Oumar Kateb Yacine, Institut Afrique Emergente : « face à l’arrogance et aux dérives dictatoriales, un putsch militaire est souvent salutaire »

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Le coup d’Etat intervenu au Burkina Faso, début de semaine, a mis fin au régime tant décrié du président Roch Marc Christian Kaboré, pourtant démocratiquement élu deux fois, -il exerçait son second et dernier mandat-mais qui restait impuissant face aux attaques djihadistes que connait le pays depuis 2015. Ce 3ème putsch en une année dans l’espace CEDEAO, suscite inquiétude et interrogation sur l’avenir de la démocratie dans une sous-région, proie aux conflits permanents. Pour en savoir plus, nous avons approché un spécialiste de la Géopolitique et aux Questions sécuritaires, Oumar Kateb Yacine, ancien journaliste, ex-commissaire de la Haute Autorité de la Communication (HAC), qui dirige actuellement, l’Institut Afrique Emergente, un think tank progressiste et panafricain. Interview.

Votre analyse sur le coup d’Etat intervenu récemment au Burkina Faso ?

C’était prévisible, vu la situation délétère qui prévalait ces derniers temps au pays. Des massacres des civiles et éléments des forces de sécurité régulièrement perpétrés par les djihadistes, les nombreuses manifestations contre le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, reproché d’avoir été incapable d’endiguer la crise et aussi de tremper dans la corruption ont fini par fragiliser le Burkina Faso. Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui, le Burkina Faso est un pays désintégré : dans une partie du pays où les terroristes règnent en maitres absolus, faisant des massacres et autres crimes odieux sur des paisibles populations, il n’y a plus ni école ni aucune autre activité économique, les populations rescapées ont abandonné les lieux. Les chiffres alarmants parlent d’eux-mêmes : depuis le 4 avril 2015, les attaques de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont fait plus de 2 000 morts, civils et militaires, et poussé 1,5 million de personnes à fuir leur foyer.  L’armée, sous-équipée, psychologiquement malmenée,  enregistre régulièrement des revers, et pire fait l’objet des attaques barbares. Un cas parmi tant d’autres, le  14 novembre 2021, une colonne de véhicules pickup et de motos comprenant « plus de 300 combattants » prennent d’assaut le camp du détachement de gendarmerie d’Inata, faisant 54 tués. Pendant ces temps, il y a une forte présence des forces étrangères, venues appuyer l’armée locale pour restaurer la sécurité. Tandis que les caciques du régime et leurs protégés continuent à se beurrer. Et la crise va crescendo.

C’est ce qui explique les multiples manifestations contre le régime de Kaboré, entraînant sa chute ?

Tout à fait ! Vous savez, au Burkina la société civile est très dynamique. Ce dynamisme résulte de la révolution des mentalités enclenchée par feu Thomas Sankara (1983-1984), qui, il faut le souligner incarnait le véritable pouvoir africain, et il était en avance de plusieurs années par rapport à son temps  D’ailleurs c’est cette société civile qui a fait partir Blaise Compaoré en octobre 2014. De la même manière dont elle a déboulonné Comparé, elle a fait face aussi à Kaboré qui avait perdu toute légitimité de conduire le pays. Et ce qui devait arriver arrive. Burkina Faso est aussi un terreau de putschs militaires. Maurice Yaméogo et Marc Christian Kaboré restent les seuls présidents de la République civils n’étant pas issus d’un coup d’Etat depuis l’indépendance du pays en 1960.

Mais, il n’y avait pas d’autres manières de le faire partir que de passer par le coup d’Etat ?

Ecoutez, l’immiscions de l’armée dans la vie politique en Afrique est due surtout à la  mal-gouvernance et au non-respect des rudimentaires de la démocratie. Les élus, une fois au sommet, se versent dans l’arrogance et l’insolence. Se prenant comme des élus de Dieu, ils affichent un mépris vis-à-vis du bas peuple, oubliant que seul le Peuple est souverain. Et dans le corps social tel qu’il se structure dans nos pays, l’armée est l’unique structure organisée et disciplinée selon un ordre bien établi. En plus dans le système de fonctionnement de nos Etats, on n’est pas parvenu à créer des institutions républicaines solides liées par un mécanisme capable de trouver une solution démocratique à nos crises. Ainsi, en cas de crise majeure l’armée intervient pour abréger la souffrance des populations et redéfinir une nouvelle voie dans la conduite du pays. Voilà la faillite de nos Etats engendrée par la déconvenue de nos élites.   Savoir maintenant que les coups d’Etat émanent d’une conspiration à l’intérieur ou à l’extérieur, c’est un autre débat. Ce qu’il faut savoir, les peuples africains ont changé. Tout le monde maintenant a des yeux ouverts. L’évolution spectaculaire de différents canaux de communication a rapproché les peuples et facilité les échanges. Aujourd’hui rares  sont des despotes qui parviennent à claustrer leurs populations.

