Nouvelle constitution guinéenne : ce n’est pas une falsification, mais plutôt une erreur matérielle en droit constitutionnel (Nankouman Keïta)

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Les éminentes personnalités qui m’ont précédé ont déjà proposé des définitions de l’erreur et ont évoqué bien des formes sous lesquelles elle se manifeste dans le domaine juridique.

Aussi ne me hasarderai-je pas à suggérer une nouvelle définition, me proposant simplement, au vu de mon expérience, et sans me départir de mon devoir de réserve, d’illustrer de manière concrète les manifestations de l’erreur dans le domaine spécifique du droit constitutionnel.

Lorsqu’on tape le mot « erreur », le moteur de recherche en ligne du site internet du Conseil constitutionnel fournit 648 réponses. Et si l’on s’en tient aux décisions du Conseil elles-mêmes, le mot « erreur » n’y figure pas moins de 171 fois. Il s’agit donc d’une notion que le droit constitutionnel n’ignore pas. La plupart de ces emplois concernent les décisions rendues en matière électorale. Les erreurs dénoncées, et parfois sanctionnées, consistent alors en  diverses irrégularités commises au cours d’une campagne électorale ou lors des opérations de vote elles-mêmes. Il s’agit aussi de l’ « erreur matérielle », qui peut éventuellement faire l’objet d’une rectification. Dans les décisions relatives au contrôle de constitutionnalité, où l’emploi du mot est plus rare, l’erreur en cause est, la plupart du temps, l’ « erreur manifeste d’appréciation » du législateur, qui, si elle est avérée, entraîne la censure des dispositions qu’il a adoptées.

Ces catégories d’erreur sont connues, et il est, à vrai dire, difficile d’identifier des types d’erreur spécifiques au droit constitutionnel. Les particularités que je m’attacherai à mettre en évidence tiennent donc davantage à la portée de l’erreur et à la manière de l’appréhender et de la sanctionner qu’à sa nature même.  Je vous propose, pour ce faire, de distinguer l’erreur soumise à l’examen du juge constitutionnel de l’erreur commise par le juge constitutionnel.

Je vous donne peut-être l’impression de négliger ainsi l’erreur que peut commettre le constituant lui-même. Je n’en nie pourtant pas l’existence, mais le temps imparti ne me permet pas d’aborder en profondeur cet aspect de l’erreur en droit constitutionnel, alors même que l’actualité en fournit un exemple frappant. Il a été en effet question, ces derniers temps d’une possible révision de la Constitution espagnole sur les règles de succession de la Couronne, dans le sens d’une égalité totale entre les sexes. La procédure en est toutefois particulièrement lourde puisqu’elle suppose le vote d’un texte à la majorité des deux tiers des chambres, puis la dissolution des Cortes, suivie d’une nouvelle adoption du texte à la majorité des deux tiers et enfin d’un référendum ! Certes, tout texte constitutionnel doit bénéficier de sérieuses garanties de stabilité, mais le constituant ne commet-il pas une erreur en instituant des procédures de révision si lourdes qu’elles paralysent quasiment toute évolution, même

Consensuelle ?

Je pense à un autre exemple de procédure de révision constitutionnelle quasi impossible, celle qui impose une majorité de « oui » en nombre d’inscrits. C’est le cas dans tel pays d’Europe centrale.  Au chapitre de la révision constitutionnelle, le constituant pèche donc plus Souvent par excès, en mettant la barre trop haut, que par défaut, en rendant la révision trop aisée.

Je m’arrête là sur ce point et j’en viens au cœur de mon propos.

  1. L’erreur soumise à l’examen du juge constitutionnel : En l’état du droit, les modalités selon lesquelles le juge constitutionnel exerce son contrôle confèrent à l’examen de l’erreur un caractère aléatoire. Quant à la sanction de l’erreur, elle revêt des formes variées. 
  1. Les aléas de l’examen de l’erreur
  2. a) les aléas de l’examen de l’erreur liés aux caractéristiques du contrôle de constitutionnalité au droit français.

Le contrôle de constitutionnalité qu’exerce le Conseil présente en effet un caractère aléatoire et incomplet, qui ne le met pas en mesure de faire obstacle à l’introduction, dans le droit positif, de dispositions inconstitutionnelles, qui constituent autant d’ « erreurs ».

