Témoignage. Immigration irrégulière : le voyage périlleux d’Abass Cissé, handicapé du bras gauche

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De nos jours, l’immigration irrégulière est devenue un fléau de plus en plus dramatique, poussant les jeunes du continent vers d’autres horizons en vue d’une vie meilleure pour eux et leurs familles. Très souvent désespérés, ces bras valides du continent qui explorent ce moyen comme le dernier recours, vont au péril de leurs vies s’exposer aux trafiquants d’êtres humains qui n’ont aucun scrupule à les utiliser comme des marchandises pour se faire de l’argent. Affrontant le désert, la chaleur, la faim, la soif et même la guerre, ces jeunes sont prêts à tout pour sortir de cette misère dans laquelle ils vivaient jusqu’alors.

Ce témoignage est celui d’un migrant retourné. Abass Cissé, c’est son nom. Handicapé du bras mais intelligent, Abass Cissé étudiait en Sierra-Leone. A ses heures perdues, il suivait un stage dans une radio communautaire léonaise. Malheureusement, un jour, le malheur frappa à sa porte. L’un de ses oncles qui finançait ses études mourut. Abass qui n’avait plus personne pour l’aider a dû abandonner ses études et s’adonner au commerce de friperie à Madina Bordo. Un commerce juteux pour lui qui lui a permis de s’offrir un billet pour l’aventure périlleuse de la migration irrégulière.

« Je me suis entêté pour ce voyage au mois de mai 2016. Je l’ai dit à un des oncles qui travaillait à Madina et qui connait ce réseau de voyage clandestin. Je lui ai expliqué mon souhait et lui aussi m’a confié à un de ses amis qui apparemment connaît parfaitement ce réseau mieux que lui. Ce dernier aussi (l’ami de son oncle ndlr) amenait des personnes très souvent en Italie, en Allemagne et en France. J’avais eu la chance et l’occasion de parler avec ces personnes dans ces différents pays qui m’ont tous confirmés que c‘était un bon réseau. Ce jour-là, j’ai pris 16 millions, cette somme était conclue pour un départ jusqu’en Lybie. Et pour la Lybie jusqu’en Italie il a demandé à ce que je paye 30 millions. Si je rentrais en Italie avec cette somme payée, il y avait quelqu’un qui devait m’accueillir là-bas direction l’Allemagne. Mais bien avant tout cela, j’avais payé 5 millions, seulement pour la négociation. Et le 5 mai 2016, j’ai bougé pour Kourémalé (frontière entre la Guinée et le Mali ndlr). Mais avant mon départ, il m’avait déjà remis le numéro d’un de ses correspondants que je devais appeler immédiatement dès que j’arrivais dans ce pays. Après trois jours, j’étais au Mali par la route. Une fois là-bas, son correspondant est venu me chercher à la gare routière. Au Mali, j’ai fait presqu’un mois à la recherche de solution, car là-bas si tu n’as pas un esprit tranquille, tu risques de te faire avoir. La gare routière de Bamako est pleine de personnes malveillantes qui à longueur de journée bernent les étrangers qui ne connaissent pas le code de là-bas. On peut voir dans cette gare routière des apprentis chauffeurs qui mentent aux passagers en disant qu’ils vont directement en Lybie ou en Italie. Donc, dans ce cas si tu n’as pas un esprit tranquille, ils peuvent te vendre si tu ne connais pas le réseau. Mon trafiquant en Guinée a transféré de l’argent à son correspondant pour que je puisse aller vers le Burkina Faso. Mais ce voyage a été périlleux parce que si tu décides d’aller vers Gao pour aller directement vers l’Algérie c’est très dangereux à cause des Touaregs tout au long du parcours », raconte le jeune.

