriste moderne, le jeune Diawara affirme : «J’avoue être éperdument amoureux de la Guinée donc face aux nombreux défis à relever pour la consécration d’une justice forte, indépendante et respectueuse des valeurs républicaines, je ne peux, en aucun cas, être de ces magistrats indépendants à désarmer».

Bonjour Monsieur Mohamed DIAWARA,

Bonjour,

D’après nos remarques, la plupart des Etats accordent plus d’importance et donnent plus de poids aux pouvoirs politiques qu’à celui judiciaire. Pour être précis, les conditions de travail des acteurs des pouvoirs exécutif et législatif sont manifestement plus convenables que celles des acteurs  du pouvoir judiciaire, quel est votre point de vue sur ce paradoxe ?

Merci de cette question que je trouve très pertinente. À mon avis, cet état de fait est absolument un stratagème pour soumettre les magistrats aux ordres des pouvoirs politiques. Si non, comment trouvez-vous qu’un Magistrat, après sa nomination par décret, je dis bien par décret, prenne en charge la quasi-totalité des frais d’installation et de prise de fonction ?

Vous conviendrez avec moi que les magistrats et les ministres sont tous nommés par décret mais en ce qui concerne leurs prises de fonction, les ministres dès après leurs nominations, en plus de l’allocation des locaux administratifs décents, ils reçoivent des moyens matériels et financiers. Quant aux magistrats, la majorité est tenue de mettre la main à la poche pour non seulement se créer un cadre de travail approprié mais aussi s’acheter, pour ainsi dire, tous les matériels nécessaires entrant dans l’exercice de leur fonction.

Cette situation, non négligeable, est sans nul doute l’un  des facteurs incontestables qui encourage la corruption de certains Magistrats dans les Cours et Tribunaux.

Faisons un autre rapprochement, dites-moi, pouvez-vous comparer les conditions de travail d’un Magistrat à celles d’un directeur national qui relève de l’autorité hiérarchique d’un ministre, après le Secrétaire Général  et le Chef de Cabinet bien sûr ?

Vous conviendrez également avec moi que du point de vue privilège, les magistrats sont en réalité en dessous des députés. Ce qui est tout à fait contraire aux garanties constitutionnelles.

Ne savez-vous pas qu’aux yeux de nombreux politiques, créer un cadre de travail approprié pour les magistrats affaiblirait probablement leur autorité ? Croyez-vous  que l’indépendance totale des magistrats conviendrait aux acteurs politiques ? Ne savez-vous pas que l’insignifiance du budget alloué au  Ministère de la Justice est une sorte de conspiration qui résulterait de la connivence des  pouvoirs exécutif et législatif ? Cette conspiration n’est-elle pas une arme pour rendre le pouvoir judiciaire plus vulnérable et plus assujetti ?

Ne  savez-vous pas que c’est la différence du point de vue privilège qui fait que la plupart des ministres de la justice croient être au-dessus de tous les magistrats? Ne savez-vous pas que c’est pour cette raison ces ministres, même face à l’urgence ou aux questions d’intérêts nationaux et à dimension internationale, font attendre pour longtemps des magistrats indépendants sans motif  valable, dans leur salle d’audience, oubliant ainsi leur rôle d’administrateur du service public de la justice? Ne savez-vous pas qu’un tel comportement est une forme de pression que subissent les magistrats du siège qui refusent de se soumettre, dans la gestion des procédures judiciaires, aux ordres d’un ministre de la justice ?

J’avoue être éperdument amoureux de la Guinée donc face aux nombreux défis à relever pour la consécration d’une justice forte, indépendante et respectueuse des valeurs républicaines, je ne peux, en aucun cas, être de ces magistrats indépendants à désarmer.

Ne savez-vous pas qu’aux yeux de nombreux  politiques, créer des conditions de travail appropriées en faveur  des magistrats les amènerait à fortifier leur autorité  et à sauvegarder jalousement leur pouvoir constitutionnel? Par conséquent, avoir l’audace de les poursuivre sans complexe, sans appréhension et sans recul en cas de violation des lois de la République ?

Je précise en insistant que favoriser l’indépendance des magistrats en Afrique empêcherait les hommes politiques de tous bords à faire de la vie de la  nation ce qu’ils veulent.  En outre, cela les mettrait en garde de ne pas instrumentaliser leurs communautés au vu et au su de l’homme de loi qui, selon la constitution, n’est soumis, dans l’exercice de ses fonctions, qu’à l’autorité de la loi.

D’ailleurs,  du point de vue des cadres et des conditions de travail, les magistrats sont même en dessous de certains chefs de division voire certains chefs de section des services centraux des départements ministériels ou ceux des Directions Nationales bien que ceux-ci étant nommés par arrêté ministériel.

En l’absence des conditions appropriées de travail, doublées d’un cadre décent dans les Cours et Tribunaux, on ne saurait  parler d’une justice garante, dynamique et respectée de tous.

