On m’appelle Covid-19 (Par Boubacar Yacine Diallo)

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Il y a peu de temps, en décembre 2019, je crois, je me suis échappé d’une ville chinoise, Wuhan, capitale de la province de Hubei. Le 9 janvier 2020, les autorités de mon pays et l’OMS annoncent la découverte d’un nouveau coronavirus (d’abord appelé 2019 -nCoV, puis officiellement SARS-CoV-2). Par la suite, on me donne le nom Covid-19 (pour CoronaVirus Disease).

 Je me répands dans la ville de Wuhan. Je multiplie les contacts…Les jours passent et le nombre de malades augmente, tout comme le nombre de morts !

Les autorités de mon pays d’origine décident de me combattre dans le plus grand secret, sans avertir le reste du monde. Erreur !

C’est sans compter avec mon caractère rusé et la rapidité avec laquelle je peux passer d’une personne à une autre, d’une ville à une autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre.

Sans compter aussi avec la faculté de me dissimuler pendant 14 jours sans donner l’alarme. C’est par la suite ou pendant cette période, dite d’incubation, que les premiers symptômes surviennent : toux sèche, fièvre, difficultés respiratoires…

Dans ma ville de naissance et dans mon pays d’origine, on prédit que je n’ai pas longue vie devant moi !

Pourtant, un journaliste du « Monde », qui me suit de très près, répertorie quelques faits marquants : « Après une flambée en Chine, en janvier-février, la situation épidémique a évolué au niveau mondial, depuis le week-end du 22-23 février 2020, avec l’intensification des foyers en Corée du Sud, au Japon, à Singapour, et l’apparition de nouveaux foyers en Iran et en Italie. Dans ces pays, on assiste alors à une diffusion simultanée, sans lien identifié avec des cas importés de Chine.

Le 10 mars 2020, tous les pays de l’Union européenne sont désormais touchés par le Covid-19.

Le 11 mars 2020, l’OMS annonce que le Covid-19 peut être qualifié de pandémie, la première déclenchée par un coronavirus.

Le 14 mars 2020, à minuit, la France entre en « stade 3 » d’épidémie active sur le territoire (…)

Le 16 mars 2020, l’OMS dénombre presqu’autant de cas en Chine que hors de Chine : 165 515 cas confirmés dans le monde, dont 81 077 en Chine et 86 438 hors de Chine (dans 143 pays différents). Et 3 218 décès en Chine et 3 388 hors de Chine. 

Le 7 avril 2020, la Chine enregistre pour la première fois zéro décès sur 24 heures (Source OMS.)

Le 7 avril 2020, Singapour décide un confinement total de sa population, faisant face à une deuxième vague d’infections. Figurant parmi les premiers endroits de la planète à avoir détecté des cas de Covid-19, après son apparition en Chine, Singapour avait pourtant réussi à en contenir la propagation grâce à une stratégie de contrôle strict et de traçage généralisé des contacts avec les personnes infectées. »

J’ai donc eu raison de demander un passeport, sachant que j’étais prédestiné à voyager loin et même dans la quasi-totalité des pays sur tous les continents.

Les autorités sanitaires me défient chaque fois que des malades sont guéris sans qu’un traitement approprié puisse être administré.

Comme une partie de mes symptômes s’apparentent à ceux du paludisme, les médecins privilégient les molécules qui luttent contre cette maladie tropicale bien connue. Souvent avec succès.

Tout seul, je décide de me défendre en circulant sans pièces d’identité ni passeport. Le seul moyen d’y parvenir étant de viser ceux qui voyagent le plus régulièrement et surtout ceux qui vont loin de chez eux.

Avec naïveté, mes compatriotes, les Chinois, m’accueillent avec mes agents pathogènes en m’offrant les parties les plus accessibles de leur corps : les narines, la gorge et les poumons.

Je m’y installe confortablement et en silence jusqu’à destination…

A chaque fois que j’arrive dans un aéroport, j’ai la trouille d’être détecté et anéanti, car je ne sais presque rien de moi. Sauf que je peux tuer en masse et, associé à d’autres pathologies, comme le diabète… je peux tuer encore plus !

Et comme j’ai le sentiment d’être orphelin, je décide de faire d’autres orphelins pour me consoler et pour venger mes parents.

Un jour, j’apprends par les médias que je suis arrivé un peu partout dans le monde et que des milliers de personnes meurent de mon fait.

Ce jour-là, je ricane en mon for intérieur et je me demande qui donc je suis pour réussir ce coup de maître ! Je commence par m’interroger davantage sur mes origines. D’entrée, on me dit que je suis un virus et que j’appartiens à la famille des coronavirus.

Dans la foulée, il apparaît qu’il y a des dizaines de coronavirus dont celui de la grippe saisonnière.

Avec grande surprise, j’apprends que je suis un coronavirus nouveau. Au début, j’ai pensé que c’est parce que j’étais un tout nouveau -né. Non, pas du tout. Il semble qu’on ne connaisse rien de moi sauf la rapidité avec laquelle je me propage et le nombre de victimes que je peux faire en un laps de temps très court.