Après réflexion, Abass décide de se lancer. Et ce, malgré les obstacles qu’il a rencontrés dès le départ, comme celui des gardes-frontières qui leur faisaient payer entre 15. 000 et 20.000 CFA au lieu de 10.000 CFA

« Ces Touaregs, on aurait appris que ce sont des rebelles qui tuent et moi j’avais dit que je n’irai pas vers là-bas même si je devais payer beaucoup plus d’argent que prévu.  Cette direction qui mène à l’Algérie directement est aussi très difficile parce que dès que tu dis que tu viens de la Guinée ou que tu présentes ta carte d’identité guinéenne ou un passeport guinéen, les garde-frontières qui y sont postés te diront de payer 15 à 20 mille francs CFA même si tu devais payer 10 mille CFA. Ils (garde-frontières ndlr) avaient pris l’habitude de nous dire que nous fuyons chez nous en Guinée alors qu’on a tout. C’est ainsi que je suis arrivé à Bobo Dioulasso (Burkina Faso). De là également, j’ai fait un temps avant de rejoindre la capitale Ouagadougou. Une fois arrivé, un correspondant est venu me chercher et j’ai aussi fait un bon temps chez lui avant de repartir pour le Niger. Au Niger, j’ai fait un bon temps là-bas avant d’aller à Agadez pour y rester durant quatre mois. Ce retard à Agadez était imputable à mon aide en Guinée, qui devait transférer l’argent à mon passeur mais ne l’a pas fait et du coup, j’ai un peu souffert là-bas. Mais quand j’ai bougé d’Agadez pour la Lybie sur le désert à Sabha il y avait la guerre en ce lieu. Dans notre convoi, Il y avait trois pickups. Le pickup dans lequel j’étais, on était au nombre de 30 migrants dedans, de différentes nationalités africaines. Le temps de la traversée du désert, nous avions été alertés qu’il y a des combats sur notre chemin à Sabha (Lybie), nos passeurs ont ainsi décidé de passer du temps sur le désert et c‘était parti pour un dur moment de 15 jours sur le désert dans la souffrance. Mais avant de bouger chacun d’entre nous avait pris un bidon d’eau de 10 litres et si cette eau arrive à finir avec toi, saches que tu es perdu car là-bas c’est chacun pour soi Dieu pour tous. J’avais eu un compagnon de voyage avec qui j’étais vraiment d’accord car c’est à lui seulement que je pouvais me confier. Ce dernier est mort sous mes yeux de soif et je n’ai rien pu faire. Le soleil de 9 heures était plus ardant que celui de midi au mois de mars ici en Guinée. Et quand c’était le cas, on se déshabillait pour faire des protections contre le soleil. Plusieurs de mes compagnons en sont morts et Dieu m’a sauvé de ce douloureux passage du désert. D’ailleurs, autour de moi, je pouvais voir des cadavres qui étaient déjà là depuis plusieurs jours ou mois. Certains passeurs, pouvaient abandonner en plein désert des gens pour ensuite leur dire de se débrouiller tout en mentant à votre aide du pays qu’ils vous ont conduit à bon port alors que c’est archi faux. Et quand cela arrive, plusieurs en meurent sur le désert accablant. Bien avant que vous ne bougiez, ces gens-là (passeurs ndlr) peuvent vous dépouiller de tout, argent, téléphones et voire même vos papiers pour ne pas qu’il y ait de trace de votre passage. Ils (passeurs ndlr) ont aussi une autre stratégie qui est celle d’appeler des rebelles qui vous attaqueront en cours de route pour ensuite vous faire des prisonniers aux prix de rançons auprès de vos familles respectives. Une fois à Sabha, c’était directement la prison pour mes compagnons et moi. Dans cette prison, tant que votre lien n’envoie pas de l’argent ils ne vous libéreront pas. Heureusement pour moi, mon contact d’Agadez a pu renvoyer l’argent pour ma libération ».

Sabha-Tipoli, Tripoli-Zabrata. Abass Cissé, le courage au ventre et désormais sans un sou en poche, était plus déterminé que jamais à prendre la mer. Il dû travailler dur avec d’autres migrants en vue de l’atteinte de leur objectif…

