Tourner le dos à la centralité des approches ethniques en politique : un immense défi à relever en Guinée
🔴Par Youssouf SYLLA🔴Quel est le grand parti qui peut aujourd’hui se targuer d’être un parti national en Guinée ? Assurément, aucun ! En effet, les débuts de l’État dans ce pays ont été marqués par l’invitation de l’ethnique dans le jeu politique. Le mouvement s’est poursuivi et a connu une importante accélération à partir des années 90, date de déverrouillage de l’espace politique. Au lieu d’être un marché d’idées, la compétition politique est devenue le cadre d’expression des rivalités ethniques.
Toutefois, force est de constater que s’il y a un consensus entre les partis politiques en Guinée, c’est bien autour de la perception qu’ils ont de l’État. Un État partial qui n’accorde ni la même protection physique ni les mêmes opportunités économiques à toutes les composantes de la nation. C’est la crainte qu’inspire auprès des uns et des autres cet « État monstre » que les ethnies dans un élan de survie se réfugient derrière un de leurs représentants pour se protéger. Étant l’instrument de coercition par excellence et le moyen hypersonique d’accès aux ressources publiques, l’État est devenu en Guinée, l’objet d’une convoitise souvent meurtrière entre les partis qui ne comptent que sur leurs assises ethniques pour prétendre au pouvoir suprême. Si l’ethnocentrisme est moralement juridiquement condamnable, sa montée en puissance trouve néanmoins son explication dans le délitement des liens de confiance et du contrat de base entre l’État et le citoyen.
La centralité des approches ethniques en politique a empêché en Guinée, l’orientation des énergies du politique sur les grandes questions de développement et de refondation de la société. Le retard économique d’un des pays les mieux dotés par la nature sur la planète, et l’impossibilité d’y transformer la diversité culturelle en un atout majeur, trouvent en grande partie leur origine dans cette centralité. Autrement, cette difficulté de quitter un système de solidarité étroite propre aux clans et aux tribus pour aller vers un système de solidarité large, propre à l’État et à une société plurielle.
L’avènement d’un système de solidarité large sera à la fois l’œuvre d’un État responsable qui protège son peuple de la même manière et de partis politiques désethnicisés. Il s’agit de partis capables de se projeter dans d’autres espaces de la maison commune qu’est la Guinée et de se positionner idéologiquement, sans filtre tribal, sur les grands sujets nationaux et internationaux.
Youssouf SYLLA