En premier lieu, le contrôle de constitutionnalité à la française consiste en un contrôle a priori, préventif. Il ne peut donc s’agir que d’un contrôle abstrait, qui, en tant que tel, ne permet de sanctionner que l’erreur théorique, l’erreur abstraite. Le Conseil n’est en effet saisi que d’un texte qui n’est pas encore entré en vigueur. Pour en apprécier l’exacte portée, il doit certes envisager les cas concrets dans lesquelles son application peut poser problème. Toutefois, aussi loin qu’il pousse son effort d’imagination, il ne peut prétendre appréhender toutes les réalités concrètes, toutes les conséquences possibles de l’application future d’une loi. L’erreur dans l’application de la loi lui échappe, alors qu’elle est au cœur de la jurisprudence d’une autre institution chargée de la protection des droits fondamentaux, la Cour européenne des droits de l’homme.

En deuxième lieu, le Conseil n’a connaissance que d’une partie des lois adoptées par le Parlement. Si sa saisine est obligatoire pour les lois organiques ou les règlements des assemblées, elle est facultative pour les lois ordinaires et les traités. Toutes les lois ordinaires qui ne lui sont pas déférées échappent donc à son contrôle. Les erreurs qu’elles contiennent ne sont pas sanctionnées et vont irriguer le droit positif, sans que le Conseil puisse s’y opposer. Au demeurant, nul n’ignore que, parfois, c’est précisément parce qu’elles ne sont pas conformes à la Constitution que certaines lois ne sont pas déférées au Conseil. En particulier, tel est le cas lorsque l’inconstitutionnalité repose sur un consensus et qu’aucun de ceux qui, en l’état des textes, peuvent saisir le Conseil ne se hasarderait à prendre le risque d’une censure. L’amour du pur droit pèse parfois peu face aux réalités politiques, surtout quand la paix sociale est en cause. Qui voudrait venger l’injure faite à la Constitution, lorsque chacun s’en accommode ? Si le Conseil constitutionnel n’est pas aveugle, il est parfois contraint d’être muet … puisqu’il ne peut se prononcer que lorsqu’on le lui demande. L’erreur commise doit cependant demeurer discrète et, en tout cas, nul ne doit s’en vanter. Il est des cas dans lesquels une erreur trop aisément assumée, une inconstitutionnalité trop facilement revendiquée sur la place publique, surtout lorsqu’elle touche aux principes essentiels d’un Etat de droit, appelle une réaction. Comment ne pas évoquer, à ce propos, le communiqué que j’ai dû faire diffuser en septembre 2005, après que le garde des sceaux eût invité les parlementaires à  adopter des dispositions selon lui contraires au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et exhorté les parlementaires de l’opposition de ne pas saisir le Conseil  ?

J’ai alors rappelé dans un communiqué, procédé inhabituel, que « le respect de la Constitution n’est pas un risque mais un devoir ». En l’espèce, soit dit en passant, le garde des sceaux avait tort de redouter l’examen de Constitutionnalité, car le dispositif dont il présentait la censure comme probable en cas de saisine n’a pas été jugé inconstitutionnel par le Conseil. Celui-ci n’a pas regardé en effet comme une punition la mesure par laquelle le juge d’application des peines décide qu’en raison de sa dangerosité, un délinquant sexuel portera un bracelet électronique pendant une période suivant sa libération. Dès lors, la mesure pouvait être rendue applicable aux personnes détenues à la date d’entrée en vigueur de la loi sans entacher celle-ci d’une rétroactivité contraire à la Constitution.

1- « Il y a un risque d’inconstitutionnalité. Les événements récents vont me pousser à le prendre et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d’empêcher la nouvelle loi de s’appliquer au stock de détenus »

Quoi qu’il en soit, le contrôle de constitutionnalité à la française, par son caractère aléatoire, présente des inconvénients certains. Le Conseil a d’ailleurs trouvé, de lui-même, un moyen de les limiter. Il a ainsi jugé que la conformité à la Constitution d’une loi promulguée peut être contestée à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui en modifient le contenu, la complètent ou affectent son domaine d’application. Ainsi, s’il est saisi d’une loi nouvelle, le Conseil peut partir à la recherche des « erreurs » contenues dans une loi ancienne qui ne lui aurait pas été déférée ou qui lui aurait été déférée mais dont il n’aurait pas perçu, par suite d’une erreur de sa part, le caractère inconstitutionnel. Cela suppose toutefois qu’il soit saisi de la loi nouvelle… à défaut, l’on retombe sur le problème précédemment évoqué.