« De Sabha pour Tripoli, c’est un véritable parcours du combattant à cause de la guerre dans ce pays, il faut prendre 20 voire même 3O fois de différents véhicules de transport avant d’arriver dans la capitale libyenne. Arrivé à Tripoli, on vous met dans l’arrière des pickups tout en vous couvrant avec de grandes bâches comme des animaux pour éviter d’être vus par des caméras de surveillance dans la ville. A destination, nos passeurs avaient déjà fini de nous dépouiller de tous nos biens, mais par le courage, avec le temps qu’on avait commencé à faire, petit à petit mes amis et moi avions commencé à nous débrouiller. L’argent gagné dans ce pays ne peut être transféré ailleurs à cause de la guerre, mais surtout le Noir n’est pas du tout considéré là-bas). Un Arabe peut te rencontrer dans la rue en braquant une arme sur toi et te tirer dessus. Pis, il peut également t’emprisonner et te malmener à mort en te réduisant en esclave sans rendement. Dans ce cas de figure, cet Arabe qui t’a réduit en esclave peut te mettre dans un trou, avec un bout de pain comme nourriture durant toute une journée. Pour pouvoir te libérer, leur stratégie est de t’obliger à appeler tes parents au pays pour qu’ils puissent dans l’urgence envoyer à tes ravisseurs la somme de 1000 ou 2000 euros, j’ai vu tout ça là-bas. Pour tout vous dire, le moment où j’étais venu à Tripoli, la traversée vers l’Europe était très propice, mais mon aide m’avait amadoué, il n’avait pas transféré l’argent au bon moment et la famille restée au pays, je ne pouvais non plus demander un sou à cette dernière sachant les conditions difficiles dans lesquelles vivait ma mère. Je suis resté dans cette difficulté jusqu’à ce qu’au jour où je suis parti à Zabrata, une autre ville de la Lybie. De là, j’ai travaillé pendant 4 mois, j’ai gagné un peu d’argent. Je m’apprêtais à traverser avec cette somme, mais on entendait par-ci, par-là que la guerre est intense de tous les côtés. Je voulais coûte que coûte partir depuis Zabrata, parce que de là, la traversée en mer c’est 3 heures si vous aviez un bon capitaine contrairement à Tripoli qui est 12 heures. A cause de l’intensité de la guerre, la traversée fut brusquement avortée mais laissez-moi vous dire que plusieurs de mes compagnons en sont morts pendant cette guerre parce qu’on était sous les balles de toute provenance. J’ai été sauvé de tout cela par la grâce de Dieu.  Quand il y a eu accalmie, le peu d’argent recueillis pendant les 4 mois de travail ont été perdus et je suis reparti à zéro. On s’est déplacés vers Sabha aussi où nous avions fait 4 mois de durs travaux, l’argent collecté-là et celui envoyé par mes parents au pays m’ont permis avec la complicité de certains de mes compagnons d’infortune d’acheter des gilets, un moteur, une pirogue pour prendre la mer. Mais ce moment aussi était très risqué à cause de l’hivernage. Soit on partait et réussissait ou soit on partait pour mourir en mer, c’était les deux alternatives du moment. Le jour de la traversée était fixé, de mon côté j’avais appelé mes parents au pays pour leur dire de prier pour moi car je m’apprêtais à prendre la mer ».

Malheureusement pour eux, ils furent empêchés par une attaque le jour de la traversée. Un nombre indéterminé de migrants ont perdu la vie. Abass qui avait réussi à éviter les tirs fut finalement arrêté et embarqué comme prisonnier, une deuxième fois.

« Le jour de la traversée, on a subi une attaque à Sabha qui a enregistré la mort de plusieurs migrants majoritairement des Noirs venus de l’Afrique subsaharienne. Ce jour-là, du matin jusqu’à 18 heures il y avait des tirs. Mes parents avaient même perdu de mes nouvelles. J’avais un compagnon de nationalité ivoirienne, il a été mortellement touché à la poitrine par une balle au cours de cette attaque. Je le voyais agoniser mais je ne pouvais rien y faire si ce n‘est que de courir pour sauver ma vie. Dans cette débandade, j’ai dit à mon compatriote avec qui j’avais quitté ici (la Guinée ndlr) de nous mettre à terre parce que j’ai une expérience en matière de guerre pour avoir vécu celle de la Sierra-Leone. On est restés couchés de 9 heures du matin jusqu’à 18 heures sous le crépitement des balles. Vers 18 heures, des policiers braquent leurs armes sur nous, nous arrêtent. Comprenant l’anglais, j’ai crié en les suppliant de ne pas tirer, chose qu’ils ont compris mais ils nous ont embarqué direction rapatriement Campo ».