De nos jours, malgré de nombreuses réformes entreprises dans le domaine du secteur judiciaire, l’impunité et l’insécurité deviennent monnaies courantes. Du coup, bon nombre de guinéens ne cessent de porter un doigt accusateur sur notre justice. Tout porte à croire que les magistrats ne jouent pas pleinement leur rôle. D’ailleurs, il y a des gens qui, parlant de la démission de l’Etat, pensent qu’il faut s’armer pour assurer sa propre sécurité, quel est votre point de vue sur ce point ?

Ecoutez ! ne confondons pas les choses. Soyons objectifs. Seul l’Etat, a le devoir de protéger ses citoyens. C’est pourquoi, restaurer la sécurité dans la cité est une responsabilité qui n’est dévolue qu’à l’Etat.

En la matière, l’Etat à travers ses services compétents, doit user de tous les moyens légaux pour assurer la sécurité de tous sans aucune distinction.

Je précise qu’autant l’Etat a l’obligation de protéger ses citoyens, autant chaque citoyen, a le devoir ultime, je dis bien ultime, de se soumettre aux dispositions sécuritaires de l’Etat. Ni les partis politiques, ni les coordinations régionales, encore  moins les confessions religieuses ne doivent s’y opposer au risque de mettre la vie de la République en danger.

Il est vrai qu’à un moment de son histoire, aucun pays au monde n’est en marge des échauffourées. Il revient donc à chaque citoyen de faire preuve de responsabilité, de retenu et de patriotisme. Chaque guinéen, vivant en Guinée ou à l’étranger, doit jalousement préserver la dignité, l’intérêt  et l’honneur de la patrie, répandre une image positivement attrayante. Sauf que, certaines personnes se frayant un chemin d’avenir politique pour leur propre famille politique, ne cesse d’accroître la haine, l’ethnocentrisme et le régionalisme dans la cité. Du coup, la violence a fini par trouver une place au cœur de bon nombre de militants qui, en réalité devaient être politiquement éduqués conformément à l’article 3 de la Constitution.  Pourquoi ne pas s’unir pour le bonheur et l’intérêt majeur d’un peuple qui se cherche le jour le jour ? Pourquoi prêter le flanc aux personnes mal intentionnées pour détruire nos acquis ancestraux? Franchement parlant, je regrette de n’avoir pas vécu l’époque des ancêtres où la paix et la concorde furent au menu des débats sous l’arbre à palabre.

Monsieur DIAWARA, nous n’avons plus assez de temps, maintenant que dites-vous de la passivité des magistrats ?

J’insiste sur cette question car à mon avis, je dirai même pour bon nombre de guinéens, s’il  y a l’impunité, la justice a la grande part de responsabilité parce que tout simplement, les magistrats continuent à suivre les directives du pouvoir exécutif.

Parlez de ce que vous pensez  personnellement et non ce que pensent les autres guinéens car, vous ne pouvez pas du tout penser en lieu et place de vos concitoyens (rire…).

Ecoutez, l’acte juridique suprême de l’Etat qui autorise les autres pouvoirs à accomplir  respectivement leurs tâches avec autorité et en toute indépendance, c’est ce même acte qui autorise les magistrats à exercer les leurs avec autorité et en toute indépendance. Donc, si ce que vous dites est vrai, je trouve inconcevable, inadmissible et inacceptable qu’un magistrat se laisse influencer par quiconque dans la gestion des procédures judiciaires.

Nous tirons notre légitimité de la constitution qui l’a voulue indépendante et impartiale, principes qui s’imposent aux autres pouvoirs.

En l’espèce, l’Etat a l’obligation à ce que nous puissions nous acquitter de nos fonctions professionnelles en toute liberté, sans crainte, sans ingérence, sans faire l’objet d’intimidation, de harcèlement, d’aucune sorte et sans devoir assumer, de quelque façon que ce soit, une responsabilité civile, pénale ou autre sauf  les cas de fautes professionnelle ou disciplinaire.

Je profite de l’occasion, pour convier les magistrats de l’Afrique, principalement ceux du siège, à se débarrasser  de tout complexe à l’égard des politiques, de croire en l’avenir. Il revient indubitablement à chaque magistrat la responsabilité de faire valoir, au besoin, de revendiquer régulièrement le respect du principe constitutionnel à l’indépendance du pouvoir judiciaire, ne serait-ce que par des décisions courageuses et motivées.

Mettre fin à la justice impuissante si elle existe bien sûr, face à la recrudescence de la criminalité transnationale organisée, à la croissance de l’impunité et de l’insécurité dans nombreux Etats du monde, doit être le combat de chaque magistrat de la nouvelle génération à partir du moment où la politique pénale internationale, à date, en tient considérablement compte.

Merci Monsieur DIAWARA, nous aimerions prochainement débattre avec vous d’autres questions relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire en Afrique, aux conséquences  néfastes de la lenteur administrative sur la couche juvénile avec des exemples concrets à l’appui et au rôle managérial d’un ministre de la justice face aux nombreux défis de la réforme.

Je suis à votre entière disposition, l’avenir de la couche juvénile en dépend.

Entretien réalisé par Daouda Yansané

Spécialiste des questions juridiques et judiciaires

664 44 23 43/655 12 95 20

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