Un remède souvent préconisé à ces inconvénients serait d’instaurer un contrôle de constitutionnalité après l’entrée en vigueur de la loi, en particulier au moyen d’une « exception d’inconstitutionnalité » donnant lieu à saisine préjudicielle du Conseil constitutionnel par les juridictions de droit commun (ou seulement par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat).

Toutefois, de telles réformes ne sauraient être proposées, et encore moins mises en œuvre, à la légère, comme un tribut offert à l’esprit du temps. Outre qu’elles rendraient nécessaire une modification profonde de l’organisation du Conseil, elles anéantiraient l’un des avantages les plus éclatants du contrôle de constitutionnalité à la française, à savoir la sécurité juridique qu’il procure. Il s’agit là d’un inconvénient majeur, qui dépasse, à mon sens, tous ceux auxquels on prétendrait vouloir ainsi porter remède.

Je voudrais finir sur ce point en évoquant un aspect insolite  et heureusement rare  de la forme que peut revêtir l’erreur au stade de la saisine du Conseil. En 1996, plusieurs députés dont la signature figurait sur la lettre de saisine avaient déclaré qu’ils l’avaient signé « par erreur ».

Le Conseil constitutionnel leur avait rappelé qu’aucune disposition de la Constitution ne permet aux parlementaires de le dessaisir et que, « hormis les cas d’erreur matérielle, de fraude ou de vice du consentement », le Conseil ne pouvait prendre en compte des demandes qui aboutissaient à faire obstacle à un contrôle de constitutionnalité engagé.

Si ce cas relève de l’anecdote, il n’en va pas de même des erreurs d’argumentation que l’on trouve dans les saisines.

2- Décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances rectificative pour 1996. 

  1. b) Les aléas de l’examen de l’erreur liés aux erreurs d’argumentation

Nul n’étant à l’abri de l’erreur, celle-ci peut en effet se nicher jusque dans l’argumentation même des personnes qui saisissent le Conseil pour dénoncer l’erreur du législateur.

L’erreur trouve alors sa source dans une méconnaissance de la jurisprudence du Conseil ou dans une prise en compte insuffisante de son évolution, voire des revirements qui l’affectent.

Ainsi, le Conseil est régulièrement saisi de moyens qui invoquent, à tort, l’article 66 de la Constitution pour contester l’instauration de toute nouvelle mesure présentant un caractère contraignant.

Depuis de nombreuses années, le Conseil rappelle pourtant, à la suite d’une nouvelle orientation de jurisprudence, que si l’article 66 protège la « liberté individuelle » et la place sous le contrôle de l’autorité judiciaire, cette « liberté individuelle » doit être entendue au sens strict de l’ « habeas corpus ». C’est donc souvent en vain que l’article 66 est invoqué. Pas plus tard qu’en janvier dernier, à l’occasion de l’examen de la loi relative à la lutte contre le

terrorisme3, le Conseil a encore du rejeter l’argumentation des requérants qui contestaient la procédure nouvelle de recueil automatisé de données relatives aux véhicules, en jugeant que, « par sa nature même », elle « ne saurait porter atteinte (…) à la règle, posée par l’article 66 de la Constitution, selon laquelle nul ne peut être arbitrairement détenu». A vrai dire, l’erreur la plus courante, non seulement dans les saisines, mais aussi  dans les manuels de droit constitutionnel, demeure sans doute celle relative à l’ « effet cliquet », selon lequel le législateur ne pourrait réglementer les conditions d’exercice d’une liberté qu’afin de la rendre plus effective, tout retour en arrière lui étant interdit. Rarement une théorie aussi peu employée4 et aussi  rapidement abandonnée5 aura connu une postérité aussi flamboyante…

Certes, le Conseil est le premier responsable de l’erreur : après tout, il lui appartenait de ne pas adopter une jurisprudence qui était « intenable », dans la mesure où elle avait pour conséquence de constitutionnaliser toute avancée législative, fut-ce au détriment d’autres droits ou d’autres exigences de valeur constitutionnelle tout aussi éminente.