Mes premières cibles : les villes les plus fréquentées 

Blotti dans le corps de mes compatriotes, j’atterris en Italie et en Espagne où des milliers de touristes convergent sans arrêt. Les chiffres de contamination flambent, les morts en milieu hospitalier ne se comptent plus. Les gouvernements désarmés s’en émeuvent, sans pouvoir apporter la riposte attendue.

Je commence par frapper de hauts dignitaires, des hommes riches et des stars.

Les pauvres m’applaudissent en disant que je suis venu rétablir la justice et que je m’attaque aux seuls puissants ici-bas ! J’entends même dire que je vise principalement ceux qui voyagent par avion, en première classe…

Un jour, sans prévenir, j’atterris à l’aéroport Roissy Charles De Gaulle. Avec la peur au ventre. Pourtant aucun dispositif n’est encore mis en place. Je traverse la ville sans encombre pour m’installer dans plusieurs hôtels étoilés. Et comme mes porteurs parlent beaucoup et soupirent fort, je me répands comme une traînée de poudre. Après l’Italie et l’Espagne, la France tangue.

La presse s’en mêle, les politiques aussi. L’opinion est agacée, déboussolée et même déstabilisée.

La France si puissante panique. Suivie par beaucoup d‘autres pays européens.

Pourtant l’Europe est loin de la Chine. Je suis un filou et je n’hésite pas à entrer par effraction. Tout le monde est pris de court, surtout les chercheurs et autres épidémiologistes. Les gouvernants imaginent mille façons de me combattre et promettent une victoire prochaine.

L’américain Trump parle de moi comme d’un vulgaire malfrat, qui ne fera pas trembler son pays, le plus riche et le plus puissant !

Il accuse mon pays, la Chine, de négligence coupable et promet des sanctions draconiennes si ses accusations se vérifient.

Mes premiers colporteurs arrivent sur le territoire américain. Au fil des jours, on y dénombre des morts à la pelle, des contaminations à courbe vertigineuse s’y propagent rapidement. Les pompes funèbres ont du mal à suivre le rythme infernal des enterrements.

L’Amérique râle et Trump essuie un camouflet.

Le minuscule virus de Wuhan monte en grade comme dans l’armée : Plus tu tues pour sauver la Nation, plus tu es gradé ! Dans mon cas, je ne défends aucun pays ni aucune patrie. Mon rôle est de rappeler au monde qu’aller dans les étoiles est une bonne initiative mais que développer le système hospitalier et financer la recherche dans le domaine de la santé, c’est un impératif bien plus essentiel.

…En Afrique !

Rêvant de me propager à l’échelle mondiale pour faire parler abondamment de moi, j’arrive en Afrique. L’Afrique (où les populations, sans soins de santé et souvent victimes de la famine, sont déjà frappées de maladies graves et / ou incurables) me fait de la peine.

Je me retrouve là-bas, un continent envahi par les Chinois…

Et lorsque je m’en aperçois, très vite, je me résous à épargner des vies humaines. Je fais presque autant de guéris que de contaminés et très peu de morts. Même si parfois, à cause de la mauvaise qualité des tests, on m’attribue faussement des morts dont je ne suis pas responsable. Parfois aussi et pour les mêmes raisons, le nombre de cas positifs est gonflé à tort. 

Là-bas, les pauvres me célèbrent pour avoir visé d’abord de hautes personnalités à stature internationale, les détenteurs d’un passeport diplomatique.

A cause de la négligence des autorités, je suis pris en otage dans ces pays où je voulais faire un simple transit pour rappeler à tous que la santé doit être la priorité. Par chance pour eux, comme je ne résiste pas à l’extrême chaleur, mes forces se sont rapidement amenuisées, et si on y ajoute la résistance des Africains guéris du paludisme récurrent, je suis souvent vaincu. Sans aucun traitement, des patients sont déclarés positifs asymptomatiques. Là-bas, j’observe que la plupart des maladies sont soignées avec les moyens du bord et grâce aux plantes médicinales et alimentaires. Je recule puis rebondis de temps en temps.

Au cours de mon périple africain, j’atterris dans une capitale autrefois appelée « Perle de l’Afrique-occidentale française », Conakry. C’est le Chef de l’Etat, lui –même, qui annonce, le 13 mars 2020, mon arrivée sur son compte Twitter en ces termes : « Nous avons enregistré le premier cas confirmé de Covid-19 en Guinée ».

C’est bien moi, venu d’un pays si lointain, après plusieurs escales, notamment en Europe, logé dans le corps d’une expatriée pour tromper toute vigilance. La patiente de nationalité belge, confiée à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS), est aussitôt mise en isolement au CTEPI de Nongo. Très vite, elle est rejointe par des Guinéens revenus de voyage. Le Centre de traitement est débordé et les malades sont désormais reçus à l’hôpital Donka fraîchement rénové et équipé. Les autorités sanitaires, aidées des partenaires techniques et financiers, réussissent à contrer ma progression à l’intérieur du pays. Profitant de l’insouciance et du manque de précautions de la plupart des habitants incrédules, je poursuis les contaminations dans le grand Conakry pourtant mis en quarantaine.