Ce campo était une sorte de prison qui avait engouffré plus de 3000 personnes, tous des Noirs d’Afrique subsaharienne qui mal nourris, finissaient par périr de faim. Abass y passe quatre mois avant de revenir en Guinée.

« Ce campo qui était situé à Tadjoura n’est pas une prison à proprement dit, mais nos ravisseurs en ont fait une parce que toutes les personnes qu’ils font prisonniers reçoivent des aides de l’Union Européenne. De la nourriture, des vêtements, des matelas, des médicaments et autres denrées alimentaires, mais les prisonniers ne reçoivent presque rien de tout cela.  Le matin, deux personnes reçoivent une miche de pain pour toute la journée. Et si vu êtes aussi nombreux, d’autres n’auront rien. Plus de 3000 personnes étaient engouffrées dans ce campo et tant que l’ambassade ou le consulat de ton pays d’origine n’intervient pas dans le cadre de l’enregistrement, les ravisseurs vous garderont prisonniers.

Durant ces quatre mois que j’ai passés dans ce campo, nous ne mangions que du pain et du macaroni. Et cela même ne se gagnait pas tous les jours. Alors que tous les jours, les gens parmi nous mourraient de faim. Un jour, l’OIM est venue. Le consul de la Guinée aussi est allé nous enregistrer et nous confier à l’OIM. L’Arabe avec qui j’étais avait voulu me faire sortir mais après réflexion j’ai décidé de rester avec l’OIM et de retourner en Guinée car en ce temps l’eau était mauvaise et les rabatteurs eux sans sensibiliser les gens les embarquaient en grande quantité. Pour une embarcation de 50 personnes, ils pouvaient embarquer jusqu’à 100 personnes. J’ai vu le cas d’un ami qui a embarqué dans un bateau et moi je sais comment ils sont partis. C’est en pensant à tout cela que j’ai préféré revenir en Guinée. Après cela, l’OIM a lancé des appels en disant que ceux qui veulent rentrer chez eux, ce n’est pas une obligation mais que ceux qui ne veulent pas ils te laisseront en prison. Alors ils ont recensé tous ceux qui voulaient rentrer chez eux et réglé leurs papiers et les ont ramenés chez eux. Ils nous ont emmenés à l’aéroport de Lybie en direction la Guinée. Moi je suis rentré en Guinée le 25 janvier 2018 ».

Depuis son retour en Guinée, Abass Cissé a repris ses études grâce à l’OIM qui les a financées pour trois ans

« Depuis mon retour en Guinée, je suis toujours en contact avec l’OIM. Lorsque nous sommes revenus, ils ont demandé à chacun de nous ce qu’on voulait faire. Moi j’ai répondu que je voulais aller poursuivre mes études en Europe, mais comme je suis revenu, si j’ai l’opportunité je voudrais continuer mes études. Alors ils ont pris mon programme et m’ont dit que comme c’est ce que je veux, il y a une université anglaise à Lambanyi, ils sont allés là-bas et ont payé pour moi 3 ans de formation. Actuellement j’étudie là-bas. Nous avons avec eux (OIM) un programme que nous avons commencé depuis la Lybie, ils partaient nous sortir de nos prisons afin que nous puissions réaliser des interviews avec des journalistes européens sur les souffrances endurées par les immigrants et les ventes dont on faisait l’objet. Alors vu que cela a été une réussite en Lybie, et cela suite à une formation financée par les Hollandais et pilotée par l’OIM, on a commencé des sensibilisations sur le terrain, dans les radios, et comme cela a été apprécié, on a décidé de créer une association ici en Guinée pour informer les Guinéens sur ce qui se passe sur le chemin de l’immigration. Les rabatteurs mentent aux gens mais ces derniers ne connaissent pas les réalités alors c’est à nous de leur expliquer tout cela ».

Selon Abass Cissé, il aurait dépensé en tout plus de 30 millions de francs guinéens dont le paiement de 16 millions pour le voyage jusqu’en Lybie et l’argent de poche que sa famille lui envoyait régulièrement.

Maciré Camara

+224 628 112 098

 

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