Autres choses sur ce coup d’Etat au Burkina Faso ?

Il est à remarquer que le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), -la junte qui a pris le pouvoir- a respecté la dignité et l’intégrité physique de l’ancien président Marc Roch Christian Kaboré. Personne n’a vu, en tout cas,  ses images en position d’un homme avili comme ce qui s’est passé en Guinée avec Alpha Condé et ses tombeurs le 5 septembre 2021. D’après nos informations, le président déchu est en résidence surveillée à la Cité Ouaga 2000, quartier huppé de la capitale, il échange au téléphone avec ses anciens pairs de la sous-région. Mais, il faut souligner que lui aussi, il a facilité la tâche à ses tombeurs en signant sa lettre de démission. Chose que son homologue guinéen aurait refusée pour le CNRD. En se claquemurant dans un tour d’autosuffisance et d’orgueil, Alpha Condé a lui-même contribué à son isolement.

Sinon, pour le reste depuis son accession au pouvoir, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba suit les traces du Colonel Mamadi Doumbouya pour mettre sur les rails la nouvelle transition au pays des hommes intègres.

C’est dire que ces chefs de junte se concertent entre eux ?

C’est trop dire, peut-être. Mais, maintenant, ils sont trois dirigeants chefs de junte sur l’axe Conakry-Bamako-Ouagadougou : Mamadi Doumbouya, Assimi Goita et Paul Henri Damiba. Les similitudes ne manquent pas : ils sont tous colonels, ont eu des formations académiques militaires identiques à une légère différence, tous quarantenaires et chacun d’eux s’occupait de la lutte contre le terrorisme dans son pays. Ça donne à réfléchir.

Justement cela donne des frissons aux autres chefs d’Etat de la sous-région ?

Ça dépend, je pense que ceux qui ne prennent pas les chemins interdits de la démocratie et de la bonne gouvernance n’ont pas à craindre.  Les coups d’Etat des années antérieures et ceux de nos jours sont différents par la forme, le motif et l’accueil des populations.

Heureusement qu’en Afrique de l’Ouest, existe encore des ilots de la démocratie au sens propre du terme ; le Sénégal, le Cap-Vert, le Ghana sont des bons exemples de stabilité politique et d’alternance démocratique. Le Nigeria, le Liberia et la Sierra Leone sont sur la bonne voie. Malheureusement, au Bénin, Patrice Talon, est venu saper l’élan démocratique, pourtant bien entamé en 1990. Espérons que ce quartier latin de l’ancienne AOF pourra rectifier le tir. Car un pays, c’est son élite.

La CEDEAO vient de suspendre le Burkina Faso après avoir infligé des dures sanctions au Mali, la Guinée où la junte  fait l’objet de mesures dissuasives, reste dans le viseur de l’institution ?

La CEDEAO s’est décrédibilisée déjà depuis qu’elle a laissé Alassane Ouattara et Alpha Condé perpétrer leurs coups d’Etat constitutionnels. D’ailleurs c’est par sa complaisance que le putsch du Colonel Assimi Goïta contre Ibrahim Boubacar Keita est intervenu en août 2020. Pendant leurs sommets périodiques, à l’époque sur la crise malienne, au lieu de faire une médiation en pensant au peuple, ces chefs d’Etat ont toujours encouragé leur homologue malien à résister face aux multiples contestations populaires à son régime.

D’ailleurs, ce syndicat de chefs d’Etat ne s’intéresse pas au sort de nos peuples. Le plus choquant est de constater que leurs décisions sont inspirées par des forces extérieures, la France et ses alliés notamment en ce qui concerne le Mali.

Tant que c’est comme ça, la CEDEAO serait moins entendue. Je ne pense pas que ses sanctions puissent dissuader les militaires désormais enclins de prendre le pouvoir dans des pays où règnent la corruption, le népotisme, l’insécurité, j’en passe. Il serait difficile de prendre au sérieux ces chefs d’Etat alors que dans leur rang il y a des gens comme Alassane Ouattara, Faure Eyadema, Patrice Talon ou Mohamed Bazoum.

Les coups d’Etat ne sont pas souhaitables, mais c’est une solution lorsque  la voie de l’alternance démocratique et la bonne gestion de la chose publique est obstruée par des pantins et des marionnettes de cet acabit. Autrement dit, face à l’arrogance et aux dérives dictatoriales, un putsch militaire est souvent salutaire.

Propos recueillis par Alpha Ibrahima Diallo

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