3- Décision n°2005-532, n° 19 janvier 2006

4- Décision n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, cons. 38

5- Décision n° 86-210 DC, 29 juillet 1986, même si appliquée une fois par la suite dans un domaine différent

Décision n° 93-325 DC, 13 août 1993, cons. 81

Il n’empêche qu’il désespère de voir qu’on l’invoque encore, bien qu’il ne cesse de rappeler dans ses décisions que cette jurisprudence est abandonnée 6.

Une forme particulière de l’erreur que le Conseil constitutionnel constate dans les saisines consiste dans l’erreur d’interprétation de la disposition attaquée. Le Conseil se borne alors à constater que l’argumentation des requérants manques en fait. C’est, certes, désobligeant, mais n’est-il pas désobligeant d’en saisir le Conseil ?

L’un des exemples les plus récents figure dans la décision du 20 juillet 2006 relative à la loi sur l’immigration et l’intégration7. Le Conseil y a constaté que l’argumentation qui soutenait que la loi nouvelle confiait tout un pan du contentieux administratif au juge administratif statuant à juge unique manquait en fait. Ce type d’erreur attriste le Conseil. Combien préférerait-il répondre à une argumentation pertinente, ingénieuse et nouvelle plutôt que d’écarter pour la centième fois et sommairement un moyen erroné et assurément vain !

Les remèdes qu’il apporte à cette situation sont variés. Parfois, il lui arrive de « redresser » les griefs pour leur donner un tour plus pertinent. Plus radicalement encore, il n’hésite pas, quand il le faut, à relever d’office des moyens d’inconstitutionnalité. Dans une certaine mesure, il met alors en lumière l’erreur des requérants qui n’ont pas pensé à les lui présenter.

6 -ex. : Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, cons. 63 à 68

7 -Décision n° 2006-539 DC du 20 juillet 2006, Loi relative à l’immigration et à l’intégration, cons. 29.

Il n’use toutefois de ce dernier procédé que dans certaines circonstances, qui dépendent notamment de la gravité de l’erreur commise. Ceci me conduit à vous entretenir des différents degrés de l’erreur et de sa sanction.

  1. La sanction de l’erreur

Les erreurs du législateur que le Conseil examine ne sont pas d’égale portée.

Aussi la sanction qu’il prononce est-elle adaptée au degré de gravité de l’erreur. Mais, en amont même de la sanction, le degré de contrôle de l’erreur est lui-même variable.

  1. a) les divers degrés du contrôle de l’erreur: Le Conseil n’exerce pas sur toutes les formes d’erreur qui lui sont dénoncées un contrôle de nature uniforme. Son contrôle est au contraire modulable. Il est, par exemple, poussé en matière pénale. La clarté et la précision de la loi pénale, liées notamment au principe de légalité des délits et des peines posé par l’article 8 de la Déclaration de 1789, constituent l’une des pierres angulaires d’un Etat de droit respectueux de la liberté des citoyens. Cette exigence s’impose en effet non seulement pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions. La moindre erreur est donc sanctionnée en la matière, que ce soit par une censure ou une réserve d’interprétation. L’une des dernières décisions rendues par le Conseil, celle du 27 juillet 20068, comporte d’ailleurs plusieurs censures de dispositions pénales qui méconnaissaient les exigences constitutionnelles que je viens de rappeler.

Mais il est bien d’autres domaines dans lesquels le contrôle est moins intransigeant. Cette atténuation du contrôle résulte de la prise en compte de données de nature variée.

Parfois, le Conseil entend volontairement laisser au législateur une marge d’appréciation large : il n’est pas législateur et il n’entend pas jouer le rôle d’une troisième chambre. C’est pourquoi il rappelle régulièrement qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »9.  En d’autres occasions, le Conseil se borne à tirer les conséquences des contraintes aussi bien matérielles que juridiques dans lesquelles il exerce son office : il prend alors acte de ce qu’il ne dispose pas des moyens de contrôler efficacement toutes les défaillances du législateur. Il peut aussi tenir compte du fait qu’il partage avec d’autres instances juridictionnelles le pouvoir de faire application de certaines normes.

8 -Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI).