Contre toute attente, je rencontre une résistance inattendue, les enseignements tirés de l’expérience acquise par le personnel soignant dans le combat contre Ebola ont servi à mettre en place un plan de riposte efficace. Sur place, j’apprends que la maladie à virus Ebola m’a précédé sept ans plus tôt.  

Mes regrets

Beaucoup de regrets m’envahissent lorsque je fais la somme des dégâts causés.

Je n’avais pas prévu de faire autant de victimes, ni souhaité des pertes économiques et financières aussi colossales. C’est en cours de route que j’ai relevé les faits graves dont je me rendais coupable : des milliers de morts surtout des personnes âgées ou vulnérables laissant derrière elles des orphelins ; des millions de malades stigmatisés et parfois rejetés par leurs propres familles ; une économie mondiale qui est à l’arrêt depuis des mois et quasiment en faillite !

D’autres regrets me concernent plus directement : avec le confinement observé ici et là, je suis complètement isolé et je n’ai plus personne avec qui parler, de peur de me contracter, même dans les familles, on ne se serre plus les mains, on ne s’embrasse plus, même la salle à manger est réaménagée pour faire respecter la distanciation sociale, des couples éclatent -chacun des conjoints suspectant l’autre d’en être un probable vecteur.

Pour couper la chaîne de contamination, des gestes barrières ont été édictés par l’OMS : port du masque, distanciation sociale d’au moins un mètre, éternuement dans le creux du coude, lavage des mains… 

Plus grave pour moi, tous les pays ou presque décrètent l’état d’urgence sanitaire avec des décisions lourdes de conséquences : fermetures des aéroports, des écoles, des restaurants, des bars, des lieux touristiques, des magasins, avec interdiction de circuler sans autorisation spéciale.

Le monde s’arrête !

Je ne peux plus voyager, je ne peux contempler le Louvre, la Tour Eiffel, la Place de l’Etoile, Montmartre, pourtant, comme mes compatriotes, j’aime la France !

Je ne peux pas non plus venir à New York pour contempler le Palais de Verre de Manhattan, Broadway ou le Capitole…

Je ne peux pas aller admirer les peintures du Vatican, fermé, tout comme la Kaaba à la Mecque. Comme tous les lieux de culte – toutes confessions confondues. Du jamais vu, me dit-on.

Je suis bien triste. Je souffre de l’isolement où je suis condamné à végéter sans aucun contact. Et pour combien de temps !

J’apprends que, pour voyager, désormais, il faut avoir fait un test de dépistage au départ, un autre à l’arrivée et 14 jours de confinement avant de regagner le domicile. Une telle mesure réduit considérablement mes chances de survie.

J’apprends aussi qu’un vaccin est en cours d’essai pour m’empêcher de survivre et que des médicaments sont en train d’être testés pour me faire disparaître de la planète.

Trump jure de me vaincre. Macron est très près du but, ensemble avec l’Union Européenne, Merkel ne m’a pas laissé de marge de manœuvre, les Nations -Unies ayant vite appelé tous les Etats à la rescousse au nom de la solidarité mondiale.

Je lis un extrait de la déclaration du Directeur Général de l’OMS du 27 mai 2020 qui m’énerve : « En à peine deux mois et demi, ce fonds a recueilli plus de 214 millions de dollars E.-U. auprès de plus de 400 000 personnes et entreprises, dont 55 millions de dollars rien que pour le concert en ligne « One World : Together at Home ». 

Plus inquiétant pour moi et pour mes agents pathogènes disséminés à travers le monde, l’OMS a publié, à la même date, son manifeste pour que l’après-COVID-19 donne naissance à un monde en meilleure santé, des recommandations simples parmi lesquelles : protéger la Nature, qui est la source de l’air, de l’eau et de l’alimentation dont dépend la santé humaine ;veiller à ce que les maisons et les établissements de santé disposent d’eau potable et de systèmes d’assainissement ; d’un accès à une énergie propre et fiable qui puisse résister aux changements climatiques ;  investir dans une transition rapide vers une énergie propre qui réduira la pollution atmosphérique, de sorte qu’une fois la COVID-19 vaincue, les gens puissent respirer de l’air pur ». 

Quand je m’aperçois que je suis pris à mon propre piège, je tremble d’effroi.

J’espérais vivre éternellement, mais face à cette batterie de mesures, je n’en suis plus sûr ! Et comme je suis orphelin et convaincu de crime contre l’Humanité, il y a « péril en la demeure » ! …

 Encore que…

(Par Boubacar Yacine Diallo, journaliste et écrivain) L’auteur figure parmi les 15 lauréats de l’appel à écriture sur la COVID-19, Harmattan Guinée).

Boubacar Yacine Diallo, journaliste et écrivain, figure parmi les 15 lauréats du concours appel à écriture de textes sur la COVID-19 qui ont reçu leurs prix le 25 novembre 2020. Un prix offert par l’association Guinée culture, l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), l’ambassade des États-Unis en Guinée, le PNUD ( Programme des Nations Unies pour le Développement), l’UNESCO ( Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la Culture), l’OMS et les autres partenaires du projet .

(Texte soumis le 14 juillet 2020 et primé en novembre 2020)

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