9- en dernier lieu, Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances (CPE, contrat première embauche, contrat de responsabilité parentale), cons. 20. 

Dans l’un et l’autre cas, le Conseil constitutionnel décide de ne rechercher et de ne sanctionner que l’« erreur manifeste d’appréciation », autrement dit les erreurs les plus graves et, en tout cas, les plus évidentes. Dans la catégorie des « erreurs manifestes », la dernière-née est l’erreur manifeste dans la transposition, par le législateur national, d’une directive communautaire.

Le Conseil s’est en effet engagé, depuis sa décision du 30 mars 2006 10, dans un contrôle des modalités de la transposition, autrement dit de l’intégration dans le droit interne, des exigences des directives communautaires.  Il ne pouvait toutefois, compte tenu des conditions propres au contrôle de constitutionnalité à la française et notamment du délai très court qui lui est strictement imparti pour statuer, se permettre de rechercher les erreurs mineures ou des erreurs si peu évidentes qu’il aurait été nécessaire de procéder à une expertise approfondie dans un domaine où la Cour de justice des communautés européennes exerce, au surplus, une compétence propre que le Conseil n’entend  pas lui disputer. Désireux de ménager les compétences reconnues aux juridictions ordinaires et à la Cour de justice des communautés européennes dans l’application du droit communautaire, mais soucieux également de conserver un rôle éminent dans tout un pan essentiel du droit, il a donc fait le choix d’exercer un contrôle tout en en limitant la portée. Il l’a fait, je crois, avec prudence, au moyen d’ajustements successifs des principes dégagés dans ses décisions de l’été 2004.

10- Décision n° 2006-535 DC, Loi pour l’égalité des chances (CPE, contrat première embauche, contrat de Responsabilité parental).

Ainsi, le contrôle de la seule erreur manifeste, qui peut être dénoncée comme le paravent de la paresse du juge ou célébrée comme une manifestation de sa modestie, est aussi, tout simplement, l’expression de son réalisme.

  1. b) les divers degrés de la sanction de l’erreur : De même qu’il existe divers degrés de contrôle, il existe divers degrés d’erreur et de sanction de l’erreur. Il y a bien sûr les erreurs « vénielles », si vénielles parfois que le Conseil ne les relève pas, à supposer même qu’il les ait décelées. Au-dessus d’elles, on trouve les erreurs que le Conseil entend relever mais sans pour autant les sanctionner. Il manifeste alors plus ou moins discrètement sa désapprobation. Ainsi, à l’occasion de l’examen de la loi portant réforme de l’élection des sénateurs, le Conseil a constaté que, pour deux départements, « le législateur (avait) apporté une dérogation au mode de calcul qu’il avait lui-même retenu ». Au lieu de censurer, il s’est borné à émettre une sorte de réprimande ou de remontrance en énonçant que « pour regrettable qu’elle soit », cette dérogation n’était pas contraire à la Constitution.

II – LA CONTRIBUTION DU JUGE CONSTITUTIONNEL À LA FONDATION DU CONTRÔLE DES LOIS PROMULGUÉES

En 1985, le Conseil constitutionnel admet pour la première fois la possibilité d’un examen a posteriori des lois en vigueur. Cette innovation juridique a cependant été d’emblée marquée par la prudence, dans la mesure où la juridiction constitutionnelle soumettait le déclenchement de cet examen à des conditions drastiques (A). Depuis lors, il est manifeste que le Conseil a fait audacieusement évoluer sa jurisprudence, consolidant ainsi son contrôle sur les lois promulguées (B).

A – LA CONSÉCRATION PRUDENTE D’UN CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ A POSTERIORI

La première reconnaissance jurisprudentielle du contrôle de la régularité constitutionnelle des lois promulguées apparaît expressis verbis dans la décision État d’urgence en Nouvelle-Calédonie du 25 janvier 1985. A cette occasion, le Conseil constitutionnel décide qu’une loi déjà en vigueur peut être de nouveau déférée à sa censure, à l’occasion de l’examen de dispositions législatives modifiant, complétant ou affectant son domaine. Il se refuse néanmoins à opérer ce contrôle lorsque la loi nouvelle se cantonne à une simple mise en application d’une loi promulguée. La juridiction constitutionnelle introduit par là même une dichotomie inédite, fondée sur l’objet des lois en instance, entre les lois d’application (1) et les lois modificatives (2) dont dépend l’exercice effectif de son contrôle de constitutionnalité.

1 – L’opposition originelle au contrôle des lois d’application

Pierre angulaire de l’édifice jurisprudentiel, la décision du 25 janvier 1985 est symptomatique de la notion de loi d’application. Cette affaire mettait en cause la proclamation de l’état d’urgence par le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, à la suite de troubles persistants dans ce TOM, en vertu de l’habilitation conférée par la loi du 6 septembre 1984. Aux termes de la loi du 3 avril 1955, la prorogation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours ne pouvait être autorisée que par un acte législatif. Aussi le Parlement se réunit-il à cet effet le 23 janvier 1985. La loi ainsi votée fut déférée au Conseil constitutionnel sur le fondement d’une double violation de la Constitution. Les auteurs de la saisine faisaient d’une part valoir l’atteinte à l’article 34 au motif que les règles rétablissant l’état d’urgence, telles que définies par la loi de 1955, attribuaient des pouvoirs dérogatoires exorbitants à l’administration. Argument était d’autre part tiré de ce que la loi déférée était contraire à l’article 66, en ce qu’elle admettait des atteintes à la liberté individuelle, sans prévoir un quelconque contrôle de l’autorité judiciaire. Les requérants entendaient ainsi faire constater que, dans la mesure où la loi en cause appliquait des dispositions contraires à la Constitution, elle devenait elle-même inconstitutionnelle. Le Conseil précise d’emblée que les moyens développés par les requérants portent sur les règles de l’état d’urgence qui résultent des lois de 1955 et de 1984. La loi en cause se bornant à conférer au Haut-Commissaire de la République les pouvoirs prévus par la loi de 1955 modifiée, par application de la loi de 1984, elle est une mesure d’application de ces textes.

Apparaît ainsi une nouvelle catégorie de loi, celle de loi appliquant une autre loi ordinaire, aux côtés des traditionnels règlements d’application. Le Conseil innove en conférant souverainement le caractère d’« actes-règles » ou d’« actes-conditions » aux lois soumises à sa censure. Il accepte d’attribuer pleine valeur législative aux seules lois règles, celles-là même par lesquelles le législateur entend « adopter une règle générale », selon la formule de sa décision n° 83-162 DC, Démocratisation du secteur public du 20 juillet 1983. Cette première catégorie d’actes législatifs serait ainsi de véritables lois, tant d’un point de vue formel que d’un point de vue matériel, en ce qu’ils véhiculeraient des normes constitutives de droits et d’obligations. Par sa décision État d’urgence en Nouvelle-Calédonie, le juge constitutionnel dénie cependant aux lois d’application la valeur de lois, dès lors qu’elles se cantonnent à n’être qu’une « disposition particulière » dont le seul objet est de déployer les effets des vraies lois-règles. Normativement vides et inséparables de leurs lois de base, les lois d’application n’auraient cette qualité qu’au sens formel et non plus matériel. Tel n’est cependant pas l’apport essentiel de sa décision.

L’innovation majeure de la décision n° 85-187 DC réside en effet dans la motivation du Conseil constitutionnel qui marque explicitement sa volonté de s’engager dans le contrôle de constitutionalité des lois promulguées. Il y énonce pour la première fois que « si la régularité au regard de la Constitution des termes d’une loi promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, il ne saurait en être de même lorsqu’il s’agit de la simple mise en application d’une loi ». La pensée du juge est en l’espèce très claire. En dépit du caractère a priori du contrôle de la constitutionnalité des lois institué en France, il accepte de confronter les lois promulguées   à la Constitution, non pas directement, mais par le détour de l’examen d’une loi nouvelle soumise à sa censure. Le principe retenu consiste donc à établir ex nihilo une « possibilité d’intrusion “par ricochet” dans le contrôle des lois promulguées », pour reprendre la formule du professeur Jean-Pierre Camby.

Cette conquête par le juge de sa compétence à connaître de la régularité constitutionnelle des lois en vigueur voit cependant son exercice nuancé. Si la décision n° 85-187 DC ouvre des perspectives nouvelles par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, elle ne constitue pas pour autant un point de rupture radical avec la jurisprudence passée. Le Conseil constitutionnel n’entend pas ici remettre en cause le principe de l’incontestabilité de toutes les lois promulguées. Ce point est souligné de façon particulièrement nette. Le contrôle ici façonné repose en effet sur une structure binaire. S’agissant en premier lieu des lois nouvellement déférées à sa censure qui modifient les lois promulguées, il admet comme préalable explicite sa compétence et lève en conséquence le privilège d’immunité juridictionnelle dont jouissent les lois en vigueur ainsi redéployées. S’agissant en second lieu des lois nouvelles qui appliquent les lois primitives, il se refuse à en apprécier la constitutionnalité et réaffirme par contrecoup son incompétence à connaître du contrôle a posteriori des lois promulguées ainsi reproduites.

La notion de loi d’application mise en exergue dans sa décision du 25 janvier 1985 rejaillit en définitive sur la question de l’intangibilité de la loi promulguée. En qualifiant la loi de 1985 de loi d’application, le Conseil constitutionnel se refuse à exercer un quelconque contrôle sur les lois de 1955 et de 1984 qu’elle met en œuvre. La décision État d’urgence en Nouvelle-Calédonie devait très largement dépasser le cas d’espèce. Si la jurisprudence constitutionnelle a refusé en cette occurrence de contrôler les lois d’application, elle a en effet consenti dans ses décisions postérieures à examiner la conformité constitutionnelle des lois promulguées à l’occasion du contrôle de leurs lois modificatives.

Conclusion

Les règles générales d’intervention du juge dans l’œuvre du législateur, qu’elles soient interprétatives ou rectificatives, ont été fixées il y a près de deux siècles. Contrairement aux règles interprétatives, celles relatives à la rectification de la loi paraissent avoir peu évolué. C’est toujours avec beaucoup d’hésitation et une extrême prudence que les juges interviennent pour modifier la formule de la loi. Appliquées au droit constitutionnel, ces règles sont devenues plus souples et plus évolutives. En effet, la protection des valeurs fondamentales exprimées dans la Charte appelle une interprétation large et généreuse de ses principes. Nos tribunaux ont été guidés en ce domaine par l’approche des tribunaux américains dans l’interprétation de leur constitution et ils sont devenus plus interventionnistes. Malgré la réserve des cours de première et de deuxième instance à intervenir dans le champ législatif, comme on le constate dans l’arrêt Laba, la Cour suprême a su élargir son rôle dans l’application des lois constitutionnelles, et notamment de la Charte, en développant des règles d’interprétation constitutionnelles particulières. En réécrivant une partie de l’article 394(1) b du Code criminel, afin de le rendre conforme à l’article premier de la Charte, la Cour a tiré avantage des paramètres établis dans l’arrêt Schachter relativement au pouvoir d’intervention judiciaire. La «technique d’analyse conceptuelle» développée dans cet arrêt et appliquée depuis par la Cour suprême incite cette dernière à intervenir davantage dans l’œuvre du législateur.

Les préceptes jurisprudentiels, les préceptes doctrinaux nous enseignent que la lettre de la loi constitue le point de départ de l’interprétation. En effet, tant dans les systèmes anglo-saxons que dans les systèmes civilistes, il fut affirmé avec certitude que lorsqu’un texte est clair, il ne doit pas être interprété. Il arrive néanmoins que les tribunaux, qui sont les principaux interprètes de la loi, soient appelés à l’adapter à l’évolution de la société, à en combler les lacunes, voire même à la rectifier, pour lui donner application. Mais ceux-ci ont toujours été très hésitants à intervenir dans l’œuvre du législateur. Avec la méthode moderne d’interprétation, ce pouvoir d’intervention du juge dans l’œuvre du législateur a connu un développement significatif. Notamment, l’intervention particulière du juge en matière constitutionnelle, par la mesure corrective qu’il est possible d’apporter en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 à la violation de la Charte canadienne des droits et libertés, redéfinit le rôle des tribunaux en donnant un très large pouvoir d’appréciation au juge.

Nankouman KEITA,  étudiant en master degré au département  Sciences politiques et juridiques  en droit public spécialité  la gestion publique  a HUBEI UNIVERSITY à Wuhan [Chine]

Email nankoumankeita7@gmail.com

 

 

 

 

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